Un témoignage d’agriculteur

C’est grâce à ses déplacements internationaux que son chemin a finalement croisé celui de Spore, qu’il apprécie tant dans sa ferme. Après une colline de Rome, en Italie, où il a animé des échanges paysans lors d’un Sommet Mondial, on le retrouve un mois plus tard sur une colline belge, à Bruxelles, où il a interrompu un stage sur la globalisation pour conclure notre entretien sur la jeunesse. Tu te considères toujours comme jeune? Visiblement, la question le surprend : ' J’ai l’embarras de devoir admettre que non ! Lorsque je vois les défis du monde, du monde rural en particulier, qui touchent la jeunesse, je ne dois me plus considérer comme un jeune mais plutôt me mettre au même plan que les adultes qui ont les possibilités de faire des choses pour les jeunes. Moi je me considère aujourd’hui comme un adulte tout court parce que je dois aider les jeunes. Or, si je me considérais comme un jeune, je devrais attendre et je ne veux plus attendre. ' Depuis quand cette impatience ? Il éclate de rire en se rappelant quand ' tout ça a commencé. Le 28 novembre 1990, lors de mon retour dans mon village Torba1, à 138 km à l’est de Yaoundé, la capitale de Cameroun, après mes aventures de formation. J’étais conseiller paroissial et responsable d’un tout petit groupe de six jeunes. ' La jeunesse est-elle éternelle ou y a-t-il des limites ? ' Au MIJARC, tant au niveau international que national, on parle de 15 à 35 ans. Mais on peut trouver que ce n’est pas la réalité car ça dépend des civilisations et des cultures. Il y a des gens de 50 ans parmi nous, mais ne peut être responsable que celui qui a entre 15 et 35 ans. Lorsqu’on dépasse les 35 ans, on peut militer mais sans être responsable. ' Tu te vois aussi comme un agriculteur? Alors là, pas de limites. ' Tout à fait. Tout à fait. Je suis agriculteur, je le serai toujours, même si je fais autre chose après. Aujourd’hui, je suis en train de récolter mon champ d’arachide. Moi et ma femme, nous en avons cinq hectares '. Il s’inquiète de la durée de son stage. ' C’est triste pour moi parce que je ne sais pas si elle pourra tenir le coup. Quand je suis au pays, chaque week-end, je viens travailler avec elle. Lorsque je suis absent, les jours, je les compense en payant de la main d’œuvre — je me fais remplacer. ' ' je n’ai jamais négligé l’aspect agricole. Aujourd’hui mon projet de vie tourne autour de l’agriculture. Si j’arrive à faire installer ma ferme, je serai tranquille et je pense que je quitterai le reste des choses que je fais aujourd’hui. Je sais que c’est avec ma ferme que je peux beaucoup plus apporter à ma famille et aux autres. C’est-à-dire que ma ferme pourrait servir à élever ma famille. Ça pourrait servir de témoignage pour les autres qui viennent après moi et les aider à faire la même chose, je pourrai leur dire ‘écoute, tu pourras prendre telle ou telle variété’. Parce que les jeunes ne savent pas quoi mettre. Ils peuvent avoir de la bonne volonté mais ils n’ont pas l’expérience. D’ailleurs, pour moi, il n’y a pas eu d’expérience avant. C’est ça que je voudrais changer. Maintenant je veux faire un témoignage concret. ' Les témoignages sont importants ? ' Très importants, étant donné que c’est ça qui attire l’attention des autres. Des jeunes d’abord. Il ne faut pas croiser les bras, ils veulent faire quelque chose. Ils ont des capacités et des potentialités mais il faut les réunir, les mettre en confiance. D’autre part, pour ceux qui ont la possibilité d’aider les jeunes, mais ne le font pas, il faut leur dire ‘écoutez, au travail’ ! ' Dans la conjoncture actuelle, les jeunes n’ont pas d’autre choix que de rester au vil-lage ? 'Certainement. Pas le choix. On a supprimé les concours et les recrutements pour les emplois, et même quand les gens sont formés, ils ont une femme et des enfants, alors comment vont-ils vivre en ville ? Ils restent donc à la maison, au village. Et ils auront besoin des techniques. ' Être agriculteur n’est donc qu’une néces-sité ? Cyprien s’indigne : ' Il faut être fier d’être agriculteur. Pourtant il y a des gens au village qui disent qu’ils y arrivent accidentellement. Ils auraient voulu être cadres en ville, en Europe, en Amérique. C’est grave ! C’est l’éducation qui leur a donné ces attentes. Faire émerger ce sentiment de fierté, c’est une question de formation. ' ' Pourtant, lorsqu’on leur parle en tant que jeunes, on voit plusieurs barrières. La première, c’est la limite traditionnelle, d’avoir la nature, cette terre-là. Même si on a des capacités, si on ne dispose pas d’une certaine superficie… le foncier reste un grand enjeu. La deuxième barrière c’est au niveau des investissements car au delà des technicités il faut avoir de la matière pour commencer. Les jeunes n’ont pas de garantie, ni de passif, pour obtenir des prêts auprès des banques, et c’est déjà désolant. ' Que faut-il changer alors ? Comme si la question pouvait effacer son air devenu si grave... ' Nous devons revoir tous les systèmes de conseil rural, les libéraliser en termes de gestion, et ensuite avoir des cadres spécifiques pour traiter les problèmes de la jeunesse. Dans un cadre global, on va faire des équivalences et des comparaisons, et puis finalement le jeune, lui, il sera laissé à lui-même. Dans un cadre jeune, on peut lui apporter plus d’attention, de force, d’engouement et d’énergie pour pouvoir commencer. ' Des mesures spécifiques de promotion, comme on a fait pour les femmes, il y a vingt ans ? ' Exactement. Quand on parle de l’approche de genre, et l’approche jeunesse, on doit les associer, automatiquement, femmes et jeunes, et, pourquoi pas, les enfants. Ça devait être la priorité de notre monde car c’est là que se joue le monde de demain. ' Le CTA est un partenaire des jeunes ? ' Le CTA a le rôle de formateur et d’informateur, et doit participer aux efforts pour amener les jeunes à mieux comprendre la culture de la terre, à l’aimer et à se lancer. ' [caption] Agriculteur camerounais, Cyprien Essong Zé a 34 ans. Après une formation en économie, il est animateur-formateur. Depuis juillet 2000, il est coordinateur panafricain du mouvement international de la jeunesse agricole et rurale catholique (MIJARC), et membre de son conseil d’administration international. Les opinions exprimées dans ce Point de vue sont celles de l’auteur, et ne reflètent pas nécessairement les idées du CTA.

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Bibliographic Details
Main Author: Ze, Cyprien Essong
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 2002
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/63476
https://hdl.handle.net/10568/99673
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