Les petites entreprises doivent savoir saisir leurs chances

Le secteur de la transformation agroalimentaire réunit, en Afrique, une typologie très riche de petites entreprises plus ou moins informelles. De même que les grandes firmes européennes ont leurs forces et leurs faiblesses, ces entreprises ont des avantages qu'elles doivent exploiter et des handicaps auxquels il faut remédier pour qu'elles puissent connaître un plus grand développement. La faible productivité des technologies traditionnelles qu'utilisent les petites entreprises du secteur artisanal alimentaire est le premier des freins qui s'opposent à leur expansion. Le gari, par exemple, se commercialise très bien et a même réussi à sortir de ses frontières, vers l'Europe. Mais le rendement de sa fabrication à partir du manioc atteint à peine 20 %. L'amélioration des techniques de transformation pourrait réduire largement les pertes de produit et, dans le même temps, accroître la productivité du travail. Le niveau d'instruction des petits entrepreneurs constitue un autre frein fondamental. En Afrique de l'Ouest, 60 % d'entre eux - qui sont en général des femmes - sont illettrés et cette lacune ne leur permet pas toujours d'apprécier les risques de leurs pratiques. Certaines règles fondamentales d'hygiène ne sont pas respectées alors que les consommateurs urbains sont de plus en plus exigeants à ce sujet. La même raison explique l'ignorance des règles de base de gestion, ce qui conduit souvent à la faillite. Confondant chiffre d'affaires et bénéfices, certains dépensent leurs recettes sans faire la part des frais ou des achats... C'est une question de formation et d'information. Il faut apporter l'information. Les difficultés d'accès au crédit institutionnel limitent les possibilités de croissance et la modestie des bénéfices réinvestis our financer l'expansion explique qu'une femme peut très bien avoir un petit restaurant local, un « maquis », et se retrouver au même stade dix ou quinze ans plus tard. Les petits entrepreneurs locaux ont donc des handicaps. Mais ils ont aussi des atouts qu'ils doivent savoir exploiter. Le secteur artisanal alimentaire développe l'essentiel de ses activités à partir des produits tirés de la tradition qui dominent encore très largement les habitudes alimentaires urbaines. C'est un premier atout et le marché devient d'autant plus important que les artisans peuvent l'élargir en jouant sur la qualité. Nos enquêtes montrent que les gens se détachent de la consommation de rue lorsque leur niveau d'instruction augmente : « J'ai bien envie mais la qualité hygiénique ne correspond pas à mes exigences ». Partant du standing correspondant à une certaine clientèle, un entrepreneur peut attirer une autre clientèle, plus cultivée et mieux solvable, en améliorant la qualité de ses produits. Même lorsqu'ils sont plus intégrés aux circuits marchands, pour la commercialisation, les artisans ont tout intérêt à se placer sur des créneaux de caractère local sur lesquels l'industrie aura du mal à les concurrencer. L'attiéké, produit granulé typique de la Côte-d'Ivoire, à base de manioc, a des qualités organoleptiques très particulières que recherche le consommateur. Chaque jour des dizaines de tonnes sont livrées à Abidjan, en provenance d'ateliers ruraux ou périurbains. Les tentatives d'industrialisation de ce produit, notamment en Côte-d'Ivoire, ont été des échecs parce que le consommateur ivoirien ne retrouvait pas les qualités du produit traditionnel. Les procédés industriels ont du mal à copier un produit traditionnel sans perdre tout ou partie de ses qualités. Et le prix de revient, du fait de l'investissement technologique, est nécessairement plus élevé. Les demandes en produits stables L'industrialisation aura cependant sa chance si elle apporte un « plus » recherché par le consommateur. Nous en avons fait l'expérience avec l'aklui, à l'Université nationale du Bénin, où l'une de nos préoccupations de recherche consiste à valoriser nos productions alimentaires locales et à mettre au point des équipements appropriés pour satisfaire la demande en produits stables. L'aklui est un produit granulé à base de maïs, très consommé le matin au Bénin, au Togo et au Ghana. La préparation traditionnelle est longue. Nous avons mécanisé le roulage qui est l'opération la plus pénible, en améliorant le rendement et la stabilité du produit qui est séché avant l'ensachage. Cet aklui amélioré permet de préparer la bouillie en cinq minutes et il est actuellement très demandé, bien au-delà des frontières du Bénin, dans toute l'Afrique de l'Ouest, voire dans d'autres sous régions du continent et en Europe, alors qu'il coûte trois ou quatre fois plus cher. La technique de production est maintenant disponible pour des entreprises artisanales d'un certain niveau. Nous développons aujourd'hui un autre produit, un couscous de maïs appelé traditionnellement yéké-yéké, qui serait bien adapté au secteur industriel. Le conservatisme alimentaire des consommateurs, y compris urbains, est un grand atout pour les petites entreprises, de même que la possibilité de commercialiser en circuits courts, sinon directs, qui améliore la compétitivité. La proximité du consommateur permet également de connaître facilement ses attentes et donc d'innover pour s'adapter au marché. Mais le consommateur est malgré tout ouvert à de nouveaux produits, en provenance d'autres pays de la région. En observant ce phénomène, encore timide, nous avons constaté un certain décalage dans le temps entre la diffusion d'un produit de base et la maîtrise des procédés de transformation qui permettent de l'utiliser. Le maïs, par exemple, gagne du terrain dans le nord du Bénin, au Mali ou au Burkina Faso alors que les populations n'en maîtrisent pas toutes les possibilités de transformation. C'est pourquoi nous avons conduit un programme de transfert de savoir-faire entre le Sénégal, le Burkina Faso et le Bénin. Les tests de dégustation et d'acceptabilité que nous avons menés dans le cadre de ce projet Aval (Action de valorisation des savoir-faire alimentaires locaux) ont montré que les Burkinabé acceptent bien les produits nouveaux du type « pâte », auquel ils sont habitués, alors que ces mêmes pâtes sont rejetées au Sénégal où les consommateurs sont accoutumés aux produits granulés, comme le couscous ou l'aklui. Les petites entreprises ont là des opportunités. Elles peuvent élargir la gamme de leurs produits et s'adapter à des segments de marché très étroits, ce que les grandes entreprises ne peuvent pas faire. En choisissant bien leurs créneaux, les petites entreprises locales ont toutes leurs chances.

Saved in:
Bibliographic Details
Main Author: Nago, Mathurin Coffi
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1996
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/61281
Tags: Add Tag
No Tags, Be the first to tag this record!