D’abord, manger !

Lorsque votre horizon se limite à la prochaine récolte et que votre choix de nourriture à vendre ou à consommer se situe entre le 'trop peu' et le 'pas assez', le long terme et les grands discours deviennent secondaires. C’est ce conflit latent entre les tenants de la production et les partisans de la protection que nous examinons. 'Le premier droit humain de la journée, c’est le petit déjeuner '. On l’entend souvent dire dans les discussions entre ceux qui sollicitent des financements, l’œil fixé sur le possible, et les bailleurs de fonds, plus axés sur le désirable. Ce débat existe à tous les niveaux, du village aux institutions nationales et régionales. De nombreux lecteurs de Spore en ont été les témoins ou y ont participé durant l’année écoulée. Le géographe Georges Rossi est convaincu que ce débat se poursuivra encore longtemps et qu’il faudra s’y habituer, même si personne n’y est à l’aise. ' Dans les pays pauvres, les simples nécessités du lendemain, le désir d’améliorer les conditions de vie, feront percevoir encore pour longtemps la vision occidentale de l’écologie et les politiques qui en découlent comme d’étranges soucis d’esthètes, des caprices de nantis. Elles sont vécues comme des contraintes externes, politiquement correctes, passage obligés que les gouvernements font mine d’accepter pour attirer les crédits et satisfaire l’une des conditionnalités de l’aide au développement. Les paysans, les autorités locales, les mettent en œuvre sous la pression, pour les contourner ou les abandonner ensuite dès que possible. ' Dans un sens, cette pratique fonctionne assez bien, malgré ses ambiguïtés. Mais certains signes montrent que les subtilités sont de moins en moins de mise dans les négociations entre nantis et pauvres. Le développement agricole et rural, comme celui de nombreux autres secteurs, s’en trouve affecté. La question est de savoir qui conçoit les politiques globales et avec quel contenu. Hé, regardez, je suis mondialisé ! Alors que beaucoup insistent sur les aspects locaux du développement, l’évolution vers une gouvernance mondiale se poursuit plus vite qu’on ne l’imagine. Même si nos horizons familiers changent peu, nous sommes tous branchés sur une culture et une économie mondiales. Comme les nuages et les vents, les biens peuvent se déplacer d’un bout à l’autre de la planète en quelques jours, les informations et opinions en quelques secondes. Cette nouvelle proximité nous enrichit et nous rend aussi plus vulnérables. Nous sommes mieux informés de ce qui se passe dans le monde, proche ou lointain, et nous somme mieux armés pour comprendre les interactions entre les évènements. Si vous êtes branché sur les réseaux mondiaux, vous pouvez connaître les tendances des marchés dans d’autres continents ou bénéficier d’alertes précoces sur les tempêtes ou les invasions de sauterelles et vous y préparer. Vous pouvez voir plus loin et observer, par exemple, la dégradation et l’érosion des sols, la déforestation, les changements climatiques liés à l’activité humaine et leurs effets sur la production agricole. De nombreux observateurs pensent que l’ensemble du monde agricole a franchi les limites de l’acceptable. Selon ' Earth Counci ', une organisation d’observateurs basée au Costa Rica, nous consommons en moyenne plus de ressources biologiques que nous n’en reconstituons, et nous occupons plus d’espace que ce dont nous disposons. L’agriculture des Pays-Bas, par exemple, utilise sept fois plus de terre hors de ses frontières qu’à l’intérieur, principalement en Amérique latine, en Afrique et en Asie, pour faire pousser ses fleurs, ses tomates et ses produits fourragers. Il y a beaucoup d’autres ' empreintes écologiques ' de ce type. Tu ne pollueras ni ne cultiveras L’agriculture ACP connaît bien d’autres contraintes. Si vous épluchez les conventions mondiales sur la biodiversité et les changements climatiques ou le plan d’action de l’Agenda 21, vous pourrez constituer votre propre liste 'd’interdits'. Tous ces traités lancés en 1992 devront être révisés lors du Sommet mondial du développement durable à Johannesburg (Afrique du Sud) en septembre 2002. Ce sont ces questions d’environnement qui façonnent désormais l’agriculture dans les pays ACP et ailleurs — en termes souvent restrictifs. C’est comme s’il y avait un calendrier de mesures, certes bien intentionnées, mais qui handicapent la productivité et les revenus agricoles. Il y a déjà des restrictions à l’usage des engrais, herbicides et pesticides, bien que les producteurs n’aient souvent pas d’autres choix pour sécuriser leurs revenus. Dans les cinq prochaines années, le coût de ces intrants, ainsi que celui des transports locaux et du fret pour l’exportation augmenteront du fait d’écotaxes prélevées sur le potentiel énergétique de nombreux pays. Pendant la même période, les normes comme ISO 14000 (ISO = Organisation internationale de normalisation) pour la qualité internationale de l’environnement rendront plus difficiles les exportations vers les marchés occidentaux. En fait, ces mesures dressent de nouvelles barrières qui remplacent les barrières tarifaires démantelées par l’Organisation internationale du commerce ; elles sont même perçues comme du ' protectionnisme déguisé '. Plus en amont, on parle de restreindre l’accès au marché mondial de certains produits exotiques comme de nombreux fruits tropicaux, en raison des coûts excessifs d’énergie de leur exportation vers des marchés lointains. Il existe d’autres contraintes sur ' l’espace opérationnel ' des agriculteurs ACP. Les directives énoncées par la Commission mondiale de l’environnement en 1987 pour préserver 12% du potentiel écologique (en termes de superficies en terre et eau) de chaque pays pour la protection de la biodiversité posent un vrai dilemme : 12% pour les 30 millions d’espèces de la planète et 88% pour tout le monde avec une moyenne de 1, 65 ha d’espace productif biologique par personne ! Rossi s’interroge sur cette approche : ' Retirer aux communautés rurales la gestion d’une fraction de leur espace pour créer des parcs et des réserves, est-ce vraiment le meilleur moyen d’assurer à long terme et sans ruptures l’évolution de ces écosystèmes, de garantir leur avenir et celui des sociétés qui en vivent ? ' N’oubliez pas le jour qui précède demain Beaucoup de dispositions ont été prises, bien sûr, pour rendre l’agriculture plus verte et en particulier réduire ses émissions de méthane (un des gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement de la planète), émissions qui font de l’agriculture le ' troisième coupable ', après l’industrie et les transports. Les recherches pour transformer la culture du riz en rizière et pour produire à faibles coûts des aliments modifiés pour bétail afin de réduire les émissions de gaz animales sont des exemples d’initiatives environnementales. Le problème, c’est que ceux qui préconisent les solutions pour demain ne sont pas toujours ceux qui peuvent résoudre les problèmes d’aujourd’hui. Les politiques agricoles étant de fait définies à l’occasion de rencontres mondiales comme le Sommet de la Terre, ce sont les gens les plus actifs dans la culture mondiale et qui ont le meilleur accès aux réseaux d’information mondiaux qui décident. Ils n’ont pas toujours la sagesse qui vient du terrain, bâtie sur les succès, mais aussi sur des pertes de récoltes ou de marchés. Quelquefois, ils ont trop d’information et pas assez d’outils pour construire leurs jugements. Sinon, pourquoi les discussions seraient-elles dominées par le faux débat ' biologique oui, OGM, non ' ? Il est peut-être temps que la communauté agricole s’interroge publiquement et sans détours sur ce qui est prescrit et sur ce qui fait réellement obstacle à la production aujourd’hui. L’agriculture biologique est-elle automatiquement plus valable et plus saine que la production intensive ? Peut-elle nourrir le monde, en termes de protéines disponibles ? Sous quelles conditions ? Est-ce que la petite agriculture, à haute intensité de travail, peut satisfaire les besoins de la sécurité alimentaire ? Sommes-nous en train de créer deux systèmes séparés : une production alimentaire super efficace et une modeste agriculture de subsistance ? Ces questions doivent être posées, au moment où la communauté internationale s’apprête à revisiter l’ordre du jour environnemental. Si elles pouvaient être posées par les organisations paysannes de toutes obédiences et par les autres acteurs de la chaîne alimentaire, ce serait encore mieux. Personne ne peut exiger que l’agriculture mondiale soit pratiquée sur des parcelles individuelles de 1, 65 ha. Ce n’est qu’une moyenne, mais les moyennes ont leur importance. Une approche ' moyenne ', qui prendrait en compte tous les éléments en présence, serait de discuter franchement du futur, y compris de politiques accordant aux agricultures ACP un moment de répit pour leur permettre de satisfaire les besoins d’aujourd’hui. De là, nous pourrons envisager ceux de demain. Voir ' En bref ' pour savoir comment participer au Sommet de la Terre 2002. Pour en savoir plus : L’ingérence écologique. Environnement et développement rural du Nord au Sud. G Rossi, CNRS Editions, Paris, 2001. 254 pages. ISBN 2-271-05794-9. FRF 195 • 29.75 CNRS Éditions, 15 rue Malebranche, 75005 Paris, France ; fax: + 33 1 5310 2727 Site Web : www.cnrseditions.fr [points clés] Les préoccupations écologiques sont de plus en plus à l'ordre du jour du développement. Concernant l'agriculture : - de nombreuses mesures « vertes » sous-estiment les besoins de la sécurité alimentaire d'aujourd'hui ; - l'accent est surtout mis sur les scénarios du futur; - le débat est centré sur ceux qui ont accès aux réseaux mondiaux d'information ; - les organisations des pays ACP devraient participer davantage à la prochaine session du Sommet mondial de la Terre

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 2001
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/62752
https://hdl.handle.net/10568/99668
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