Voies d’eau

C’est clair comme de l’eau de roche : le monde a besoin de mieux gérer son eau et d’en gaspiller moins. Des discours pessimistes sur les conflits de l’eau ont occulté les nombreuses initiatives positives, expérimentations prometteuses et avancées politiques. La pénurie a mis en évidence — pour les peuples et les gouvernements — la primauté de la coopération sur la compétition et les vertus du partage, de la préservation et de l’épargne. Trop de gens ont prédit que la raréfaction de l’eau conduirait, comme pour le pétrole, à des conflits violents voire à des guerres. Pas étonnant car, contrairement au pétrole, il n’y a pas d’alternative à l’eau — c’est la base de toute vie. La demande augmente, en raison de la croissance démographique, l’industrialisation, l’urbanisation et le développement agricole avec ou sans irrigation. En 2025, plus de trente pays seront déficitaires en eau alors qu’il n’y en a qu’une vingtaine aujourd’hui, si l’on compte moins de 1000 m3 d’eau par personne et par an, soit moins de 3 m3 par jour. C’est dérisoire pour boire, se laver et cuisiner, mais cela inclut chaque goutte d’eau fraîche renouvelable disponible dans un pays, tous secteurs d’activité confondus. Selon les mêmes normes internationales, les pays qui disposent d’environ 1700 m3 connaissent déjà des problèmes d’eau 'occasionnels et locaux', alors que ceux qui disposent de moins de 500 m3 souffrent de 'pénurie totale'. Y aura-t-il réellement des conflits ? L’éditorial de Spore 74, en avril 98 demandait: ' Eau : y aura-t-il des conflits ? '. La réponse, quelque trois ans plus tard, est toujours incertaine, mais elle pourrait être 'pas forcément'. Malgré les rhétoriques précédentes, tout le monde est aujourd’hui convaincu que des solutions doivent être trouvées, car il n’y a pas d’autre issue. Certains avaient prédit le déclenchement d’une guerre, mais, selon Peter Ashton, du Conseil sud-africain de la recherche scientifique et industrielle, ils se basent sur la fausse hypothèse que les communautés et même les gouvernements ont peu ou pas de choix en la matière et que leur seule réaction logique à la pénurie d’eau est la violence. En réalité, il y a d’autres issues. La meilleure façon de prévenir et de résoudre les conflits passe par la participation des acteurs, le dialogue et le débat. Ceci vaut pour ceux qui se situent en aval dans un canal et qui dépendent de ceux qui sont en amont. Il en va de même lorsque le même fleuve ou les mêmes réserves souterraines sont exploitées par différents pays. L’Afrique, par exemple, dispose de neuf bassins fluviaux principaux — Congo, Nil, Niger, Okovango, Orange, Sénégal, lac Tchad, Volta et Zambèze — et de nombreuses nappes aquifères comme les carrières de grès en Nubie, et les bassins hydrogéologiques du Congo et du Kalahari, toutes partagées par plusieurs pays. Il n’est donc pas étonnant que les zones de tension — où le dialogue s’impose — se situent dans les régions en ' pénurie récente ' où ' totale ' (voir schéma). Soyons unis Et c’est le dialogue qui s’établit dans ces zones, plutôt que la guerre de l’eau. De nombreux pays du bassin du Zambèze ont élaboré des plans de développement de l’énergie hydroélectrique et augmenté les prélèvements pour l’irrigation, l’industrie et la consommation domestique, mais au total, cela dépasse les quantités que l’on peut prélever du Zambèze. C’est pourquoi on a mis en place le Plan d’action pour le Zambèze (ZACPLAN) en 1987. C’est la première tentative globale pour coordonner les activités et instituer une véritable gestion des ressources du bassin. Bien que le ZACPLAN ne soit pas officiellement signé par les neuf partenaires concernés, il est accepté et fonctionnel et le processus de démocratisation en cours au Malawi, au Mozambique, en Namibie et en Afrique du Sud conforte cette situation. Le Niger est le plus vaste ensemble fluvial d’Afrique de l’Ouest et son bassin est l’objet d’une initiative similaire appelée 'Autorité du bassin du Niger' (ABN). Mise en place en 1964, elle est la première du genre. Ses neuf membres vont de la Guinée à l’ouest, au Tchad, à l’est. Depuis plusieurs décennies, cette région sahélienne souffre d’une sécheresse persistante due aux mutations écologiques liées à l’intensification de l’exploitation de la terre, à l’avancée du désert et au tarissement du lac Tchad. L’ABN a été handicapée par les faibles moyens que ses membres ont pu consacrer à son fonctionnement, l’incapacité à appliquer les législations et à mettre en place les outils d’information nécessaires pour assurer suivi efficace et la gestion des données. Une récente réorganisation a permis la mise en place d’un nouveau et modeste réseau destiné à appuyer les efforts nationaux pour améliorer la gestion de l’eau à l’échelle locale. En Afrique de l’Est, des initiatives gouvernementales et non gouvernementales se sont manifestées autour du bassin du Nil avec des objectifs similaires à ceux des régions à l’ouest et au sud du continent (voir encadré). Pour les îles du Pacifique et des Caraïbes, la gestion de l’eau est plus une affaire interne qu’une question entre États. Les îles les moins élevées et les atolls sont largement dépendantes des eaux de pluie et des nappes superficielles. L’augmentation de la consommation d’eau, quel que soit le secteur, implique une meilleure gestion pour conserver l’eau courante, l’amélioration des techniques de récupération des eaux, la désalinisation de l’eau de mer et le recyclage des eaux usées. Quelques pays pourront couvrir ces coûts avec les revenus du tourisme. Des stratégies de débrouille Au-delà des initiatives gouvernementales et intergouvernementales, les citoyens et les communautés ne sont pas restés inertes. Dans les situations de ' pénurie absolue ', les populations ont mis au point leurs propres stratégies de ' débrouille '. Les Bushmen de Namibie trouvent de l’eau dans les fruits comme les melons. Les éleveurs du Soudan envoient des éclaireurs pour trouver les sources ou tout simplement suivent les pluies. Quand l’eau devient plus rare, on pense d’abord à l’épargner, à la stocker, à la conserver ou à rechercher des solutions agricoles alternatives, que Spore a bien souvent soulignées : récupération des eaux de pluie au Kenya, collecte des brumes au Cap-Vert, amélioration de l’infiltration des eaux par la construction de petites diguettes en demi-lune en Afrique de l’Ouest, captation des crues saisonnières avec des petits barrages au Zimbabwe, utilisation des eaux usées pour l’irrigation. Mais préserver l’eau ne suffit pas. Il faut la gérer. Une distribution et une utilisation égalitaires et prudentes — donc durables — impliquent l’initiative et l’engagement de tous les acteurs. C’est un processus permanent car chaque solution, chaque innovation conduit à un nouveau défi. Si une communauté construit un petit barrage pour abreuver les troupeaux, cette nouvelle disponibilité sans précédent conduit toute la communauté à déborder d’initiatives : briqueteries, bassins de pisciculture, élevage de lapins ou de volailles, parcelles communautaires irriguées, pour n’en citer que quelques-unes. Ces projets nécessiteront la recherche de nouveaux consensus au sein de la communauté ou avec des partenaires extérieurs, en amont et en aval. Ils impliquent aussi que les femmes aient explicitement leur mot à dire. Elles sont responsables d’une grande partie des travaux des champs bien qu’elles n’aient aucun droit à la terre ni à l’eau. Alors qu’elles participent à la gestion des petits projets, elles ne font généralement pas partie des comités et sont rarement en position de décideurs. Le dialogue et le consensus dont les villages sont capables doivent remonter vers les autorités au niveau provincial, national, voire régional. Aucun village n’est une île, même quand il n’y a pas d’eau. Gestion efficiente et durable de l’eau pour le développement agricole et rural en Afrique sub-saharienne et dans les Caraïbes. Rapport de synthèse d’un séminaire, Cordoue, Espagne, 1999 CTA, 1999. 36 pp. ISBN 92 9081 21 84 N° CTA 971. 5 unités de crédit

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 2001
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/62754
https://hdl.handle.net/10568/99668
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