À l’horizon des nomades

Sédentaires et nomades peuvent cohabiter si l'on veut bien prendre en compte leur complémentarité. Il y a plusieurs milliers d’années, bien avant que l’on songe à planter en terre un grain de blé, nous avions déjà l’habitude de suivre les grands troupeaux de pâturages en points d’eau. Là où les animaux allaient, nous allions. Nous les avons apprivoisés, nous avons appris à traire leur lait et à tisser leur poil, à les défendre et à améliorer leur race en les croisant. Nous nous déplacions sans cesse et nous avons construit sur cette mobilité, sur ces pratiques, des civilisations où la richesse se mesure en nombre de têtes de bétail et où chacun se définit par l’appartenance à un clan, à une famille plus que par son lieu de naissance. Touaregs, Peuls ou Massai, FulBe ou Toubous, de l’Atlantique à l’océan Indien et du Nil aux Grands Lacs, les pasteurs perpétuent ce mode de vie dans les régions arides de nombreux pays africains. Pasteurs et agriculteurs : un malentendu réciproque Les rapports des nomades avec les autres populations sont souvent marqués par des rivalités qui relèvent d’abord d’une perception différente de l’espace et du temps. Le territoire de l’agriculteur, c’est sa terre, celui du nomade, au contraire, est rarement délimité. Ce peut être une série de points d’eau et les chemins qui y mènent. La liberté de se déplacer à sa guise sur ces parcours est pour le nomade une nécessité. Pour compliquer les choses, ces besoins ne sont pas fixés une fois pour toutes. Les nomades ont toujours dû leur salut à leur très grande souplesse d’adaptation, à leur opportunisme : qu’une période de sécheresse — ou au contraire une série de pluies inattendues — survienne, qu’un conflit rende une région dangereuse, et ils modifient leur parcours en conséquence. L’agriculture elle-même est loin d’être une donnée fixe. De nouveaux arrivants et l’accroissement de la population provoquent une augmentation de la surface cultivée (de 50 % au Niger entre 1968 et 1980, par exemple — voir Spore n° 39 ' Sahel, les éleveurs de demain ') au détriment des terres de parcours. Pas étonnant que les conflits entre agriculteurs et pasteurs soient nombreux et constants. Certains ont pris une ampleur alarmante : au Sénégal en 1991, des milliers de pasteurs FulBe ont dû abandonner la forêt de Mbegu aux planteurs d’arachide ' affamés de terre '. Des nomades qui dérangent Pour les nomades, les limites administratives ont une importance relative. Les frontières ayant été souvent tracées dans des régions arides, les zones de pastoralisme se trouvent fréquemment à cheval sur deux, voire trois ou quatre pays différents. Difficiles à contrôler en raison de leur mobilité, souvent considérés comme étrangers, les nomades paraissent, aux yeux des gouvernants, rétifs à une rationalisation satisfaisante de leur activité. Les approches gouvernementales vis-à-vis du pastoralisme ont varié au fil du temps. Les années 60 et 70 ont vu fleurir les ranches privés ou publics. Au sein d’immenses étendues clôturées, le bétail était transféré d’une pâture à l’autre selon des rotations programmées. Au Kenya, la création des Group Ranches devait permettre aux éleveurs Massai de devenir propriétaires des terres autrefois communes. Lourds à gérer, peu rationnels en fait, la plupart de ces ranches n’ont pas survécu aux premières années de sécheresse. Après la grande sécheresse de 1974 en Somalie, 120 000 éleveurs de chameaux furent ' invités ' à quitter leurs troupeaux et à s’installer dans des villages de la côte de l’océan Indien, où l’on espérait les voir se convertir à l’agriculture ou à la pêche. Cette sédentarisation brutale fut un échec. Cette période a surtout été celle des techniciens : les vétérinaires ont mis en place la couverture sanitaire des troupeaux — d’un coût élevé vu la mobilité de ceux-ci —, les ingénieurs ont creusé des forages profonds avec station de pompage. ' C’est une logique qui a bénéficié aux plus riches, qui ont pu réduire la main-d’œuvre nécessaire, et aux plus pauvres, qui ont profité de l’eau abondante ', commente André Marty, de l’Institut de recherches et d’application des méthodes de développement. Les éleveurs de base, ceux qui gèrent avec finesse le parcours de leur troupeau entre de multiples pâturages et points d’eau, en ont peu bénéficié : le piétinement des trop nombreux animaux autour de ces forages a fait disparaître la végétation et les forages se sont souvent dégradés faute d’entretien. À partir de 1975, l’accent a plutôt été mis sur l’organisation des éleveurs. À l’exemple des agriculteurs, ils ont été incités à gérer en commun les points d’eau et les pâturages, les stocks de céréales ou les produits vétérinaires. Encore un schéma venu de l’extérieur, encore un résultat décevant. Reconnaître l’intérêt du pastoralisme Les troubles qui ont marqué la décennie suivante dans plusieurs pays sahéliens ont été violents et prolongés. La paix conclue, de nouveaux sentiments sont nés : une redécouverte de la spécificité des sociétés nomades et de leur complémentarité avec les sédentaires, une reconnaissance de leur utilité agro-économique et de l’intérêt de la mobilité pastorale pour l’exploitation durable des pâturages arides. Les chercheurs qui avaient depuis longtemps souligné l’impact favorable des pratiques pastorales sur l’évolution du couvert végétal ont enfin été entendus. Dans des champs différents, la compréhension des enjeux du pastoralisme s’affine. Les modes de vie intermédiaires prennent de l’importance : les familles deviennent le pivot de déplacements plus réduits (Mali, Niger), les activités pastorales sont complétées par l’agriculture (Sénégal) ou par le tourisme (Sahel, Kenya). Des rencontres inter-communautaires visent à reconstituer le tissu social et le dialogue au Mali, un projet qui s’inscrit dans le cadre de la décentralisation. Des parcs et des réserves se créent en Guinée, au Mali (Bafing Falémé) ou au Tchad (Binder Léré) en concertation avec les pasteurs. Le code foncier du Mali s’articule maintenant sur une ' charte pastorale ' spécifique. En matière hydraulique, le projet Almy Bahaïm (' de l’eau pour les troupeaux ') vise à doter le Tchad d’un réseau de puits qui prenne en compte l’intérêt de la mobilité du bétail. Ces initiatives sont récentes, encore dispersées. Elles montrent cependant que quelque chose se lève enfin à l’horizon des nomades. Le droit à la différence, peut-être ? Pour plus d’informations : IRAM — Parc scientifique Agropolis, bât 14, 34397 Montpellier, France Les actes du colloque international sur ' Les sociétés pastorales en Afrique sahélienne ' (Agadez 1997) se lisent comme un roman. À découvrir, donc : Horizons nomades en Afrique sahélienne, sociétés, développement et démocratie, sous la direction de André Bourgeot, Karthala 1999. Nouvelles orientations du développement pastoral en Afrique. Sous la direction de I. Scoones. Coédition CTA/Karthala, 1999. 366p. ISBN 2 86537 969 8 N° CTA 957. 40 unités de crédit.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 2001
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/62644
https://hdl.handle.net/10568/99666
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