Changement institutionnel et immigration clandestine à Mayotte : quelles conséquences sur les relations de travail dans le secteur agricole ?

Mayotte, seule île française de l'archipel des Comores, est engagée dans un processus de changement institutionnel, économique et social qui pourrait la conduire au statut de département d'Outre-Mer en 2010. Dans le cadre de cette évolution, les administrations métropolitaines et le cadre légal français s'ajoutent plutôt que ne se substituent aux autorités coutumières et religieuses, aux normes et règles locales [Blanchy, 2002; Barthès, 2003; Losch, Sourisseau, 2002]. La société mahoraise est ainsi sous l'influence de deux systèmes de références, basés respectivement sur des institutions, des systèmes de valeurs et des représentations qui leur sont propres. Le système de références que nous qualifions de "métropolitain" renvoie à la législation française et envisage schématiquement l'individu comme autonome par rapport à son environnement social. Le système de références que nous qualifions de "local", de "mahorais" et, plus largement, "de comorien" renvoie aux règles musulmanes et coutumières d'origine africaine et arabo-musulmane antérieures à la présence française1 , pour lesquelles l'individu est avant tout un membre d'une famille, d'une classe d'âge, d'un village ou d'une confrérie religieuse. Certaines relations de travail dans le secteur agricole, illégales au regard de la loi française, expriment la rencontre entre ces deux systèmes de références. Elles lient Comoriens en situation irrégulière, venus massivement sur l'île française pour bénéficier de meilleures conditions de vie, et des employeurs mahorais capables de financer une main-d'oeuvre bon marché grâce aux revenus de leurs activités salariées. Elles associent ainsi des acteurs dans des situations juridiques et économiques contrastées mais liés par une histoire, une culture et une religion commune. La notion d'enchâssement social de l'économie permet, dans la situation mahoraise, d'éclairer les fondements et les caractéristiques du marché du travail et d'en saisir ses limites. Elle souligne en effet à la fois le soubassement institutionnel des échanges économiques [Polanyi, 1957; Zukin, DiMaggio, 1990; Le Velly, 2002] et leur inscription dans diverses relations sociales [Granovetter, 1985]. Elle permet de ne pas limiter l'analyse des échanges économiques aux seuls phénomènes de marché et d'explorer les répertoires normatifs qui légitiment ou contraignent ces différents modes de coordination. À un niveau plus global, la notion offre la possibilité de saisir les phénomènes économiques en prenant en compte leurs fondements politique, culturel et social. Dans un contexte de confrontation entre les référentiels métropolitain et local, l'objectif de cette contribution est de préciser l'importance des jeux sociaux dans l'accès au travail agricole et de discuter de la nature marchande ou non de ces échanges. La première partie de l'article présente le contexte de Mayotte et les principales incidences sur le marché du travail de son intégration renforcée dans l'ensemble français. Une seconde partie expose les processus et les règles du jeu qui soustendent les différents contrats de travail pratiqués dans le secteur agricole; nous nous focalisons ici sur leur double référence au marché et à la réciprocité. Cette approche compréhensive, basée sur un an et demi d'observations in situ des relations de travail2, permet enfin, dans une troisième partie, de juger des perspectives d'évolution de ce marché du travail spécifique, du point de ses déterminants économiques et sociaux, mais aussi politiques.

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Main Authors: Burnod, Perrine, Sourisseau, Jean-Michel
Format: article biblioteca
Language:fre
Subjects:E12 - Travail et emploi, E50 - Sociologie rurale, marché du travail, emploi, immigration, changement structurel, secteur agricole, politique économique, sociologie économique, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_28713, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_2550, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_37976, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_34340, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_2801, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_28672, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_2478, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_4665, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_3081,
Online Access:http://agritrop.cirad.fr/546205/
http://agritrop.cirad.fr/546205/1/document_546205.pdf
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Summary:Mayotte, seule île française de l'archipel des Comores, est engagée dans un processus de changement institutionnel, économique et social qui pourrait la conduire au statut de département d'Outre-Mer en 2010. Dans le cadre de cette évolution, les administrations métropolitaines et le cadre légal français s'ajoutent plutôt que ne se substituent aux autorités coutumières et religieuses, aux normes et règles locales [Blanchy, 2002; Barthès, 2003; Losch, Sourisseau, 2002]. La société mahoraise est ainsi sous l'influence de deux systèmes de références, basés respectivement sur des institutions, des systèmes de valeurs et des représentations qui leur sont propres. Le système de références que nous qualifions de "métropolitain" renvoie à la législation française et envisage schématiquement l'individu comme autonome par rapport à son environnement social. Le système de références que nous qualifions de "local", de "mahorais" et, plus largement, "de comorien" renvoie aux règles musulmanes et coutumières d'origine africaine et arabo-musulmane antérieures à la présence française1 , pour lesquelles l'individu est avant tout un membre d'une famille, d'une classe d'âge, d'un village ou d'une confrérie religieuse. Certaines relations de travail dans le secteur agricole, illégales au regard de la loi française, expriment la rencontre entre ces deux systèmes de références. Elles lient Comoriens en situation irrégulière, venus massivement sur l'île française pour bénéficier de meilleures conditions de vie, et des employeurs mahorais capables de financer une main-d'oeuvre bon marché grâce aux revenus de leurs activités salariées. Elles associent ainsi des acteurs dans des situations juridiques et économiques contrastées mais liés par une histoire, une culture et une religion commune. La notion d'enchâssement social de l'économie permet, dans la situation mahoraise, d'éclairer les fondements et les caractéristiques du marché du travail et d'en saisir ses limites. Elle souligne en effet à la fois le soubassement institutionnel des échanges économiques [Polanyi, 1957; Zukin, DiMaggio, 1990; Le Velly, 2002] et leur inscription dans diverses relations sociales [Granovetter, 1985]. Elle permet de ne pas limiter l'analyse des échanges économiques aux seuls phénomènes de marché et d'explorer les répertoires normatifs qui légitiment ou contraignent ces différents modes de coordination. À un niveau plus global, la notion offre la possibilité de saisir les phénomènes économiques en prenant en compte leurs fondements politique, culturel et social. Dans un contexte de confrontation entre les référentiels métropolitain et local, l'objectif de cette contribution est de préciser l'importance des jeux sociaux dans l'accès au travail agricole et de discuter de la nature marchande ou non de ces échanges. La première partie de l'article présente le contexte de Mayotte et les principales incidences sur le marché du travail de son intégration renforcée dans l'ensemble français. Une seconde partie expose les processus et les règles du jeu qui soustendent les différents contrats de travail pratiqués dans le secteur agricole; nous nous focalisons ici sur leur double référence au marché et à la réciprocité. Cette approche compréhensive, basée sur un an et demi d'observations in situ des relations de travail2, permet enfin, dans une troisième partie, de juger des perspectives d'évolution de ce marché du travail spécifique, du point de ses déterminants économiques et sociaux, mais aussi politiques.