Retour vers le futur?

La filière du 'bio' veut sortir de sa marginalité pour se poser en enjeu majeur de la consommation et des pratiques agricoles. Les consommateurs des pays industrialisés ont appris à leurs dépens qu’ils avaient mangé pendant des années du veau aux hormones, de la vache folle et du poulet à la dioxine; leur engouement pour le biologique va de pair avec un besoin de sécurité et d’authentique. Mais aussi — peut-être — avec la conscience d’avoir à sauvegarder la planète pour que les générations futures continuent de s’en nourrir. Comment les agriculteurs et les consommateurs des pays ACP sont-ils concernés par cette lame de fond? Au commencement, l’agriculture était biologique. Au fil du temps, on inventa le pulvérisateur à pression, le sac d’engrais et la Révolution verte : l’agriculture devint 'intensive', elle devait nourrir tous les hommes… La conséquence, à la longue, se traduit par un déséquilibre de la pyramide écologique. Tous les agriculteurs du monde le savent, qui connaissent leur terre et sa nature : 'Cet écosystème déséquilibré, explique Joël de Rosnay1, cherche spontanément à retourner à un état de complexité plus élevé par prolifération d’insectes et de mauvaises herbes, ce qu’empêchent les agriculteurs à grands coups de pesticides et de désherbants.' Non, pas tous : 80 % des agriculteurs (surtout dans les pays du Sud) n’ont pas les moyens de faire autre chose que de planter en espérant qu’il y en ait assez pour toute leur famille, c’est l’agriculture de subsistance; 1 % des agriculteurs (surtout dans les pays du Nord) ont choisi de ne pas utiliser des intrants chimiques et de vendre leur production (biologique) à quelques consommateurs aisés et avisés. Questions de vocabulaire Dans l’agriculture biologique, l’utilisation d’engrais issus de l’industrie chimique et de pesticides pour lutter contre les mauvaises herbes, les insectes, les champignons et les bactéries est sinon totalement interdite, du moins contrôlée. Qui s’engage dans l’agriculture biologique s’inscrit dans l’optique récemment clarifiée par la commission du Codex Alimentarius de la FAO2 : 'L’agriculture biologique […] favorise la santé de l’agrosystème, y compris la biodiversité, les cycles biologiques et l’activité biologique des sols. […] Dans cette optique, des méthodes culturales, biologiques et mécaniques sont, dans la mesure du possible, utilisées de préférence aux produits de synthèse, pour remplir toutes les fonctions spécifiques du système.' Mais alors, par manque de moyens ou de connaissances, les agriculteurs ACP ne cultivent-ils pas 'biologique' malgré eux? Et la voie d’un marché porteur ne leur serait-elle pas ouverte, presque naturellement? C’est compter sans un certain nombre de paradoxes et d’obstacles. Manger plus sain (quand on en a les moyens) Manger 'bio', autrement dit plus sain, devient le souci majeur des consommateurs occidentaux. Mais qu’en est-il dans les pays ACP? L’ouverture d’un marché de produits biologiques à Dakar (voir Spore n° 83) témoigne certes d’une volonté de pénétrer un créneau prometteur. Mais l’initiative est très localisée. En réalité, le marché intérieur national et régional ACP s’articule toujours autour d’une demande élémentaire mais vivace : les gens ont besoin de manger certes sain, mais surtout en quantité suffisante et au meilleur prix. À l’exportation, la filière biologique ne concerne guère que les 'gros'. Ceux qui peuvent investir dans la certification des produits pour les écouler sous les labels adéquats. Il ne suffit pas, pour vendre un maïs 'biologique', qu’il provienne d’une culture sans engrais chimique — trop facile! Il faut, en effet, faire certifier toute la chaîne de production par un organisme indépendant. Ces procédures sont encore presque toujours assurées par des organismes du Nord et reviennent cher. Produire plus sain (quand c’est possible) Le prix de la certification des produits n’est pas le seul problème à surmonter. Selon une enquête de la FAO, 63 % des agriculteurs d’Afrique subsaharienne citent le manque d’informations comme le plus grand obstacle à l’adoption d’un mode d’exploitation biologique. Parfois, les techniques sont connues, mais elles sont trop chères. L’année dernière, les producteurs de banane de Santo Antão, une petite île montagneuse de l’archipel du Cap-Vert, se sont réunis pour voir comment ils pourraient augmenter leur production de banane biologique (voir Spore n° 74 et page 6, rubrique 'En bref'). Ils se sont quittés découragés : importer des bananiers in vitro résistant aux viroses est un gros investissement et aucun organisme scientifique ne semble avoir mis au point un programme de lutte intégrée contre le mil pès, un insecte local qui s’attaque au pseudo-tronc. Pour des raisons similaires, les techniques s’inscrivent parfois difficilement dans le contexte socio-économique de la production. Au Ghana, par exemple, on augmente significativement la production des cocotiers avec des engrais minéraux, relativement bon marché. On pourrait obtenir le même résultat, et même de façon plus durable, en laissant au pied des arbres les bourres de coco habituellement vendues comme fibres aux fabricants de tapis. Poser des cornes autour des pieds des jeunes arbres fruitiers est, par ailleurs, une autre pratique qui a porté… ses fruits. Mais peu d’agriculteurs ont les moyens de se passer des revenus immédiats tirés de la bourre de coco ou des cornes de zébu. Le long terme est un luxe… Or, l’agriculture biologique s’inscrit dans la durée, alors que peu d’agriculteurs ont les moyens d’attendre les deux ou trois ans nécessaires à l’élimination des résidus chimiques, au recyclage des résidus végétaux et animaux et à la mise en place de la rotation des cultures. Ceux qui ne sont que locataires hésitent à se convertir s’ils n’ont pas une garantie d’accès à la terre pendant les années ultérieures, lorsque les avantages de la production biologique deviendront tangibles. Le comité de l’agriculture de la FAO a évoqué ces problèmes lors de sa quinzième réunion, en janvier 1999. Il préconise, entre autres, de mettre en place des réseaux de communication entre chercheurs, de promouvoir des organisations régionales de certification et de créer des 'fermes-écoles' qui pourraient évaluer les contributions de la production biologique à la sécurité alimentaire en procédant à des essais d’adaptation sur le terrain Agriculture biologique ou raisonnée? Beaucoup des pratiques culturales de l’agriculture biologique (cultures mixtes, rotation des cultures, couverture du sol avec des déchets organiques ou combinaison de l’agriculture et de l’élevage) sont de toute façon recommandées par les agronomes, parce qu’elles vont dans le sens d’une plus grande durabilité des cultures. Dans le nord de la Côte d’Ivoire, les agronomes du projet Geprenaf (Gestion participative des ressources naturelles et de la faune) ont convaincu les villageois de construire et d’utiliser des fosses à compost, sans qu’il soit pourtant question de 'faire du bio'. C’est dans le même esprit réaliste que l’on cherche, chaque fois que c’est possible, à réduire et à mieux utiliser les engrais de synthèse et les insecticides chimiques. On parle alors d’agriculture et de produits 'raisonnés'. La formule, simplement synonyme d’un ensemble de bonnes pratiques agricoles, séduit de plus en plus de producteurs et de consommateurs. Elle est souvent protégée par des labels garantissant que le produit provient d’une zone où les agriculteurs se sont collectivement engagés à respecter un certain nombre de pratiques améliorant la qualité sanitaire et gustative du produit. Que l’on parle de 'biologique' ou de 'raisonné', l’essentiel est qu’un mouvement de fond vers une agriculture plus respectueuse du vivant et une alimentation de meilleure qualité existe bel et bien. La vraie bonne nouvelle serait d’apprendre que c’est ainsi que l’on pourra nourrir six milliards d’hommes, et bien plus demain. Tout en gardant vivace ce qu’en disait André Lwoff, prix Nobel de médecine 1965 : 'Une chose est bonne quand elle tend à préserver l’intégralité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique, elle ne l’est pas quand elle tend à autre chose.' [points clés] En d'autres termes - Le marché des produits biologiques est prometteur, mais limité - Les techniques de l'agriculture biologique ne sont pas miraculeuses, mais elles vont, la plupart du temps, dans le sens d'une plus grande durabilité - L'agriculture 'raisonnée' cherche à utiliser ces techniques d'une manière pragmatique et profitable au plus grand nombre. Pour en savoir plus : Codex Alimentarius Secretariat of the Joint FAO/WHO Food Standards Programme Food and Agriculture Organization Viale delle Terme di Caracalla 00100 Rome - ITALIE Fax : + 39 06 5705 4593 Site Web : www.fao.org IFOAM (Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique) c/o Ökozentrum Imsbach 66636 Tholey-Theley - ALLEMAGNE Fax : + 49 6853-30110 E-mail : IFOAM@t-online.de Site Web : www.ifoam.org 1 Directeur du développement de la Cité des sciences et de l’industrie de La Villette, France. 2 Extrait de Directives concernant la production, la transformation, l’étiquetage et la commercialisation des aliments issus de l’agriculture biologique. 23e session du Codex Alimentarius de la FAO en juin 1999.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 2000
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/62148
https://hdl.handle.net/10568/99658
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