Les innovations des agriculteurs en Afrique

Les deux programmes ont recensé environ 1 000 agriculteurs et conclu que l´innovation était un phénomène assez courant dans des régions où la population exerce de fortes pressions sur les ressources naturelles disponibles. Ce phénomène n´est pas étonnant, car les agriculteurs, s´ils veulent survivre, doivent s´adapter aux changements survenant, par exemple, dans le régime des pluies, les sols, la démographie et les marchés. Quand ils se retrouvent ? le dos au mur ?, les agriculteurs n´ont pas le choix : s´ils n´innovent pas pour améliorer leurs moyens de subsistance, ils continuent de vivre dans la pauvreté ou doivent quitter leur terre et s´installer ailleurs. Les agriculteurs innovateurs Ce sont des agents de vulgarisation agricole ou des membres du personnel d´ONG travaillant sur le terrain, ainsi que des chercheurs qui ont découvert les innovateurs. Ils ont observé les agriculteurs agissant différemment, et ils ont demandé aux villageois s´ils connaissaient des agriculteurs qui obtenaient de meilleurs résuÉtats que les autres, tout en produisant dans les mêmes conditions. En Tunisie, les partenaires ont lancé une émission de radio hebdomadaire intitulée ? agriculture et innovation ? sur une station régionale. Les agriculteurs l´ont favorablement accueillie et certains sont venus présenter leurs innovations sur les ondes. Les agriculteurs ont amélioré les technologies dans des domaines divers : la conservation des sols et de l´eau, le captage de l´eau, la gestion de la fertilité des sols et l´agroforesterie ; ils ont testé de nouvelles cultures et de nouvelles variétés de cultures dans leur système d´exploitation agricole. Les innovations n´étaient pas toujours d´ordre technique ; certains agriculteurs ont également défini de nouvelles règles de gestion d´une ressource collective, par exemple de l´eau d´irrigation. L´amélioration des trous d´ensemencement traditionnels utilisés dans le Sahel pour réhabiliter une terre gravement détériorée constitue un exemple bien connu d´innovation des agriculteurs, réalisée au début des années 1980. Les agriculteurs ont puisé dans des sources d´inspiration diverses. Nombre d´entre eux ont récolté des idées alors qu´ils travaillaient ailleurs ; de retour chez eux, ils ont essayé les nouvelles techniques dans leurs propres champs. Dans d´autres cas, ils ont fait des expériences à partir d´idées glanées chez les agents de vulgarisation agricole, lors de visites d´étude dans des stations de recherche ou dans des projets conduits dans d´autres régions. Certaines innovations, toutefois, étaient le fruit de leur propre créativité. La plupart des innovateurs étaient assez âgés et expérimentés, mais certains étaient jeunes. Au Cameroun, un petit réseau de 15 innovateurs comptait quatre membres âgés de 23 à 32 ans. Ces jeunes gens avaient perdu leur emploi dans les centres urbains pendant la crise économique qui a frappé le pays dans les années 1990, étaient retournés dans leur village et s´étaient remis à l´agriculture. Les innovateurs étaient en général analphabètes, mais la capacité d´innover était indépendante du niveau d´instruction. C´était en majeure partie des hommes, mais on a remarqué un nombre croissant d´innovatrices lorsqu´on a fait participer des femmes au processus de recensement. La plupart des innovateurs avaient des personnalités marquées et étaient capables de résister à de fortes pressions sociales. Tensue Gebremedhin, une veuve vivant à Tigray, en ?thiopie, s´est mise à labourer avec un bœuf et un âne. Elle brisait ainsi deux tabous : une femme derrière une charrue, et un âne devant. En Afrique de l´Est, 33 % des innovateurs recensés étaient des femmes, et leurs innovations touchant au travail de la terre ne différaient pas de celles des hommes. En Tanzanie, par exemple, Grace Bura a élevé des digues avec de la terre et des broussailles pour bloquer des ravines, et Martha Mwaso a récupéré de grandes zones du lit de la rivière grâce à un travail intensif. Au Kenya, Mme Kalekye a rendu des ravines à la production agricole après en avoir extrait de grandes quantités de terre . Tous les innovateurs ont accru leur production et leurs revenus. On considérait qu´ils avaient amélioré leur situation financière grâce à leurs innovations. Les données de la Tanzanie et du Burkina Faso montrent que de nombreux innovateurs qui étaient pauvres en ressources voici 10 ou 20 ans sont maintenant riches en ressources. En investissant dans la réhabilitation des sols, les innovateurs du Burkina Faso ont étendu systématiquement la base de leurs ressources et produit suffisamment de nourriture pour subvenir aux besoins de leur famille, même pendant les années de sécheresse. Non seulement ils ont augmenté leurs biens, mais ils ont également réduit leur vulnérabilité face à la sécheresse. Les chaînes de l´innovation Certaines innovations en ont entraîné d´autres. Des innovateurs de Babanki, au Cameroun, par exemple, ont contribué à une augmentation considérable de la production de belladone (Solanum nigrum) en améliorant la gestion de la fertilité des sols et en construisant un réseau de canaux d´irrigation. Un innovateur a alors conçu un outil de récolte simple et peu onéreux permettant de couper les feuilles rapidement et efficacement sans endommager la plante. Ils envisageaient, dans un prochain projet, d´améliorer les canaux de commercialisation. Les innovations des agriculteurs et la recherche en bonne et due forme Les deux programmes régionaux ont précisé que les innovations des agriculteurs ne sont pas forcément parfaites. On peut les améliorer. Il est donc indispensable d´établir des partenariats entre chercheurs et innovateurs en vue d´une expérimentation conjointe basée sur des programmes d´action fixés par les agriculteurs. Le cas des innovateurs camerounais qui ont clairement exposé leurs problèmes et leurs priorités et qui ont été acceptés par les chercheurs en est un exemple parlant. En Tunisie, le programme d´expérimentation était davantage orienté vers les chercheurs, mais il répondait de façon adéquate aux priorités des agriculteurs. Travailler avec des agriculteurs innovateurs exige un changement d´attitude de la part de nombreux chercheurs. Ils doivent communiquer sur un pied d´égalité avec les agriculteurs et être disposés et aptes à les écouter et à recevoir leurs enseignements. Innovation et vulgarisation agricole Les approches hiérarchiques de vulgarisation agricole n´ont pas réussi à donner des résuÉtats tangibles. On part encore trop souvent du principe qu´on dispose d´un nombre suffisant de technologies pouvant être transférées aux agriculteurs. On accorde encore une place insuffisante aux approches plus participatives de la vulgarisation agricole. Il a été démontré et signalé mainte fois que les agriculteurs sont très désireux d´apprendre des autres agriculteurs et que, bien souvent, ils acceptent plus facilement les innovations observées dans les champs d´autres agriculteurs travaillant dans les mêmes conditions, que les messages transmis par les agents de vulgarisation. Lorsque des agriculteurs du Niger ont effectué un voyage d´étude au Burkina Faso, en 1989, ils ont été impressionnés par l´amélioration des trous d´ensemencement traditionnels utilisés pour réhabiliter des terres détériorées. Certains ont appliqué cette technique à leur retour. Les résuÉtats ont été étonnamment bons, même en 1990, qui était pourtant une année de sécheresse. Le succès a entraîné une diffusion rapide de cette technique et, en 1992, est apparu un marché foncier actif d´achat et de vente, par les agriculteurs, de terres détériorées. Pour mettre à profit les innovations des agriculteurs, il faut modifier radicalement la mission des agents de vulgarisation agricole. Au lieu de transmettre des messages techniques, ils doivent faciliter l´échange de connaissances entre les agriculteurs et aussi entre les agriculteurs et les agents de vulgarisation eux-mêmes. Initiatives récentes Le nombre des initiatives encourageant l´expérimentation et l´innovation parmi les agriculteurs semble croître. En mars 2004, le CTA et l´IFAD ont organisé un atelier régional en Afrique de l´Ouest sur les innovations des agriculteurs et la vulgarisation agricole. Ensuite, l´IFAD a lancé une initiative d´intégration des innovations, et l´ICRAF, en collaboration avec des partenaires, a développé une proposition visant à favoriser l´expérimentation et les innovations parmi les agriculteurs du Sahel. La créativité des agriculteurs en Afrique et dans les autres régions ACP demeure une ressource majeure inexploitée qui peut servir à réaliser les promesses et le potentiel du développement agricole et rural des pays ACP. Il s´agit pour les décideurs, les chercheurs et les agents de vulgarisation de voir dans les innovations des agriculteurs un instrument précieux de transformation de l´agriculture des ACP. <i>Dr Chris Reij</i> est chercheur au Centre international de coopération de l´Université libre d´Amsterdam. Références Chris Reij et Ann Waters-Bayer (éd.) (2001).<a href=http://www.earthscan.co.uk/asp/bookdetails.asp?key=3489><i> Farmer Innovation in Africa: A Source of Inspiration for Agricultural Development</i></a>, Earthscan, Londres.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 2004
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/64783
http://knowledge.cta.int
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