La mécanisation agricole : des approches plus mesurées

L'image d'un tracteur inutilisable est typique de certaines stratégies hâtives de développement. Les bilans critiques sur des défaillances de projets agricoles ambitieux sont souvent accompagnés de photos d'équipements rouillés et inadéquats, datant des années 60 et 70. De même, des images de moulins inutilisés ou d'ordinateurs d'occasion illustrent les pages de reportages stigmatisant les erreurs des années 80 et 90. Pourtant, un bon artisan n'accuse pas son outil et, si la mécanisation agricole n'a pas tenu ses promesses, ce n'est pas à cause de la technologie, mais en raison des choix qui ont été faits sur la manière de l'utiliser, et par qui. Nous considérons ici les stratégies de plein équipement qui, misant au maximum sur une augmentation de la production, utilisent les forces motrices humaines et animales ainsi que l'énergie mécanique. Selon le rapport d'une étude entreprise par le CTA et l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), les agriculteurs utilisent la mécanisation afin de produire davantage à main-d'oeuvre égale et pour réduire les travaux pénibles. Il ne faudrait pas confondre la mécanisation avec l'utilisation du tracteur et la motorisation - deux options qui n'assurent qu'une faible part des travaux agricoles dans la plupart des pays ACP. En fait, les essais de mécanisation les mieux réussis ont utilisé la force animale, qui n'assure que 20 % des opérations agricoles. La majeure partie de ces travaux (de l'ordre de 80 %) est encore entièrement réalisée par l'homme. Le rapport mentionne que la procédure de mécanisation agricole doit tenir compte de trois paramètres importants : l'économie, l'environnement et les aspects sociaux. Il est évident qu'aucun agriculteur ne va investir dans la mécanisation sans perspectives d'augmentation de revenu et de profit ; dans ce domaine, le manque de conviction a souvent conduit à la disparition des services d'accompagnement : la location de tracteurs, les concessionnaires, la maintenance locale et les entreprises de réparation. La mécanisation ne constitue pas une garantie de l'amélioration de la productivité. Dans beaucoup de cas, comme dans le Ségou et l'Atacora au Mali, où la culture attelée est devenue partie intégrante du paysage ces trois dernières décennies, on a observé une augmentation de la production, mais seulement parce qu'on a donné aux agriculteurs concernés la possibilité d'étendre les surfaces cultivables, celles-ci dépendant de leur habileté à acquérir ou à avoir accès à plus de terres (voir article en première page). Dans les projets conduits au Mali, certains agriculteurs ont reçu 50 % de terres en plus, et augmenté proportionnellement leur production totale - bien que de nombreuses baisses de rendement par hectare soient rapportées après mécanisation. Ces progrès à court terme en matière de revenu et de sécurité alimentaire, qui ne profitent pas à tous les agriculteurs, mettent à plus long terme le développement en péril, en causant des dommages profonds à l'environnement. En effet, la mécanisation agricole conduit à raccourcir la durée de la jachère, plus rapidement remise en culture, en même temps qu'on réduit sa surface. Cela empêche la régénération naturelle des arbres et arbustes, appauvrit le stock de matière organique du sol et favorise l'érosion. Le rapport souligne toutefois que le fait de mécaniser peut accompagner une action de conservation en facilitant les travaux de construction de digues et de terrasses. Malgré ces avantages, il est largement admis que la mécanisation pourrait conduire au cercle vicieux de la culture extensive, avec des écosystèmes de plus en plus vulnérables, et à une dégradation des sols. Du point de vue social, comme dans la plupart des actions de développement s'appuyant sur une avancée technologique, la mécanisation a pour effet de creuser les inégalités en milieu rural. Mise entre les mains des non-experts, sans une gestion avisée, la technologie qui devait relever le niveau de vie et faciliter les travaux les plus durs, peut en fait appauvrir les membres de la communauté et les forcer à l'exode vers les villes. En revanche, ceux qui possèdent ou maîtrisent la technologie en tirent le plus grand bénéfice : un développement équitable semble dès lors impossible. Vers de nouvelles stratégies La récente vague de libéralisation dans la plupart des pays ACP a vu le déclin des efforts des gouvernements pour promouvoir directement la mécanisation. À la place, une forte demande du marché amène de nouvelles entreprises à investir dans des produits et services plus adaptés, alors que les offres de crédit se multiplient. La mécanisation est maintenant prête pour entrer dans cette nouvelle ère, mais une approche plus mesurée lui sera demandée afin d'assumer une fonction utile dans les stratégies agricoles de développement durable, plutôt que de poursuivre son rôle destructif. Un séminaire organisé sur ce thème par le CTA en novembre 1997, à Ouagadougou (Burkina Faso), a abouti à une série de directives sur la question « où et comment » pour appliquer la mécanisation. Les soixante participants, venant de 19 pays africains, ont conclu que, dans un avenir proche, la culture attelée semble être le meilleur système pour les petites exploitations d'agriculture pluviale des zones de savanes africaines. La motorisation a été jugée plus appropriée dans les cas suivants : grandes exploitations, existence d'un système d'irrigation (actuellement, 5 % seulement de l'agriculture d'Afrique subsaharienne), de bonnes possibilités de commercialisation permettant un accroissement régulier de la production. L'importance de la mécanisation a également été soulignée dans les domaines du transport, de l'agronomie, de l'élevage, ainsi que pour le stockage après-récolte et les transformations agro-alimentaire. Des efforts importants devront être consentis en matière de formation et de crédit, notamment pour former des maréchaux-ferrants et développer la gestion du fourrage. On attend des gouvernements la création d'un contexte permettant à la mécanisation de devenir une option viable, à travers une série de mesures d'ordre fiscal, sanitaire, foncier, de meilleures infrastructures (routières), ainsi que par des programmes d'assistance spéciaux pour les zones à risques (comprenant vraisemblablement des actions pour les personnes touchées par l'impact discriminant de la mécanisation). Dans les fréquentes discussions qui sont en cours sur les stratégies à adopter dans le domaine de la mécanisation, il est reconnu qu'une plus grande attention doit être portée aux techniques de labour visant à la conservation de la fertilité des sols, ainsi qu'aux questions concernant les relations hommes-femmes - les participants au séminaire du CTA l'ont admis, faisant remarquer que la promotion, l'adoption et les avantages de la mécanisation en Afrique subsaharienne concernent en premier lieu les femmes. Elles fournissent une proportion élevée de la main-d'oeuvre agricole et pourtant - comme la participation aux ateliers le confirme - la mécanisation reste une affaire d'hommes. L'énergie pour la sécurité alimentaire L'énergie et le carburant représentent un autre point clé - technique mais crucial - qu'on n'aborde pas suffisamment lors des séminaires sur les stratégies. La culture attelée étant considérée comme une étape intermédiaire, le mouvement vers la motorisation est quasiment voué à se poursuivre. Peu de stratégies en matière de mécanisation en tiennent compte mais, devant les problèmes déjà aigus de pénurie de carburant qu'on observe dans beaucoup de zones rurales, elles seront bientôt contraintes de changer d'approche. Une bonne démarche serait d'associer davantage la mécanisation aux actions d'investissement dans les systèmes pouvant fournir de l'énergie pour la fabrication des équipements agricoles, de pourvoir à leur fonctionnement et à celui des usines de transformation agro-alimentaire, aussi bien en aval qu'en amont. Développer de nouvelles sources d'énergie pouvant être valorisées dans la mécanisation agricole, tel est l'enjeu. La mécanisation n'est pas une fin en soi, mais un moyen de développement. Pour ces spécialistes en stratégies qui se plaisent à parler de rendre le pouvoir à ceux qui en sont privés, ce serait un véritable défi que de donner l'énergie au peuple, aux charrues et aux usines de transformation. Sources : Integrating mechanisation into strategies for sustainable agriculture. Résumé et conclusions d'un séminaire CTA. Ouagadougou, Burkina Faso, 24-29 novembre 1997. Centre technique de coopération agricole et rurale ACP-UE (CTA), BP 380, 6700 AJ Wageningen, Pay-Bas. N° de référence CTA : 852. 5 unités de crédit. Voir p.13 : « Comment obtenir les publications du CTA ». Mécanisation des travaux agricoles en Afrique subsaharienne : Rapport d'étude. Mars 1997, CTA (voir adresse ci-dessus). N° de référence CTA : 842. 5 unités de crédit. Voir p. 13 : « Comment obtenir les publications du CTA ». CIGR, International Commission on Agricultural Engineering, c/o Universiteit fuer Landtechniek, Universitaet Bonn, Nussallee 5, 53115 Bonn, Allemagne. Fax : + 49 228 73 25 95 E-mail : ulp81a@ibm.rhrz.uni-bonn.de Site Web : http://wwworg.nlh.no/CIGR/ FAO-AGSE, Food and Agriculture Organization, Agricultural Engineering Branch, Via delle Terme di Caracalla, 00100 Rome, Italie. Fax : + 39 6 57053152 Site Web : http://www.fao.org/WAICENT/ FARMESA, Farm-Level Applied Research Methods in East and Southern Africa, PO Box 3730, Harare, Zimbabwe. Fax : + 263 4 758055 E-mail : fspzim@harare.iafrica.com Site Web: http://www.farmesa.co.zw/ IFAD, International Fund for Agricultural Development, via del Serafico 107, 00142 Rome, Italie. Fax : + 39 6 504 3463 E-mail : ifad@ifad.org

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1998
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/60875
https://hdl.handle.net/10568/99649
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