Il faut changer de valeurs

La plupart des pays en développement ont connu et connaissent encore un mouvement de privatisation. Les États se désengagent des activités dont le marché peut s’occuper. Ce processus se fonde sur la conviction que les gouvernements ne doivent pas fournir ce que le secteur privé veut et peut produire lui-même. Ils ne devraient s’occuper que des biens et des services publics par nature, autrement dit ceux qui ne peuvent être ni produits ni distribués par le marché. Cette idée est à l’origine des mouvements de privatisation des services vétérinaires partout dans le monde. Au Ghana, depuis l’indépendance, l’État fournissait des services vétérinaires gratuitement ou à des prix subventionnés aux propriétaires d’animaux. Comme le gouvernement rencontrait des difficultés financières et budgétaires, des voix se sont élevées contre la poursuite de la gratuité et des subventions. D’autres, remarquant que la pléthore de personnel ne contribuait pas à des prestations de services de qualité, ont suggéré que certains employés du service public rejoignent le secteur privé afin d’alléger la charge de l’État. Un projet visant à la privatisation des services vétérinaires a donc été lancé en 1993, encourageant les vétérinaires à rejoindre le secteur privé. Toutefois, la privatisation ne peut réussir que si les propriétaires d’animaux acceptent de payer le plein coût des services de santé animale. Leur capacité de payer dépend fortement du dynamisme du marché du bétail, car les services vétérinaires doivent le plus souvent être payés en espèces et au comptant. Or, il n’y a pas, au Ghana, de structure bien définie de commercialisation du bétail. Producteurs et consommateurs sont donc à la merci des intermédiaires, qui cherchent à maximiser les profits en achetant les animaux à bas prix pour revendre la viande le plus cher possible. Aucune structure de régulation n’existe pour l’instant. Autrefois, l’État a créé un Office de la viande chargé d’acheter les animaux aux éleveurs, de les débiter et de vendre la viande aux consommateurs à un prix raisonnable. Mais cet Office a cessé de fonctionner, notamment parce qu’il n’était pas assez soutenu par les éleveurs. Ceux-ci n’étaient pas payés comptant, et seulement sur la base du poids de la carcasse, ce qui n’était pas attrayant. Les éleveurs ont continué à vendre leurs bêtes sur pied aux intermédiaires, afin d’être payés sur-le-champ. Des intermédiaires trop puissants Les intermédiaires — principalement des bouchers et des personnes influentes des communautés d’éleveurs — ont un monopole et peuvent fixer unilatéralement les prix d’achat et les prix de vente. Les éleveurs ne sont pas bien organisés et ne sont donc pas en position de défendre leurs intérêts face aux intermédiaires. Si cette situation demeure inchangée, les éleveurs continueront à être mal payés et n’auront pas les moyens de rétribuer les services des vétérinaires privés. La pratique libérale ne nourrissant pas son homme, les vétérinaires seront découragés de s’y adonner. Le système de valeurs des éleveurs est une autre caractéristique du marché qui fait obstacle à la privatisation. Les éleveurs préfèrent le nombre à la qualité. Ils rechignent à vendre leurs animaux, sauf quand ils ont absolument besoin d’argent, ou en cas de sécheresse ou de maladie. Cela a de graves conséquences. Quand les éleveurs vendent parce qu’ils ont besoin d’argent, ils sont prêts à accepter n’importe quel prix, même très en dessous du prix du marché. Ils vendent donc à perte. Mal rémunérés de leurs efforts, ils ont tendance à ne pas investir dans leurs bêtes. S’ils vendent leurs animaux quand ils sont mal nourris ou malades, ou en période de sécheresse, ils ne peuvent pas non plus en obtenir un bon prix. Il faut donc mettre en place un dispositif qui les aide à déterminer à quel moment vendre leurs animaux et comment les commercialiser. Rémunérer la qualité Afin de résoudre ces problèmes de structure du marché, il faudrait encourager les éleveurs à former des coopératives, mais sanscontrôle ni connotation politique. Ces coopératives pourraient fournir les intrants à meilleur marché (grâce aux économies d’échelle) et faciliter la commercialisation. Elles pourraient s’attacher des vétérinaires, à plein temps ou à temps partiel, ce qui contribuerait aux efforts de privatisation. Elles pourraient aussi faire pression pour que des règles équitables de commercialisation soient établies, principalement là où les monopoles sont le plus nombreux. Un autre moyen de stimuler la restructuration du marché serait d’introduire des primes à la qualité. Aujourd’hui, aucune modulation des prix n’encourage une production de meilleure qualité qui rapporterait davantage. Dès lors qu’ils sont rétribués correctement pour une production de qualité, les éleveurs seront plus enclins à faire appel aux services vétérinaires. Enfin, il faudrait éduquer les éleveurs pour qu’ils gardent les animaux de meilleure qualité plutôt qu’un grand nombre de têtes pour le prestige. Cela peut se faire via les associations de producteurs et le paiement de primes à la qualité. Il peut être aussi utile de travailler avec des sociologues et anthropologues ruraux pour faciliter cette évolution de la quantité vers la qualité. Nous croyons que tout cela aidera à privatiser progressivement les services vétérinaires. [caption] Dr Paa Kobina Turkson est maître de conférences et chef par intérim du département de zootechnie de l’École d’agronomie de l’Université de Cape Coast au Ghana. Il a consacré sa thèse de doctorat à la privatisation au Ghana et en Jamaïque. Les opinions exprimées dans ce Point de vue sont celles de l’auteur, et ne reflètent pas nécessairement les idées du CTA.

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Bibliographic Details
Main Author: Turkson, Paa Kobina
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 2000
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/62393
https://hdl.handle.net/10568/99661
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