Banquiers ambulants au Bénin : les colporteurs de l'argent

Dans les villes béninoises, les jours de marché, des banquiers ambulants sillonnent les allées á la rencontre de leur clientèle, nombreuse et diverse. Des dizaines de milliers de personnes leur confient de petites sommes d'argent dont ils récupéreront la totalité en fin de mois. Outre ces services d'épargne, les banquiers offrent aussi des possibilités de crédit. Cet appui financier permet de soutenir des activités de commerce, de transformation agro-alimentaire et représente pour la clientèle concernée l'unique possibilité d'accès au financement. «Avec moi, c'est la chance », « Soleil des jours attrayants », « Tac au tac », les noms des banquiers ambulants béninois attirent la clientèle comme une enseigne de commerce. Au Bénin, environ 440 travailleurs indépendants exercent cette profession (il en existe aussi, beaucoup moins nombreux, au Togo). D'après Makarami Adéchoubou, auteur d'une étude sur ces banquiers pour le compte de l'IRAM (Institut de recherches et d'applications des méthodes de développement) : « certains les classent dans la grande famille des « tontines » mais ils s'en différencient nettement : pas de groupe social, pas de tour, de réciprocité, de solidarité de secours ou d'aspect festif mais une relation personnalisée entre un banquier et ses clients. » Les premières traces que l'on retrouve de ces hommes de finance originaux remontent aux années 20. Ils appartenaient en majorité aux ethnies Yoruba et Nagot. Aujourd'hui, beaucoup de commerçants et de chômeurs diplômés ont imité ces banquiers inventifs (ceux qui ont très bien réussi peuvent gagner jusqu'à 100 000 FCFA par mois) et on n'observe plus de spécificité ethnique. Sillonnant à mobylette ou à moto les allées des marchés et les quartiers des villes, les banquiers ambulants vont à la rencontre de leur clientèle constituée le plus souvent de connaissances, d'amis ou de relations. Car la première qualité demandée à ces financiers est d'avoir une réputation d'hommes honnêtes et sérieux ils peuvent à tout moment partir avec la caisse (les quelques rares cas recensés ont laissé de cuisants souvenirs). Dans l'ensemble, les relations basées sur ce contrat de confiance se passent très bien, on observe peu de conflits et lorsqu'ils existent, ils se règlent à l'amiable. Certains clients prudents répartissent cependant leurs cotisations entre plusieurs banquiers ou ont recours à la fois à la garde à domicile et aux services du banquier. Comme l'explique Makarami Adéchoubou, le système est simple : « la forme la plus usitée est la remise d'une carte avec 31 cases, portant le nom, l'adresse et parfois la photo du banquier. Client et banquier se mettent d'accord sur un montant journalier de cotisation et à la fin de la carte, le banquier rend l'ensemble des sommes cotisées par le client, moins une remise journalière qui représente la commission pour le service rendu, soit un coût de 3 % par mois. » Les cotisations peuvent se faire une ou deux fois par semaine en fonction des jours de marché et s'étaler sur une plus longue période. Les mises minimales sont de 20 à 50 FCFA mais la moyenne générale est de 100 FCFA, 500 FCFA , 1000 FCFA voire plus. Longtemps cantonnés dans un rôle de caisse d'épargne, les banquiers ambulants sont aujourd'hui devenus aussi caisse de crédit. A quelques clients anciens et sûrs, ils accordent des prêts, d'une durée supérieure à trente jours, avec des taux d'intérêt variant de 5 à 20 % par mois. Comme le souligne Makarami Adéchoubou, « cette complexification a nécessité des fonds propres et une bonne gestion de la trésorerie de façon à pouvoir utiliser les dépôts des uns pour faire des avances aux autres ». Les banquiers ont facilement pu franchir ce pas dans la mesure où beaucoup de leurs clients épargnants ont depuis très longtemps eu besoin d'avances avant la fin du mois. Ils savaient donc déjà gérer leur trésorerie. Un petit crédit, mais une grosse aide Chaque banquier compte entre 100 et 300 clients qu'il recrute dans des métiers aussi divers que le commerce, l'artisanat, la couture, la coiffure, l'enseignement ou l'alimentation; 80 % de ces clients sont des femmes et tous n'ont pas accès aux services bancaires traditionnels, soit parce qu'ils ne présentent pas les garanties demandées, soit parce que les sommes en jeu sont trop faibles (seulement 11 % ont un compte parallèle dans une banque classique). L’épargne constituée ou les demandes d'avance servent par exemple à acheter des pagnes en gros pour les revendre au détail, à acquérir des pièces détachées pour réparer des machines défectueuses, à obtenir des bidons d'huile alimentaire de 20 litres pour la fabrication de beignets, à payer du nouveau matériel pour pouvoir s'agrandir ou diversifier son activité. On voit aussi parfois des chauffeurs de taxi demander des crédits pour acheter de l'essence. Ces services financiers sont donc insuffisants pour lancer de nouvelles activités mais ils aident au bon fonctionnement de certains métiers et permettent parfois même à certaines professions d'évoluer. Souplesse et facilité sont les deux qualités majeures recherchées par les clients auprès de ces banquiers. Dans quel autre service financier auraient-ils la possibilité d'emprunter en cours de cycle d'épargne, de fructifier d'aussi petites sommes, d'aménager selon leurs besoins leurs dates de retrait et de versement? En outre, aucune procédure administrative ne vient alourdir le fonctionnement du système : en moins d'une minute, sans formulaires longs et fastidieux, la transaction est conclue sur les lieux de vie des clients, avec un banquier qu'ils connaissent et en qui ils ont confiance, les jours qu'ils désirent. Cette bonne adaptation à l'environnement socioculturel de la clientèle explique le succès de ce type d'activité, comme de la plupart des systèmes financiers informels des pays du Sud qui connaissent aujourd'hui une popularité croissante. La modicité des sommes déposées et des crédits accordés ne doit pas reléguer l'activité des banquiers ambulants à une place subalterne. « Les sommes en jeu sont importantes même si elles restent faibles par rapport à la masse monétaire nationale ou aux dépôts dans les banques classiques, » souligne l'auteur de l'enquête. Elles se comparent tout à fait aux activités des Coopec en milieu rural et urbain. A titre indicatif, le montant d'épargne annuelle collecté serait d'environ 9 milliards de FCFA, soit environ 20 millions de FCFA par banquier et par an, ces sommes devant être considérées comme des flux qui circulent à grande vitesse. Malgré ces bons résultats, la modération reste de mise pour les économistes. La banque ambulante est loin de satisfaire la demande de financement des activités économiques du pays et n d'avoir un impact significatif sur le développement. Les aides apportées financent t des activités à faible productivité. Ces activités n'en sont pas moins vitales pour des milliers de commerçants et d'artisans des villes, sans qui la vie des populations citadine serait difficile. Par ailleurs, la demande d'aide à l'épargne et au crédit traduit une volonté de réussite et un dynamisme chez la clientèle, que souligne Makarami Adéchoubou dans la conclusion de son étude : « les clients paient, et assez cher, pour s'obliger à épargner au lieu d'attendre une rémunération de leur épargne! » Bibliographie Etude de Makarimi Abissola Adechoubou Projet régional de crédit - FENU - C/O PNUD Boîte Postale 154 - Dakar - SENEGAL IRAM - 49, rue de la Glacière 75013 Paris - FRANCE

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1997
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/61605
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