Le conseil de gestion au service des producteurs

Le manque d'informations pertinentes, en particulier en matière économique, et l'insuffisance de moyens d'évaluation, de gestion et d'organisation limitent les capacités d'innovation des agriculteurs et des autres acteurs économiques ruraux. Ceux-ci ont donc besoin de formation et d'interlocuteurs attentifs à la diversité de leurs attentes réelles que la vulgarisation et l'encadrement directifs ont jusqu'ici parfois ignorés. Adapté aux réalités rurales des pays en développement, le conseil de gestion (CdG) propose aujourd'hui des méthodes souples et éprouvées que certaines organisations paysannes commencent elles-mêmes à adopter en recrutant leurs propres conseillers. Deux difficultés freinent encore cette évolution : la rareté relative des techniciens compétents pour ce travail de conseil et les incertitudes quant aux modes de financement. Pour s'adapter aux demandes des marchés et accroître la rentabilité de leurs activités, les agriculteurs doivent améliorer en permanence leurs systèmes d'exploitation. Linnovation, de ce fait, est une nécessité à laquelle ils sont souvent mieux disposés qu'il n'y paraît dès lors qu'ils entrevoient de bonnes chances de profits, suffisamment rapides et sans risques disproportionnés. Pour s'en être tenues aux seules techniques de production, sans traiter les aspects économiques et organisationnels qui déterminent les possibilités d'adoption des innovations, les méthodes classiques de vulgarisation centralisée ont connu beaucoup plus d'échecs que de succès. L; introduction de procédures de consultation des utilisateurs, notamment dans la méthode Benor (formation et visites), n'a pas favorisé d'évolution fondamentale car elle ne plaçait pas la capacité d'initiative personnelle des acteurs au centre du processus de développement (Lire Vulgarisation agricole : redéfinir la notion de service, Spore n° 68). Accroître la capacité de décision des producteurs En revanche, et au-delà des différences de méthodes liées à l'adaptation aux situations agricoles contrastées des pays en développement, les praticiens du conseil de gestion, chercheurs et animateurs, s'accordent sur l'objectif : permettre aux agriculteurs d'accroître leur capacité de décision et leur autonomie dans la conduite de leur propre exploitation. Tous les producteurs ne sont pas concernés de la même façon. Dans un dossier thématique, l'Inter-Réseaux recense un certain nombre de conditions favorables, sinon indispensables, pour que le conseil de gestion puisse s'appliquer et, surtout, pour que les agriculteurs puissent être demandeurs et en tirer bénéfice : l'alphabétisation préalable des participants, la maîtrise du calcul de base, l'intégration à une économie monétarisée, donc au-delà de la seule production d'autoconsommation... « Sans penser que le conseil de gestion va tout résoudre, ce qui serait une erreur grave, [ .. ] il apparaît clairement, par exemple, que lesagriculteurs qui investissent beaucoup (irrigation, plantation) sont potentiellement plus demandeurs que des producteurs qui sont dans des situations d'autarcie ». Lé volontariat des participants est la première règle de base du conseil, quelle que soit la forme sous laquelle il a été expérimenté et mis en oeuvre dans différents pays d'Afrique de l'Ouest, notamment en Côte d'Ivoire, au Mali, au Burkina Faso et au Bénin. Deux options complémentaires doivent être distinguées selon le niveau technico-économique des exploitations. Le conseil à l'agriculture d'entreprise Un premier type de conseil s'adresse à des professionnels qui ont déjà adopté des stratégies tournées vers le marché. Directement adaptée de celle qui a cours en Europe, cette démarche s'attache à l'analyse de la gestion économique de l'exploitation. Elle repose sur le recueil systématique de toutes les données de base nécessaires à l'établissement d'un bilan rigoureux : état et mouvements des stocks, des immobilisations, des créances et des dettes. E autoconsommation des produits vivriers est également prise en compte. L’exploitant dispose de deux carnets pour la collecte, au jour le jour, des informations opérationnelles qui constituent l'élément primordial du travail de conseil. Sur l'un, il enregistre tous les mouvements de trésorerie - recettes et dépenses. Sur l'autre, il note la nature exacte et les temps des travaux effectués sur son exploitation par l'ensemble de la main-d’œuvre qu'il mobilise. Le conseiller de gestion qui suit l'exploitation veille à l'exactitude de ces données qu'il analyse au fur et à mesure du déroulement de la campagne. Outre les résultats globaux du bilan classique, cette analyse permet de faire apparaître un certain nombre d'éléments déterminants pour la gestion de l'exploitation, en particulier les temps de travaux effectivement consacrés à chaque culture et les marges bénéficiaires réelles dégagées par chacune d'elles. Ce type de suivi ne peut être qu'individuel, ce qui limite les possibilités d'intervention du conseiller à un petit nombre d'exploitations. Il lui permet en revanche d'identifier les atouts et les contraintes de chaque exploitation et d'inciter l'agriculteur à raisonner ses choix de gestion technico-économique, notamment concernant les surfaces cultivées, les intrants ou l'introduction de nouvelles cultures, en fonction du contexte de l'exploitation, en particulier des opportunités de marché et de la disponibilité éventuelle de ressources externes, main-d’œuvre ou financement, par exemple. Etant donné son coût, ce conseil en gestion économique est encore marginal dans la situation actuelle des pays en développement. Il est néanmoins pratiqué depuis une quinzaine d'années en Côte d'Ivoire par le Centre de gestion des exploitations agricoles (CGEA) de l'Institut agricole de Bouaké qui assiste une soixantaine d'exploitants. Engagé plus récemment dans la même voie, le CGEA de la Faculté des Sciences agronomiques de Cotonou pratique également le conseil de gestion avec des groupements de producteurs. Le conseil aux petites exploitations familiales Au Mali depuis le tout début des années 80 et au Burkina Faso aujourd'hui, le conseil de gestion technico-économique a développé des méthodes d'intervention adaptées aux petites exploitations familiales, très largement majoritaires dans les pays ACP. Pratiqué au village, avec des groupes de huit à douze producteurs et productrices nécessairement volontaires, ce conseil reste malgré tout personnalisé. Moins sophistiqué sur le plan comptable, il laisse toute la place aux producteurs qui traitent eux-mêmes les données de leur propre exploitation. Le conseiller est avant tout animateur et formateur. Les séances de conseil ont lieu toutes les deux semaines pour une demi-journée consacrée à la mise à jour des carnets de conseil pré imprimés qui permettent d'organiser le travail du groupe La structure de l'exploitation (composition de la famille, équipement...) varie peu dans le temps, mais le suivi des cultures, parcelle par parcelle, demande plus d'attention et d'explication de la part du conseiller. Ce suivi ouvre sur des notions plus abstraites telles que le rendement ou les doses d'engrais que les agriculteurs ont souvent des difficultés à appréhender, au moins au début. Les questions techniques émergent, dont les participants débattent en comparant leurs résultats : à quelle date faut-il semer chaque culture? Quelle préparation du sol peut-on envisager? Comment peut-on gérer le calendrier des travaux? Troisième volet du travail sur le carnet de conseil, l'analyse du résultat technico-économique permet d'établir la relation directe entre les opérations culturales et la marge brute dégagée sur chaque parcelle. Cette analyse suscite souvent de vifs débats entre les participants qui peuvent comparer l'efficacité de différentes pratiques ou évaluer l'opportunité de tel choix de culture - coton ou maïs, par exemple - en fonction des coûts réels de production et des prix de vente sur le marché local. Les discussions s'organisent autour de la présentation au tableau noir et de l'examen collectif de la conduite et du bilan des exploitations les plus représentatives du groupe. Chacun évalue ainsi la pertinence de ses propres choix par comparaison aux résultats obtenus par ses collègues. L’identification des différentes contraintes d'exploitation rencontrées conduit à la définition d'une série d'actions techniques auxquelles les participants adhéreront en fonction de leurs besoins spécifiques. Si un groupe rencontre par exemple des problèmes d'érosion, le conseiller organisera des visites aux champs, dans d'autres villages, éventuellement éloignés, où des haies ont été implantées pour résoudre cette difficulté. Lorsqu'à la suite de ces visites le groupe ou au moins une partie de ses membres adoptent le principe des haies, l'action technique consistera à organiser des pépinières. Le conseiller interviendra autant que nécessaire, pour aider à se procurer sachets et semences par exemple, mais il ne le fera que pour répondre à un besoin identifié par le groupe. A la différence de la vulgarisation sur le mode « formation et visites » qui s'en tient, par principe et par nécessité, à la vulgarisation d'un nombre limité d'itinéraires techniques, le conseil aborde tous les aspects organisationnels qui conditionnent les possibilités de mise en oeuvre des techniques, pour l'approvisionnement en intrants, par exemple, en cas de carence - fréquente – des réseaux commerciaux privés. Contrairement aux sociétés ou aux projets de développement, il ne distribuera ni engrais ni crédit à ses adhérents, mais il traitera, en cas de besoin, de la gestion des investissements et des possibilités d'accès au crédit. Non’directives et orientées vers l'identification et la résolution de leurs problèmes par les producteurs eux-mêmes, les méthodes du conseil de gestion répondent bien au constat que dressait Gunter Dresrüsse (1), lors du séminaire du CTA sur les thèmes d'information prioritaires pour le développement rural, en octobre 1996 à Wageningen : « Le développement doit commencer à la base : il doit habiliter la population à se forger sa propre identité et à créer ses propres institutions. Ce ne sont pas les gouvernements qui ont besoin de conseils pour comprendre les besoins de l'agriculture et transférer des techniques aux agriculteurs via des structures et des institutions régionales. Ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui ont besoin d'être informés et conseillés directement par leurs institutions. Qui conseille et qui finance? Aussi pertinente soit-elle, une méthode ne V vaut que par la personne qui la met en oeuvre. L'efficacité du conseil suppose une relation d'entière confiance. Non seulement il conduit à dévoiler les revenus des producteurs, puisque toutes les composantes sont consignées dans le carnet - mais les producteurs doivent aussi être assurés de l'impartialité de leur conseiller. Ainsi, au Mali où le conseil de gestion a été testé et mis en oeuvre comme outil de vulgarisation par la CMDT et l'Institut d'économie rurale (IER), avec l'appui du KIT (Pays-Bas), les conseillers sont des agents de la Société de développement cotonnière. Quelles peuvent être leur indépendance et leur impartialité si le choix d'opportunité vient à être débattu, au sein du groupe de conseil, entre le coton et le maïs? Les agents des services administratifs peuvent-ils devenir d'authentiques conseillers, attachés à développer les capacités d'autonomie des producteurs alors que toute leur carrière antérieure est faite de pratiques et d'encadrement directifs? Dans l'ouest du Burkina Faso, en zone de savane cotonnière, le conseil de gestion a d'abord été testé dans trois villages, avec des animateurs contractuels, par le CRPA et les chercheurs de l'INERA avec l'appui d'une équipe du Cirad. Lorsque la méthode a paru suffisamment robuste, un changement d'échelle a été opéré et une quarantaine d'agents vulgarisateurs du CRPA ont été mobilisés pour prendre le relais en mettant le conseil en pratique dans leur village. L’évaluation a rapidement fait apparaître qu'à peine le tiers d'entre eux disposaient des capacités d'écoute, d'analyse et de synthèse nécessaires. En l'absence de cabinets de conseil privés - pour lesquels le petit paysannat ne présente aujourd'hui aucune demande réelle solvable - le recrutement de conseillers par les organisations professionnelles paysannes reste l'alternative la plus souvent évoquée. Au Burkina Faso, les Unions de groupements villageois sont en train de mettre en place un tel projet, pour recruter directement dix conseillers choisis sur la base de leurs compétences et de leur motivation, qui interviendront chacun dans une trentaine de villages. Le tiers de la zone cotonnière burkinabé sera ainsi couvert, indépendamment des centres régionaux de promotion agricole. Mais les Unions burkinabè ne disposent actuellement d'aucune ressource propre et les producteurs ne sont pas en mesure ou pas prêts à prendre en charge la totalité du coût du service, élevé du fait des déplacements constants des conseillers. Le financement reste donc, au moins en partie, de type « projet », c'est-à-dire limité dans le temps. La situation est sensiblement plus favorable au Bénin où les Unions de groupements villageois et leurs Unions départementales perçoivent une ristourne sur le coton commercialisé, qui leur procure des revenus réguliers consistants. Au total, environ 1, 2 milliard de Fcfa sont ainsi gérés chaque année, collectivement et en toute indépendance, par les organisations professionnelles qui ont déjà recruté et installé des techniciens au niveau sous-préfectoral. Compétents chacun pour 30 à 40 villages, ces techniciens interviennent aujourd'hui au niveau de la gestion des intrants qui était auparavant assurée par la Société de développement et la vulgarisation. Ayant pris elles-mêmes en charge cette première priorité, les Unions étudient à présent la possibilité d'élargir leurs capacités de service, notamment en matièree de protection des cotonniers et de conseil de gestion. L’analyse de l'évolution du monde rural en Europe, en particulier en France, montre que « si l'impulsion a été indéniablement donnée par des agriculteurs, la mise en place et le développement des centres de gestion ont été aussi permis par une volonté des pouvoirs publics qui s'est traduite notamment par des subventions », constate le dossier de l'Inter-Réseaux. Peut-il en aller autrement dans les pays aujourd'hui en développement? (1) Chef de la division Agriculture, Foresterie et Aida d’urgence aux refugies, Agence allemande de coopération (GZT)

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1997
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/61603
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