Quand la nature reprend ses droits

Peu d'ouvrages d'irrigation — et notamment les barrages — répondent aux objectifs qui leur sont fixés. Pire encore, leur impact sur l'environnement et les populations est la plupart du temps désastreux. Dans les estuaires, la réduction du flux d'eau douce qui se déverse dans la mer fait remonter l'eau salée. Dans les deltas, la sédimentation provoquée par le manque d'eau appauvrit progressivement les terres. Outre la dégradation des sols, la propagation de maladies liées à l'eau, le déplacement des populations, la disparition de la flore et de la faune transforment des paradis en enfer, comme si la nature se vengeait qu'on lui force la main. Ou n'est-ce pas plutôt la main de l'homme qui est malhabile ? Car, ici ou là, c'est souvent la prise en compte d'un contexte global, sur lequel pèse de tout son poids la maîtrise du prélèvement, du stockage et du partage de l'eau, qui est en jeu. Une brèche creusée entre partisans et opposants Produire de l'électricité, retenir de l'eau pour faciliter la navigation sur les fleuves, maîtriser les inondations ou pallier les méfaits de la sécheresse sont les bonnes intentions qui président à la construction des barrages. Or, en 1995, la Banque mondiale annule ses financements promis à l'Inde pour construire un gigantesque ouvrage sur le fleuve Narmada. Elle répond ainsi à une opposition massive soutenue par des scientifiques, des associations internationales et des millions d'Indiens qui refusent le déplacement des populations ainsi que les dégâts à l'environnement qui résulteraient de l'aménagement du fleuve. À la même époque, naît la controverse mondiale sur l'impact écologique du barrage chinois des Trois Gorges. Il y a presque dix ans que le barrage antisel de Diama, à l'embouchure du fleuve Sénégal, assèche le plus grand estuaire d'Afrique de l'Ouest, entre Nouakchott (Mauritanie) et Saint-Louis (Sénégal). Les exemples ne manquent pas et, les études le montrent, les barrages ont des effets graves sur l'économie, l'environnement et la santé des populations. Des investissements en baisse L'impact négatif des barrages — et d'une manière générale des projets d'irrigation — explique la réduction des investissements dans ce domaine. D'autres facteurs entrent en ligne de compte : le coût croissant des aménagements, les mauvais résultats de l'irrigation et la baisse des prix réels des produits agricoles. Alors qu'ils ont culminé au milieu des années 1970 (le montant total alloué par les donateurs était en moyenne de 3 milliards de dollars par an), les fonds destinés à des projets à composante d'irrigation ont très sensiblement diminué depuis vingt ans. Actuellement, la Banque mondiale affecte moins de 1 milliard de dollars par an à des projets d'irrigation et le montant total alloué par les donateurs est en moyenne de 2 milliards de dollars par an. Des solutions rentables pour les quinze prochaines années L'Afrique, pour sa part, ne reçoit que 12 % des fonds alloués par la Banque mondiale. Or, c'est sur ce continent que le coût des projets d'irrigation est le plus élevé. Ces projets impliquent souvent la construction de réservoirs pour régulariser le débit des cours d'eau. Ils sont situés dans des zones reculées, d'où des coûts de transport élevés. Comme il n'y a pas sur place suffisamment d'ingénieurs qualifiés pour établir des plans et diriger les chantiers, ni d'entreprises pour fournir services et matériaux, il faut recourir à une sous-traitance coûteuse. Enfin et surtout, les concepteurs, plus soucieux de prestige que d'efficacité, ont tendance à surdimensionner les ouvrages. En Afrique, 95 % de l'agriculture est pluviale (voir Spore n° 74). Or, ce type d'agriculture ne suffira pas à satisfaire les besoins croissants des populations en produits alimentaires. Si les programmes d'irrigation étaient ralentis, prévient la FAO, des millions de paysans établiraient des systèmes de culture non durable dans des zones arides, ce qui conduirait à une exploitation destructive de la terre. Il faut donc dès maintenant mettre en place les investissements nécessaires à l'irrigation des quinze ans prochains. Et pour qu'ils soient rentables, il faut : mieux utiliser les bases de données géologiques, hydrologiques et topographiques ; utiliser des matériaux locaux ; planifier globalement les projets d'irrigation ; encourager les entreprises locales compétentes ; choisir les fournisseurs les plus proches et les plus capables de fournir la qualité de service voulue. Parallèlement, de meilleures conditions macro-économiques (libéralisation de l'économie, réformes) et les progrès des techniques agronomiques — qui devraient améliorer le rendement de l'irrigation et donc favoriser une accélération de la production agricole — participeraient à cette rentabilité. Enfin — l'expérience l'a montré — lorsque les fonctions de gestion et de maintenance des ouvrages d'irrigation sont partagées avec les agriculteurs ou leur sont transférées, de très bons résultats peuvent être obtenus. Pour que l'eau remplisse sa vocation et les réservoirs Les progrès de l'informatique, de la télédétection satellitaire et de la recherche permettront de mieux évaluer les ressources et les besoins en eau et, par conséquent, de mieux concevoir et gérer les aménagements hydrauliques. En attendant, le respect de quelques impératifs de bons sens permettrait de dégager des voies d'amélioration. Comme dans toutes les activités de développement durable, il doit y avoir un arbitrage constant entre la mise en valeur des ressources en eau et l'environnement. Le maintien d'un débit minimal (voir encadré) dans les cours d'eau est indispensable à la santé du réseau fluvial et des écosystèmes, toujours menacés par la concentration des polluants quand l'eau manque. Par ailleurs, la protection des cours supérieurs des rivières (d'où provient une part importante du débit) et la prise en compte du rôle crucial des bassins versants — notamment d'altitude — doivent être intégrées dans les projets de mise en valeur des ressources. Pour pallier leur dégradation, plusieurs pistes sont exploitables : reboiser en altitude pour ralentir les crues, maîtriser les activités humaines qui dévastent les bassins, répartir équitablement les avantages et les charges entre l'amont et l'aval. La totalité des eaux superficielles et souterraines d'un même bassin constitue en effet un ensemble interdépendant en raison des relations amont-aval. L'aménagement hydraulique doit donc se faire de préférence à l'échelle du bassin. Les agences de bassin devraient être habilitées, préconise la FAO, à imposer des règlements de bon usage. Ceux-ci se traduiraient par un moindre besoin de stocker l'eau, une disponibilité d'eau souterraine et une réduction des risques d'inondation et de sédimentation. Prévenir la dégradation des terres irriguées La dégradation des terres irriguées (60 à 80 millions d'hectares dans le monde, soit deux fois et demie la surface du Burkina Faso, souffrent d'engorgement et de salinité) pourrait être freinée en améliorant les pratiques d'irrigation, en construisant des réseaux de drainage et d'écoulement des eaux de colature, en favorisant le lessivage des sels accumulés dans le sol, et par d'autres mesures d'aménagement foncier visant à améliorer la qualité des sols. Dans bien des pays, les organismes responsables de la planification et de la réalisation des aménagements pour l'irrigation ont acquis une expérience considérable. Couplée avec des réformes macro-économiques saines, cette expérience permettra sans doute d'aborder une ère nouvelle offrant de bonnes perspectives à une gestion efficace des eaux. Pour en savoir plus : Production alimentaire : le rôle déterminant de l'eau, FAO, 1996 FAO, Viale delle Terme di Caracalla, 00100 Rome - Italie Site web : http://www.fao.org/wfs/final/f/volume2/t07b-f.htm World Commission on Dams (Commission mondiale des grands barrages) PO Box 16002, Vlaeberg, Cape Town 80185, Afrique du sud Fax : + 27 21 426 0036 E-mail : info@dams.org [caption] Un peu plus d’eau, c’est tout ce qu’il faut, maintenant [caption] L’irrigation sera plus importante, et plus difficile. [caption] Seulement 3% de l’eau douce mondiale peut être récoltée (le reste est gelée) et combien se perd en évaporation ?

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1999
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/62813
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