Systèmes d'information de marché mobiliser le secteur privé

Libérés de l'emprise de la gestion étatique, les marchés agro-alimentaires s'organisent aujourd'hui sur des modes concurrentiels dans lesquels l'information devient un facteur de compétitivité de première importance pour les acteurs économiques. L'Etat, de son côté, n'en est pas pour autant dégagé de toute responsabilité. Il lui appartient en particulier de veiller à la transparence, au moins relative, indispensable au fonctionnement harmonieux des marchés. Dès lors une question se pose : comment concevoir et mettre en place, durablement et au moindre coût, des systèmes d'information de marché fiables et performants ? En mettant progressivement un terme à l'encadrement administratif des activités économiques et aux situations de monopoles des offices publics de commercialisation, la conversion à l'économie de marché suscite l'émergence de nouveaux besoins en matière d'information. Ainsi, après avoir été longtemps fixés par l'autorité publique, les prix de certaines denrées agricoles sont de plus en plus appelés à évoluer en fonction de l'équilibre fluctuant entre l'offre et la demande. La connaissance de tous les facteurs qui pèsent sur cet équilibre, à chaque étape d'une filière, devient ainsi tout à fait essentielle pour les opérateurs privés qui doivent définir leurs stratégies. De plus, dans le contexte de concurrence propre à l'économie libérale, la capacité d'anticiper les tendances du marché détermine largement la compétitivité des acteurs de sorte que la précocité fait souvent toute la valeur d'une information. Au nom de l'efficacité des marchés Les opérateurs déjà actifs sur une filière, les commerçants en particulier, savent en général fort bien se procurer l'information indispensable pour conduire leurs activités et se maintenir en place. La filière qui assure l'approvisionnement d'Abidjan en oignons nigériens, en concurrence avec les importations en provenance d'Europe, est ainsi contrôlée par moins d'une dizaine de grands négociants haoussas. Installés dans la capitale ivoirienne, ceux-ci maîtrisent l'accès au marché de consommation dont ils connaissent parfaite ment les besoins, en prix de détail comme en quantité. Ils n'ignorent rien non plus des conditions qui prévalent dans les zones de production. Le réseau de correspondants que chacun d'eux entretient et dirige fermement au Niger, en assurant le crédit nécessaire aux achats et à l'acheminement, fait remonter l'information utile en temps réel jusqu'à Abidjan. Le téléphone et le fax sont là d'usage courant et ces maîtres de la filière n'hésitent pas à appointer des informateurs, en particulier des douaniers, pour connaître les quantités en transit aux frontières et prévoir les arrivages au jour le jour. S'ils trouvent leur intérêt à communiquer entre eux pour éviter, par exemple, la surabondance de l'offre qui leur serait dommageable en faisant baisser les prix, les membres de ce cercle très fermé se gardent en revanche soigneusement de divulguer plus largement leurs informations pour éviter de favoriser l'apparition de nouveaux concurrents. Le marché, cependant, ne trouve son efficacité réelle que dans la concurrence entre opérateurs. C'est en effet cette concurrence pour les parts de marchés - et elle seule - qui contraint chacun à limiter volontairement ses marges commerciales et à réduire autant que possible ses coûts de production et de transformation en adoptant des techniques performantes. Sans concurrence suffisante, la conversion de vastes secteurs d'activités aux seules règles du marché n'irait pas sans grands risques, aussi bien pour les quantités traitées que pour les prix. Tout en laissant le champ libre au secteur privé, l'Etat ne saurait éluder ses responsabilités, notamment en matière d'équité et de sécurité alimentaire. Il doit donc veiller à l'émergence de filières professionnelles concurrentielles et performantes. Dans ce rôle de facilitaient, il lui incombe en particulier de contribuer autant que possible à la transparence des marchés et à la disponibilité des informations nécessaires à l'apparition de nouveaux compétiteurs. Pas de modèle unique En dehors même des difficultés pratiques liées à la collecte ou à la diffusion des informations, la diversité des filières et des situations, suivant la nature des produits et les régions, laisse présager la complexité de la tâche. En fait, aucun modèle unique ne saurait répondre de manière uniforme à toutes les situations et les systèmes d'information de marché (SIM) doivent être modelés au coup par coup, en fonction des besoins, des ressources disponibles et des caractéristiques particulières de chaque filière. A partir de ce constat, un groupe de travail d'une trentaine de spécialistes, réunis en janvier 1997 à Wageningen par le CTA, s'est attaché à identifier les bases d'une méthode d'approche susceptible de prendre en compte les spécificités de chaque situation pour la conception de systèmes d'information adaptés. Cette première analyse propose pour l'instant d'organiser méthodiquement la réflexion en sept étapes. 1 - L'identification du type de marché constitue le premier passage obligé. Dans un cas, on aura affaire, par exemple, à un marché de culture traditionnelle alors que dans tel autre il s'agira de culture non traditionnelle de haute valeur. La production peut être destinée au marché domestique, au marché régional ou à l'exportation lointaine, voire aux trois à la fois. Avant tout, il convient donc de préciser la nature du marché concerné. 2 - L'identification des utilisateurs potentiels de l'information, partenaires possibles du système, dont la liste peut différer sensiblement suivant le type de marché : agriculteurs, commerçants, décideurs politiques, responsables de coopérative, chercheurs, transporteurs, agents de développement, transformateurs, banquiers, exportateurs... 3- L'analyse dynamique de l'état initial du marché sous l'angle de l'information s'organise autour d'une triple question : qui a besoin de quels types d'information pour quels usages ? Cette analyse permet de cerner les besoins essentiels et d'identifier les sources d'informations correspondantes. (voir encadré) 4 – L’identification des acteurs clefs de la filière dans la liste précédemment établie des utilisateurs potentiels d'information. 5 - L'identification des systèmes d'information et des outils disponibles permet de comprendre le fonctionnement des canaux de communication déjà en place. Outre les médias traditionnels, radio, journaux, bulletin d'information, et les outils comme le téléphone ou le fax, on prendra notamment en considération les visites d'échange, les réunions thématiques, le conseil direct, les associations professionnelles, les groupes de producteurs, les groupements féminins... 6- L'analyse participative de ces différents éléments constitue l'ultime étape décisive pour la définition d'un plan d'action. Elle doit s'attacher aux aspects les plus concrets. Quels types d'organisations ou d'institutions doivent être impliqués ? A quel équilibre la recherche de complémentarités peut-elle aboutir entre secteur public et secteur privé ? Quels sont les coûts Qui va payer et comment ? Pour minimiser les coûts, mieux vaudra mobiliser une structure adaptée existante, lorsqu'il en existe, plutôt que d'en créer une nouvelle de toutes pièces. Et la préférence ira, pour la même raison d'économie, vers des systèmes légers et souples plus aisément adaptables. 7 - Un système de suivi évaluation doit être mis en place sur la base de critères d'efficacité : facilité d'accès, disponibilité en temps utile, fiabilité de l'information à court et long terme... Ce suivi doit assurer le retour d'information indispensable pour évaluer le degré d'utilisation réelle des données du système et son adaptation permanente aux besoins des utilisateurs. L'exhaustivité coûteuse des systèmes céréaliers Les systèmes déjà opérationnels présentent une grande diversité de conceptions. Les SIM céréaliers mis en place depuis une dizaine d'années dans les pays sahéliens, au Burkina Faso, au Mali et au Niger notamment, pour accompagner les politiques de privatisation du commerce de gros, sont les plus structurés. Au Mali, le fonctionnement du SIM repose sur des relevés de prix de gros, de demi-gros et de détail, réalisés chaque semaine sur 56 places de marché réparties sur l'ensemble du pays. Ces relevés concernent les principales céréales, mil, sorgho, maïs et riz, qui constituent la base de l'alimentation dans toute la région. Les différentes qualités proposées sur ces marchés sont prises en compte : riz complet, riz brisé, mélange à 40 % de brisures et paddy, par exemple. Les quantités négociées sont également répertoriées, chaque semaine, sur les principaux marchés de gros. Tout ce travail de collecte et de traitement des données est confié à des agents de l'Office public des céréales, le plus souvent d'anciens magasiniers reconvertis lorsque le monopole de commercialisation a été supprimé et que le secteur privé a pris la relève. Le système, qui mobilise une centaine de personnes à temps partiel, assure une large diffusion de l'information par la radio et les journaux. Il publie des séries de prix hebdomadaires, un bulletin mensuel de commentaires et des analyses tendancielles semestrielles. Cette couverture exhaustive permet aux pouvoirs publics de suivre les moindres fluctuations des cours sur l'ensemble du pays et d'intervenir sans retard en cas de pénurie ou de tension sur l'approvisionnement des marchés. Le bilan est plus mitigé pour ce qui concerne l'impact réel sur les opérateurs privés ainsi que l'a montré une récente évaluation conduite auprès des utilisateurs potentiels des informations du SIM. Le principe de cette enquête consistait à évaluer, sur la base d'entretiens directs, la contribution des informations fournies par le système à l'ensemble des données mobilisées et réellement utilisées par chaque catégorie d'opérateurs. Les producteurs ne font en général pas grand usage des informations du SIM. D'une part, ils n'ont accès qu'aux marchés de proximité dont ils connaissent les cours par d'autres voies plus directes. D'autre part, de multiples raisons, en particulier le besoin immédiat de revenu monétaire, les maintiennent en situation d'infériorité trop marquée pour que la connaissance des prix de détail sur les grands marchés urbains constitue un réel atout dans leurs négociations de prix avec les commerçants. De leur côté, les grands négociants qui disposent de réseaux fonctionnant au jour le jour à leur bénéfice exclusif n'ont guère l'emploi des données du SIM qui leur parviennent avec retard. Ils expriment en revanche des besoins non satisfaits actuellement, notamment en matière de commerce transfrontalier et de gestion publique de l'aide alimentaire qui peut perturber gravement leurs prévisions. Les petits et moyens grossistes qui apparaissent aujourd'hui sur le marché sont apparemment les meilleurs « clients » du SIM. Plus spécialisés dans le négoce des céréales que les grands opérateurs qui pratiquent souvent un commerce d'opportunité, et en général plus proches des régions de production que des marchés urbains, ces grossistes intermédiaires ne disposent pas de grands réseaux et sont effectivement demandeurs d'informations sur les régions où ils n'ont pas de correspondants. Mais l'information n'est pas le seul intrant nécessaire à la croissance de leurs activités que limitent encore d'autres facteurs, en particulier l'insuffisance de crédit. Une possibilité d'adaptation aux attentes des opérateurs identifiées par l'évaluation du SIM consisterait à mettre en place, dans les grandes zones de production du sud du pays, des centres de service sur les principaux courants d'échange. Destinés à stimuler le commerce régional, ces centres fourniraient aux opérateurs des informations de toutes natures sur les marchés des pays voisins, en particulier sur le marché ivoirien où la demande est forte : prix, types de demande en quantité et en qualité, mais aussi législation ou crédit. Reste le problème du financement puisque ces systèmes d'information céréaliers ont été jusqu'à présent financés sur le mode « projet par des bailleurs de fonds qui souhaitent à leur tour se retirer. Service sur abonnement pour l'Etat et les Agences de coopération étrangères que pourraient également souscrire un petit nombre de commerçants ? Taxe statistique si l'information doit continuer à rester disponible pour tous ? Les solutions ne sont pas nombreuses et ces systèmes d'informations coûteux, mis en place dans le cadre des plans d'ajustement structurel, risquent fort de devoir à leur tour ajuster leurs ambitions à la baisse. La légèreté de l'informel au service des filières Opérationnel depuis 1994 sur le marché de Dakar, l'Observatoire économique de la filière horticole sénégalaise a adopté une stratégie très différente dont la philosophie consiste à mobiliser les professionnels autour du fonctionnement de leur filière pour en améliorer l'efficacité. L'initiative appartient au départ à la direction de l'Horticulture du ministère de l'Agriculture et aux chercheurs de l'Institut sénégalais de recherche agricole (ISRA) qui opéraient déjà des relevés de prix réguliers sur le marché de la capitale. L’origine de l'observatoire est donc bien institutionnelle mais les opérateurs économiques ont été associés dès le départ, en particulier le Conseil national interprofessionnel de l'horticulture (CNIH) qui regroupe toutes les familles de la filière et celle des deux associations d'exportateurs - gros et petits - sensibilisés à la nécessité d'agir par la rude concurrence que leur livrent sur le marché européen leurs collègues burkinabé et kenyans. Tous ces partenaires, publics comme privés, se réunissent une fois par semaine, chacun apportant les informations dont il dispose. L''ISRA fournit ses relevés de prix, le service des douanes ses statistiques d'import-export, les producteurs rendent compte de l'état des cultures et signalent les problèmes phytosanitaires qu'ils rencontrent auxquels la recherche peut ainsi s'attacher à répondre. L'aval peut s'organiser s'il apparaît qu'une production va venir à manquer et l'amont peut s'adapter précisément aux demandes des consommateurs. Comme aurait dit le Président Senghor, l'Observatoire est un rendez-vous du donner et du recevoir », résume Pape Abdoulaye Seck, conseiller spécial du directeur général de l'ISRA. « Le fait de réunir les gens permet d'engager le dialogue et de trouver des terrains d'entente pour gérer les conflits qui existent inévitablement dans toutes les filières puisque les intérêts des uns ne concordent pas spontanément avec ceux des autres. Ce dialogue facilite la compréhension mutuelle et amène chacun à faire les concessions nécessaires pour que la filière fonctionne mieux et que tout le monde, y compris les consommateurs, y trouve son compte ». L’efficacité de cet Observatoire peut encore être améliorée, notamment en matière de diffusion de l'information lorsque les deux pages de compte rendu hebdomadaire de réunion seront adressées systématiquement aux médias, ce qui n'est pas encore le cas. Mais son rapport coût/efficacité est d'ores et déjà particulièrement favorable puisque, « chacun venant avec les informations dont il dispose déjà, il n'engendre que très peu de charges supplémentaires ». Léger, participatif et pratiquement informel quant aux structures spécifiques, l'Observatoire sénégalais du maraîchage a cependant bénéficié d'une circonstance particulièrement favorable que Pape Seck juge déterminante : « En observant les politiques agricoles de nos pays depuis les indépendances, il est évident que la dose d'intervention de l Etat réservée à l'horticulture a toujours été extrêmement faible. Quand on n'est pas assisté et encadré de manière dirigiste, le réflexe consiste à compter sur ses propres forces et à prendre des initiatives. Donc, lorsqu'ils sont venus, la libéralisation et le désengagement ont trouvé le maraîchage déjà sur le terrain. C'est ce qui explique que ce secteur ait connu ces dernières années une véritable explosion d'initiatives privées et que son développement soit en avance sur celui d'autres secteurs qui étaient sous le joug de l'agriculture administrée ». Ce qui confirme bien, aussi, qu'il n'existe pas de modèle unique, applicable en tous lieux, en matière de systèmes d'information de marché, et que l'implication des organisations professionnelles soit certainement toujours indispensable.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1997
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/61516
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