Un marché, oui, pas la foire!

Entreprise il y a presque vingt ans, la privatisation des services vétérinaires en Afrique a-t-elle atteint l'âge de raison? Elle a corrigé ses défauts de jeunesse, mais beaucoup reste à faire pour qu'elle remplisse sa véritable mission : offrir aux éleveurs une meilleure qualité de services.. Il y a l'avant et l'après désengagement des États et libéralisation du secteur vétérinaire en Afrique. Avant, l'État, importateur officiel de médicaments à usage vétérinaire, approvisionnait les vétérinaires et les appointait. Cette médecine publique présentait l'inconvénient majeur de coûter cher à l'État et d'être inaccessible aux éleveurs situés en zone rurale éloignée. Dans la foulée d'un réajustement structurel de leurs activités, les États africains se sont donc désengagés de celle-ci, insuffisamment opérationnelle. La privatisation des services vétérinaires visait à les renforcer, à améliorer la distribution des médicaments, à favoriser le développement d'entreprises privées, vétérinaires ou non, aptes à accompagner — voire à mettre en œuvre — une véritable stratégie de soins aux animaux. Synonyme de libéralisation, cette privatisation a certes favorisé la multiplication des sources d'approvisionnement, mais aussi le développement d'un marché parallèle où s'écoulent des produits de qualité douteuse. On trouve désormais des médicaments vétérinaires partout, mais parfois n'importe où et n'importe comment. Cette situation engendre deux types de menace. La première pèse sur les vétérinaires dont la principale source de revenus — la vente des médicaments et des vaccins — est soumise à forte concurrence : concurrence des grossistes importateurs qui approvisionnent des concessionnaires mais se posent parfois en détaillants en vendant leurs produits directement aux éleveurs; concurrence d'intermédiaires illégaux s'interposant entre grossistes et professionnels; concurrence des ingénieurs ou auxiliaires d'élevage; concurrence des agents de l'État qui, en coulisses, sont encore présents dans les circuits de distribution. 'Pourquoi les éleveurs iraient-ils payer les services d'un vétérinaire privé alors qu'ils peuvent trouver des médicaments partout?' Telle était la question posée en décembre 1998 lors du colloque organisé à Arusha en Tanzanie sur le thème 'Fournitures de services de santé animale en Afrique de l'Est' (voir Spore n° 80, page 8). Pour ses intervenants, comme pour les participants aux journées internationales de Bamako (1994), les vétérinaires devraient être seuls habilités à prescrire et à distribuer médicaments ou vaccins et à bénéficier d'une exclusivité sur leur vente. Comment pourraient-ils vivre de leur profession autrement? Comment rempliront-ils leur mission s'ils n'ont pas même les moyens d'acheter un vélo pour se déplacer? Du fait de l'automédication que la libéralisation encourage, une seconde menace pèse sur la santé du bétail, sur celle des consommateurs et sur l'environnement. N'a-t-on pas récemment attiré l'attention sur les dangers de l'ivermectine, un vermifuge très performant ? Près de 80 % de ce produit passent dans les excréments d'un animal. Administré exagérément, l'ivermectine affaiblirait ou même éliminerait les bousiers, avec comme conséquences l'accumulation d'excréments, la disparition de la flore ainsi recouverte, la prolifération de mouches, etc. La résurgence de certaines maladies — la rage refait surface dans certaines régions d'Afrique de l'Ouest — témoigne d'un moins bon contrôle de l'état sanitaire ou du peu d'influence des services vétérinaires dans certaines zones. Décidément, le médicament vétérinaire n'est pas un intrant comme un autre. Il doit répondre à des critères de qualité, d'efficacité et de sécurité. Une meilleure disponibilité des produits vétérinaires ne suffit donc pas pour dire qu'un service vétérinaire est assuré, affirmait-on à Arusha où l'on relevait, parmi les freins au décollage de la médecine vétérinaire en Afrique de l'Est : le manque de moyens financiers et techniques, les difficultés d'accès au crédit d'installation, l'absence d'information des éleveurs habitués à s'occuper eux-mêmes de leurs animaux, l'inadéquation de l'enseignement délivré aux élèves vétérinaires (copié des écoles européennes) avec les réalités du terrain, le manque de formation des auxiliaires d'élevage, et l'absence de reconnaissance des associations de vétérinaires au niveau national. Des actions d'appui technique, de formation, de sensibilisation auprès des différents protagonistes de la filière vétérinaire doivent donc être intégrées dans le processus de privatisation qui engage à la fois les éleveurs (organisés ou non en groupements), les opérateurs privés (vétérinaires, techniciens et auxiliaires d'élevage), les laboratoires (pour la plupart étrangers), les bailleurs de fonds et les services de l'État dont le rôle doit demeurer celui d'un régulateur. Le vétérinaire : la clé de voûte du système Tous les pays d'Afrique ne sont pas logés à la même enseigne, certes. Mais il semble que les enjeux de la privatisation, les possibilités d'évolution rapide du marché et le rôle clé de la profession vétérinaire aient été compris par certains. Cela dépend pour beaucoup de l'intérêt qu'ils portent à leur élevage et des moyens mis en œuvre pour le développer. La réussite de la privatisation des services vétérinaires est étroitement liée à une politique cohérente incitant les éleveurs à investir 'rentablement' en santé animale et à s'organiser pour ce faire. Dès lors, ils recherchent la sécurisation de leur activité en s'appuyant sur un accès sûr à des intrants vétérinaires de qualité. C'est le cas du Sénégal, par exemple, qui a structuré ses services vétérinaires privés autour d'un élevage de quatre millions de poulets. C'est le cas du Mali qui, avec la mise en place d'un comité de suivi composé de la Direction de l'élevage et de l'Ordre de la profession vétérinaire, a structuré les siens autour de quelque 200 000 bovins exportés par an. Au Togo, au Mali et à Madagascar, Vétérinaires sans frontières, avec d'autres partenaires (autorités locales, Banque mondiale, Union européenne), a mis en place des projets comprenant l'aide à l'installation de vétérinaires privés, la constitution de groupements d'éleveurs, la formation d'auxiliaires d'élevage et l'approvisionnement en médicaments courants. En Afrique de l'Ouest ou du Centre plus qu'en Afrique de l'Est, des progrès ont été réalisés pour 'assainir' les circuits de distribution. 'Dans toute l'Afrique de l'Ouest, la privatisation a amené de plus en plus de professionnels dans le secteur, constate Jean-Loup Leclerc, responsable commercial des Laboratoires Mérial. Les vétérinaires professionnels, formés dans des écoles vétérinaires africaines, à Dakar ou au Kenya, détiennent 80 % des importations. Ils sont présents sur le terrain, ils développent des efforts de promotion, de vulgarisation, de formation et d'information auprès des protagonistes de la filière. Nos produits se distribuent de plus en plus normalement; il s'agit majoritairement d'antiparasitaires externes et internes et de vaccins, un marché prioritaire pour les vétérinaires privés qui en assurent la distribution.' Bien sûr, une frange des importations de médicaments reste entre les mains de 'margoulins', relève Jean-Loup Leclerc. La solution se trouve dans le professionnalisme : 'Tout se passe bien quand des vétérinaires professionnels s'adressent à des laboratoires qui ont une éthique de vrais laboratoires.' Sur un marché ouvert où se concurrencent des fournisseurs européens, asiatiques ou indiens, il y a beaucoup d'efforts à faire au niveau du contrôle et de l'enregistrement des produits vétérinaires en circulation en Afrique. L'autorisation de mise sur le marché (AMM), dont l'objet principal est d'assurer la qualité du médicament vétérinaire (du point de vue de sa composition, de son efficacité et de son innocuité), apparaît comme une solution aux tracasseries douanières et administratives auxquelles se heurtent les laboratoires fournisseurs. Mais sa mise en œuvre (coûteuse) ne se justifie que par l'existence d'une véritable industrie pharmaceutique vétérinaire, ce qui n'est pas le cas sur le continent. 'Pour l'heure, explique Didier Richard, directeur adjoint du CIRAD-EMVT1, l'Afrique a le choix : accepter la législation des pays exportateurs, comme l'ont fait certains pays méditerranéens en s'inspirant de la législation française, ou mettre en place des structures légères, des agences régionales d'enregistrement et de contrôle.' Beaucoup de pays sur le continent y songent… 1 Département Élevage et médecine vétérinaire. Sources :Séminaire 'Privatisation des services aux éleveurs', Journées internationales de Bamako, décembre 1994, Bamako, Mali.Éd. Vétérinaires sans frontières. Atelier 'Fournitures des services de santé animale en Afrique de l'Est', décembre 1998, Arusha, Tanzanie.CTA/Coopération autrichienne/VetAid.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1999
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/62028
https://hdl.handle.net/10568/99656
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