Reconstruction après conflit: Les semences de la paix

Pauvreté et inégalité sont des causes majeures de tension. Ce n’est pas un hasard si la majorité des conflits armés contemporains se déroulent dans les pays du Sud. Et la guerre elle-même perpétue la pauvreté et la faim. La réhabilitation de l’agriculture et son développement sont un préalable essentiel à une paix durable, sous réserve d'un projet sociétal plus large. Miriam Kabugo, agricultrice, préfère oublier les trois ans qu’elle a passés dans les camps de déplacés après avoir fui la zone ougandaise insurgée de Bundibugyo. À son retour chez elle, ce fut presque pire. “Nos maisons étaient détruites et on avait volé les tôles des toits”, se souvient-elle. Grâce à un projet impliquant le Centre mondial d’agroforesterie (ICRAF), Miriam a pu planter des arbres fruitiers et de la vanille et recommencer à gagner sa vie. Au Rwanda, Thérèse Rwaramubuniye, veuve, est aussi rentrée au village après des années en tant que réfugiée. Réduite à la misère par le conflit de 1994-1996, elle se voyait sans avenir ; elle élève à présent des chèvres, soutenue par un projet financé par le Fonds international de développement agricole (FIDA). Un projet similaire a aidé Alfonse Rubayita, rapatrié au Rwanda, à reconstruire sa vie brisée ; il a reçu cinq lapins pour commencer et en a vendu 50 depuis. Comme des millions d’autres victimes de pays ACP en guerre, Thérèse, Miriam et Alfonse ont sauvé leur vie et perdu tout le reste. Pauvreté et insécurité alimentaire sont les conséquences inévitables de guerres qui charrient leur lot de réfugiés et de disettes. Selon la FAO, les conflits armés sont actuellement la cause principale de la faim dans le monde. Ils durent huit ans en moyenne – deux fois plus qu’avant 1980 – et bien plus de gens sont décimés par la faim et les maladies que par les combats eux-mêmes. Outre les vies humaines, l’agriculture est l’une des victimes principales des guerres. Les combats forcent les paysans à quitter leurs terres, les bombes et les mines rendent dangereux le travail des champs et l’élevage. Le bétail et les cultures sont pillés ou saccagés, les services de base (transport, eau, intrants et services vétérinaires) interrompus. Souvent, les agronomes sont tués ou exilés et de précieux patrimoines génétiques disparaissent avec la destruction des cultures, des banques de semences et des stations de recherche agricole. Un lourd bilan En plus de causer d’énormes problèmes sociaux et humanitaires, les flux migratoires empêchent les générations plus jeunes de se former en agriculture. Les femmes sont souvent en première ligne, réduites à pourvoir aux besoins de leur famille dans des conditions extrêmes de pauvreté et d’insécurité. Beaucoup, victimes de viols en masse par les soldats, sont contaminées par le VIH/sida, une tragédie humaine qui a aussi un grave impact sur l’agriculture. L’environnement, enfin, paie un lourd tribut : déforestation, érosion, disparition de la faune sauvage et pollution de l’eau. Après conflit, les besoins vitaux comme un logement, de la nourriture et de l’eau ont la priorité. Mais pour un rétablissement et une paix durables, il faut des solutions durables permettant de rebâtir la vie rurale et de ramener les agriculteurs aux champs. “Le redémarrage de l’agriculture est habituellement la première étape de la croissance économique et l’une des bases d’une paix solide”, affirme Ian Johnson, président du Groupe consultatif de recherche internationale sur l’agriculture (CGIAR), fer de lance de la conservation des cultivars locaux dans les zones de conflit à travers le monde. Beaucoup de cultivars sauvés ont des propriétés uniques telle une résistance innée à la sécheresse ou à la salinité. Cette démarche, qualifiée d’aide intelligente, contraste avec l’époque où les organismes d’aide déversaient des tonnes de semences étrangères en général peu adaptées aux conditions locales. En Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo (RDC), au Liberia, au Mozambique, au Rwanda et en Sierra Leone, un programme du Centre du riz pour l’Afrique réhabilite les semences de variétés de riz perdues, pillées ou brûlées lors des combats. Une aide intelligente Le CTA a lancé une série d’études pour évaluer les besoins en information dans six pays africains en situation d’après-guerre – Angola, Érythrée, Guinée-Bissau, Mozambique, Rwanda et Sierra Leone – afin de cibler l’aide aussi efficacement que possible dans le domaine de l’information et de la communication agricoles. En RDC, la guerre a aggravé l’épidémie de mosaïque du manioc, provoquant l’échec complet de la culture dans certaines zones. Cependant, des lots de semences saines et résistantes fournies par l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA) sont distribués dans les zones reculées du pays. Cette initiative inclut la formation de milliers d’agriculteurs en techniques améliorées de culture, de protection des végétaux et de multiplication rapide. L’IITA fournit des machines à transformer le manioc à des groupements féminins et certains ont démarré une petite production commerciale de farine non fermentée pour le pain, les gâteaux et les tourtes. Même lorsque les pays parviennent à mettre fin aux conflits, la paix ne dure pas toujours. Presque la moitié des pays récemment pacifiés replongent dans la guerre dans les cinq ans qui suivent, un chiffre qui en dit long sur la nécessité de trouver des solutions durables. Certaines des initiatives après conflit les plus réussies consistent à approvisionner les agriculteurs en semences, outils et engrais. La reconstitution des troupeaux aide les éleveurs à produire du lait, du fromage et des peaux. D’autres appuis notables sont le rétablissement des services vétérinaires et de l’approvisionnement en eau potable, le déminage, la gestion de l’environnement et l’octroi de crédits aux petites entreprises. La FAO a réouvert, en Érythrée, 12 cliniques vétérinaires dans la zone de sécurité temporaire créée à la frontière de l’Éthiopie à la suite du conflit de 1998-2000. En 1998, un conflit ethnique a éclaté aux îles Salomon. Depuis le retour à la paix, le WorldFish Center aide les habitants à améliorer leurs moyens d’existence afin de réduire la pauvreté, source de frustration et de colère. Ce programme inclut la formation en méthodes écologiques de production de perles noires, palourdes géantes, crustacés ornementaux, coraux, concombres de mer et poissons. Au Mozambique, les mines cèdent la place à des arbres pour combattre la déforestation et procurer un revenu aux ruraux. Ce pays, théâtre d’un des plus longs conflits de l’histoire contemporaine, est l’un de ceux qui ont le mieux réussi à réhabiliter leur agriculture. Bien avant que la guerre ait vraiment pris fin, les agriculteurs y ont été encouragés à cultiver des légumes et autres plantes pour nourrir les réfugiés qui affluaient dans les villes. Une fois le conflit terminé, les soldats tout comme les réfugiés doivent se réinsérer socialement. Un programme ICRAF d’acclimatation des arbres aide les réfugiés et ex-soldats de la RDC à se procurer un revenu. D’autres façons d’aider à long terme consistent à sécuriser la propriété foncière et à prévenir les litiges pour des ressources comme l’eau, la terre ou la forêt. Aux confrontations idéologiques entre grandes puissances se substituent de plus en plus des conflits armés dont les enjeux sont liés au contrôle des ressources naturelles. Pour la seule année 1995, par exemple, la question du contrôle de l’eau a déclenché 14 conflits internationaux. Lutter pour la paix Les agences de développement et les ONG aident aussi le Soudan à se remettre sur pied. Les ravages y sont énormes, mais le potentiel agricole reste immense. Plus de 95 % des terres se prêtent à l’agriculture. Une initiative du Catholic Relief Services et de l’Institut international des ressources génétiques végétales approvisionne des agriculteurs du sud du pays en graines de sésame destiné à la culture commerciale. Au Darfour, la FAO a distribué des semences, des outils et des charrues à ânes aux ménages affectés par le conflit pour qu'ils puissent demeurer dans les zones rurales et parviennent le plus vite possible à l’autosuffisance. Selon Sara McHattie, coordinatrice de l’aide d’urgence au Nord-Darfour, “pour un dixième de ce qui est dépensé en aide alimentaire en un mois, on peut acheter assez de semences pour aider le même nombre de personnes à produire leur propre nourriture”. Voir Repères Graphisme: Intactile DESIGN d'après photo : A. Proto © FAO/23329 Crédit photographique :, M. Linton © FAO/23963, G. Diana ©FAO/17639

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 2005
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/63160
https://hdl.handle.net/10568/99640
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