La ronde de la vie (7) Les mots n'ont jamais nourri personne

Vers le tout-numérique ? À l’aube du nouveau millénaire, des tas de discours appelleront à l’action contre Le scandale : la moitié, ou presque, de l’humanité est mal nourrie. Ils souligneront que, malgré les progrès fantastiques réalisés ces dernières décennies, il est indispensable de redoubler d’efforts et de réaliser de nouvelles avancées. De tels discours durent depuis des dizaines d’années, et continueront encore des décennies, dans une tonalité que l’on peut espérer plus optimiste. L’essentiel du défi est d’assurer l’accès universel aux moyens de production en vue d’une sécurité alimentaire durable. D’autres discours — certains ont commencé il y a quelques années — évoqueront un autre scandale : la moitié de l’humanité n’a jamais passé un coup de téléphone, et une frontière nouvelle divise les nantis des démunis d’informations. Les auteurs de ces discours imaginent un monde où tout village ou communauté disposerait d’un ordinateur, au besoin alimenté à l’énergie solaire, et relié par satellite au réseau mondial de tous les ordinateurs du monde, l’Internet. Le processus de mondialisation se traduit, notamment, par le fait que de plus en plus de gens désirent partager l’information et échanger des connaissances avec des partenaires partout dans le monde et, ce faisant, améliorer leur société et leur vie. Beaucoup rêvent d’un monde relié par les réseaux de communication — des rêves d’argent, de démocratie, ou de décentralisation. Il y en a même qui croient dur comme fer que le monde a déjà atteint cette étape, bien que rares soient ceux qui en sont conscients et capables de jouer un rôle dans la société de l’information qui émerge. Les démunis dans chacune de ces ' moitié de l’humanité ' sont les mêmes individus, familles, communautés : ceux qui n’ont pas de quoi se nourrir correctement ne peuvent pas non plus se brancher sur le monde, par un simple coup de fil. Dans les Caraïbes et le Pacifique, en partie grâce à leur statut insulaire, plusieurs pays ACP ont un niveau correct de nutrition et des réseaux de communication assez bons. Dans les pays africains, il y a de grandes plages d’espoir, mais aussi des îlots de désespoir et de désolation sur le plan de la nutrition et du développement rural. Il y a aussi des plans fermes, réaffirmés par les dirigeants africains, en vue d’assurer à chaque communauté et chaque village l’accès à la société de l’information d’ici à 2010. Les visionnaires, les historiens et ceux qui écrivent les discours semblent voyager dans un paysage d’idées et de notions poétiques comme s’ils pratiquaient l’agriculture itinérante, se déplaçant d’une terre à l’autre à intervalles réguliers. Certains nous expliquent, à nous pauvres gens, que nous entrons dans l’Âge de l’information, ou dans le Millénaire numérique, et que nous laissons derrière nous les âges industriel, agro-industriel et agricole. Pour les pays et les sociétés qui sont encore largement agricoles et ' pas encore ' industrialisés, ces visionnaires parlent même de sauter directement de l’âge agricole à l’âge de l’information. Nos vies dans le prochain millénaire seront soumises à de nombreuses forces que pour la plupart nous ne pouvons même pas prévoir. Certains parlent de catastrophes, d’autres de colonisation d’autres planètes, d’autres encore d’une vie plus spirituelle. Mais il y a au moins deux forces sur lesquelles, et avec lesquelles, nous pouvons compter. La première, c’est la technologie de l’information, les progrès de l’informatique et de la logique numérique. Il y a une logique, en effet, dans les calculs numériques qui font fonctionner les ordinateurs à notre service. Elle utilise un système de 0 et de 1, et elle a ses usages, de très nombreux usages déjà, y compris dans les domaines de la production agricole et de l’amélioration de la vie rurale. Mais cette logique tranchée, à base de 0 et de 1, de oui et de non, ne s’applique pas partout, pas dans un monde où beaucoup pensent en termes de continuité, d’évolution et de changements progressifs, de cycles et de spirales souples comme la vie. Nous, les gens ordinaires, nous ne sautons pas d’un âge à l’autre, d’une idée à une autre, comme si nous devions laisser un territoire derrière nous pour en conquérir un nouveau. Nous combinons, nous assemblons, nous tricotons ensemble nos passés, nos présents et nos futurs. La seconde force, l’autre logique qui perdurera sûrement, c’est l’agriculture Nous avons tous besoin de manger. Pour ce que nous allons recevoir, pour ce que nous allons cultiver et récolter, soyons pleins de gratitude, car c’est l’agriculture qui fait de nous ce que nous sommes. La moitié de l’humanité attend encore la tonalité. Président Thabo Mbeki, Afrique du Sud.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 2000
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/62894
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