L'échalote Dogon (Mali) face à la mondialisation du Marché des alliacées

Sur le marché de Bamako, en novembre 2009, de nombreux camions déchargent des sacs d'oignons de Hollande (6 000 km), des caisses d'ail de Chine (15 000 km), et des sacs d'échalote... du pays Dogon (700 km). Comment une production localisée, issue d'une région déshéritée, peut-elle concurrencer des produits d'agricultures largement exportatrices ? L'échalote est un groupe de variétés de l'espèce oignon (Allium cepa var. aggregatum), caractérisée par sa petite taille, ses bulbes multiples et groupés, sa reproduction essentiellement végétative, son goût différent et sa plus grande teneur en matière sèche. L'échalote dogon résulte d'une histoire longue, qui a peu à peu ancré cette production sur ce territoire. A partir du xve siècle, les Dogon ont migré du plateau mandingue pour trouver refuge dans la falaise de Bandiagara, alors qu'ils faisaient l'objet de rafles d'esclaves de la part d'autres peuples (Gallais, 1965).. Cette crainte incessante de la capture va amener les Dogon à se regrouper en villages de 500 à 1 000 habitants, à ne cultiver que les parcelles " à portée de vue " du village, et le plus souvent collectivement, par manan ou famille élargie (Diawara, 1997). Au xlxe siècle, les Dogon cultivent ainsi du mil principalement, du sorgho, du fonio et du niébé mais également des cultures importées comme le maïs et le tabac. A la fin du xlxe, la colonisation apporte sécurité et voies de communication : peu à peu, les Dogon s'aventurent au-delà des environs du village, voire sur le plateau et dans la plaine du Séno, dont les terres présentent de meilleurs potentiels (Van Beek, 1993). Se développent alors des cultures maraîchères, dont l'échalote, qui, contrairement aux céréales, sont du ressort de l'individu ou de la famille nucléaire, et non plus du manan. En effet, cette culture est considérée comme une source d'argent permettant de régler l'impôt, alors que les céréales sont autoconsommées. La production d'échalote se développe lentement au cours du xxe siècle. Cet alliacée a la préférence des Maliens, et de quelques autres peuples de la sous-région, les autres étant plus naturellement consommateurs d'oignons. La production d'échalote bénéficie ensuite, au début des années 80, de la construction de 150 barrages. Elle est décuplée en quelques années, pour atteindre un niveau de 30 000 t, puis 40 000, soit un quart environ de la production malienne. Elle se maintient à ce niveau. Petit à petit, de nouvelles concurrences sont apparues, auxquelles l'échalote dogon a su résister. La production s'est développée dans d'autres régions du Mali, dans des conditions plus faciles, notamment l'irrigation gravitaire. Parallèlement, la globalisation des marchés a permis l'arrivée de produits étrangers directement concurrents (oignons principalement) sur les marchés maliens. Le maintien de l'échalote sur le plateau Dogon peut s'expliquer par: - Les Dogons ont de longue date produit une échalote de contre-saison, qui trouve sa place sur les marchés en tant qu'échalote "primeur" (récolte d'octobre à décembre); - Outre leur maîtrise des techniques de production, les Dogons ont également développé des techniques spécifiques de transformation, qui ont largement contribué à la réputation de leur produit: jaba kuruni (condiment préparé à base d'échalote écrasée séchée en boule), jaba mugu (échalote séchée écrasée), ou, plus récemment, jaba jalani (échalote séchée en tranches, technique développée avec l'appui d'Ong). Ces produits transformés typiques permettent d'écouler l'abondante production de la haute saison (janvier-mai); - Des circuits commerciaux performants ont été mis en place par les commerçants dogon, permettant d'atteindre des marchés ivoiriens et guinéens notamment. Mais les nouvelles concurrences mettent l'échalote dogon dans une situation difficile: - Les oignons, moins chers et plus faciles à travailler, gagnent progressivement des parts de marché; - L'arrivée d'autres échalotes et oignons pèse sur les marchés et tend à faire bai

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Bibliographic Details
Main Authors: Fournier, Stéphane, Chabrol, Didier, De Bon, Hubert, Meyer, Anne
Format: conference_item biblioteca
Language:fre
Published: s.n.
Subjects:E73 - Économie de la consommation, E70 - Commerce, commercialisation et distribution, échalote, marché, commerce international, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_14233, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_4626, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_3919, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_4540,
Online Access:http://agritrop.cirad.fr/557665/
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Description
Summary:Sur le marché de Bamako, en novembre 2009, de nombreux camions déchargent des sacs d'oignons de Hollande (6 000 km), des caisses d'ail de Chine (15 000 km), et des sacs d'échalote... du pays Dogon (700 km). Comment une production localisée, issue d'une région déshéritée, peut-elle concurrencer des produits d'agricultures largement exportatrices ? L'échalote est un groupe de variétés de l'espèce oignon (Allium cepa var. aggregatum), caractérisée par sa petite taille, ses bulbes multiples et groupés, sa reproduction essentiellement végétative, son goût différent et sa plus grande teneur en matière sèche. L'échalote dogon résulte d'une histoire longue, qui a peu à peu ancré cette production sur ce territoire. A partir du xve siècle, les Dogon ont migré du plateau mandingue pour trouver refuge dans la falaise de Bandiagara, alors qu'ils faisaient l'objet de rafles d'esclaves de la part d'autres peuples (Gallais, 1965).. Cette crainte incessante de la capture va amener les Dogon à se regrouper en villages de 500 à 1 000 habitants, à ne cultiver que les parcelles " à portée de vue " du village, et le plus souvent collectivement, par manan ou famille élargie (Diawara, 1997). Au xlxe siècle, les Dogon cultivent ainsi du mil principalement, du sorgho, du fonio et du niébé mais également des cultures importées comme le maïs et le tabac. A la fin du xlxe, la colonisation apporte sécurité et voies de communication : peu à peu, les Dogon s'aventurent au-delà des environs du village, voire sur le plateau et dans la plaine du Séno, dont les terres présentent de meilleurs potentiels (Van Beek, 1993). Se développent alors des cultures maraîchères, dont l'échalote, qui, contrairement aux céréales, sont du ressort de l'individu ou de la famille nucléaire, et non plus du manan. En effet, cette culture est considérée comme une source d'argent permettant de régler l'impôt, alors que les céréales sont autoconsommées. La production d'échalote se développe lentement au cours du xxe siècle. Cet alliacée a la préférence des Maliens, et de quelques autres peuples de la sous-région, les autres étant plus naturellement consommateurs d'oignons. La production d'échalote bénéficie ensuite, au début des années 80, de la construction de 150 barrages. Elle est décuplée en quelques années, pour atteindre un niveau de 30 000 t, puis 40 000, soit un quart environ de la production malienne. Elle se maintient à ce niveau. Petit à petit, de nouvelles concurrences sont apparues, auxquelles l'échalote dogon a su résister. La production s'est développée dans d'autres régions du Mali, dans des conditions plus faciles, notamment l'irrigation gravitaire. Parallèlement, la globalisation des marchés a permis l'arrivée de produits étrangers directement concurrents (oignons principalement) sur les marchés maliens. Le maintien de l'échalote sur le plateau Dogon peut s'expliquer par: - Les Dogons ont de longue date produit une échalote de contre-saison, qui trouve sa place sur les marchés en tant qu'échalote "primeur" (récolte d'octobre à décembre); - Outre leur maîtrise des techniques de production, les Dogons ont également développé des techniques spécifiques de transformation, qui ont largement contribué à la réputation de leur produit: jaba kuruni (condiment préparé à base d'échalote écrasée séchée en boule), jaba mugu (échalote séchée écrasée), ou, plus récemment, jaba jalani (échalote séchée en tranches, technique développée avec l'appui d'Ong). Ces produits transformés typiques permettent d'écouler l'abondante production de la haute saison (janvier-mai); - Des circuits commerciaux performants ont été mis en place par les commerçants dogon, permettant d'atteindre des marchés ivoiriens et guinéens notamment. Mais les nouvelles concurrences mettent l'échalote dogon dans une situation difficile: - Les oignons, moins chers et plus faciles à travailler, gagnent progressivement des parts de marché; - L'arrivée d'autres échalotes et oignons pèse sur les marchés et tend à faire bai