La gestion de terroir : un défi écologique

Dans la plupart des pays d'Afrique soudano-sahélienne, les systèmes agricoles ont connu une grave crise ces dernières années : augmentation de la population, systèmes économiques perturbés au niveau national et international, changements climatiques. Ces difficultés ont accentué la nécessité de considérer la gestion des terroirs comme un ensemble qui n'est pas limité à la seule production mais doit inclure les aspects socio-culturels et la préservation des ressources naturelles. Depuis les grandes sécheresses qui ont perturbé les systèmes de production traditionnels, les projets de développement rural classiques ont montré leurs limites en Afrique subsaharienne. Il a fallu trouver d'autres solutions, dont l'approche 'gestion de terroir'. Ce concept vise à 'mieux valoriser le capital naturel disponible, de le maintenir en bon état, pour que les productions soient plus sûres, plus durables' explique Christian Barrier de la Caisse Française de Développement dans son ouvrage 'Développement rural en Afrique de l'Ouest Soudan-Sahélienne - Premier bilan sur l'approche gestion de terroir villageois'. L'approche gestion de terroir telle que proposée privilégie des mesures, des actions, des initiatives, décidées par les villageois avec les conseils d'experts, afin d'améliorer le potentiel agricole et de diversifier les activités. Les décisions ne cherchent pas seulement une intensification de la production, mais aussi et surtout la durabilité des ressources. L'ensemble des mesures ne concerne plus un exploitant ou un groupe d'exploitants, mais le 'terroir' tout entier, c'est-à-dire le village et l'ensemble des terres qui l'entourent et qui servent à nourrir les habitants. Celles-ci peuvent être cultivées, laissées en jachère, boisées, ou affectées aux pâtures des troupeaux. La brousse elle-même est prise en compte puisque les produits de cueillette tiennent une grande place dans l'alimentation des Sahéliens. Selon la définition des géographes français Sautter et Pélissier, 'le terroir villageois est l'ensemble des ressources naturelles renouvelables et non renouvelables qui sont d'une part appropriées et d'autre part exploitées plus ou moins systématiquement par une communauté agricole donnée.' Des mesures nécessaires Plusieurs facteurs ont rendu ce type d'aménagement nécessaire. Tout d'abord, les terres ne sont pas extensibles à l'infini et l'accroissement démographique a fait apparaître la nécessité de cultiver les mêmes champs sans épuiser la ressource 'terre'. Dans certaines régions, il a même fallu mettre en culture des terres marginales, telles que des terrains en pente ou des sols pauvres, sans les épuiser, tant la demande en produits alimentaires devenait grande. Parallèlement, les cultivateurs ont dû abandonner leurs méthodes agricoles traditionnelles comme les longues mises en jachère qui permettaient au sol de se régénérer. Pour que les jeunes puissent rester au village, il fallait bien repenser l'ensemble du système et prendre en compte un certain nombre de concepts, comme la durabilité et la disponibilité des terres, dont on ne tenait pas compte auparavant. D'autre part, les sécheresses ont eu des répercussions indirectes. Abandonnant leurs champs désormais stériles, les Sahéliens ont effectué de grands mouvements migratoires, comme dans le Yatenga au Burkina Faso ou au Niger. Les hommes se sont regroupés, soit dans les villes, d'où de graves problèmes d'approvisionnement alimentaire, soit dans les rares régions épargnées, sur des surfaces restreintes, demandant à la terre plus qu'elle ne pouvait donner. Enfin, les cultures de rente ont elles aussi bouleversé de nombreux systèmes de production. Les agriculteurs n'ont pas été attentifs aux mesures nécessaires pour ne pas épuiser la terre, et lorsqu'ils l'ont été, ils n'ont pas toujours eu les moyens d'acquérir ces intrants, et de grandes surfaces de sols tropicaux sont aujourd'hui épuisées. Stratégies et méthodes Si, pour accroître leurs productions, les agriculteurs africains n'ont plus la possibilité de défricher de nouvelles terres, il leur faudra bien améliorer là productivité et intensifier leur mode d'exploitation ; pour le faire de façon durable, ils devront s'efforcer de maintenir la richesse des ressources en sol, eau, pâturages et forêts. Qui, mais que faire sur ces terroirs ? Avec qui ?Et comment ?C’est a cette serie de questions que les projets de gestion de terroir vont tenter de repondre. Dans un premier temps, une équipe interdisciplinaire doit établir la 'carte' du terroir. Géographes, sociologues, agronomes vont dresser un plan global, aussi précis que possible, de la situation du terroir telle qu'elle se présente. De longues enquêtes sont nécessaires pour réaliser ce schéma d'aménagement global qui servira d'outil pour déterminer quelles solutions sont applicables. Dans le projet de Katon, au Sud-Mali, mené avec l'appui de l'Association Française des Volontaires du Progrès, tous les champs ont été repérés sur une carte avec différents codes grâce à des photos aériennes. Fertilité, ravines, pente, inondations des cultures, les caractéristiques de chaque parcelle apparaissent ainsi que le diagnostic technique sur les systèmes de production (taille de la famille, consommation alimentaire, cheptel, nombre d'actifs, équipement agricole). 'Ainsi, au bout du compte, l'équipe dispose d'un abondant dossier sur le village. Sur la base de tous ces éléments, il est possible d'aborder la phase suivante, la synthèse-négociation. Elle consiste en une mise à plat des diagnostics techniques et villageois, une ma-nière de confrontation des points de vue entre l'équipe du projet et les villageois' écrit Denis Marchai de l'AFVP. Cette démarche part donc des réalités africaines : écologie, techniques utilisées, terres disponibles, liens sociaux et économiques entre les villageois. 'L'aménage ment du terroir consistera en une organisation logique des différents types de terres, en fonction de leurs aptitudes agricoles, mais aussi en fonction de leur configuration physique, de manière à en tirer le meilleur parti possible, sans les dégrader et même, chaque fois qu'on le pourra, en les améliorant' écrit Gérard Jos set dans son ouvrage 'Aménagements villageois et du terroir'. Des villageois --juges et parties Non seulement l'approche gestion de terroir part des réalités africaines mais encore ce sont les villageois eux-mêmes qui sont acteurs de leur propre développement. La cartographie du terroir établie par des experts ne vise qu'à donner des indications, des thèmes d'actions aux paysans, à charge pour eux de les appliquer. Alors que dans les précédents projets de développement, les villageois n'étaient considérés que comme de la maind'oeuvre, ils sont dans cette nouvelle conception juges et parties. Pour le Club du Sahel, 'l'approche reconnaît les communautés rurales et les individus qui les composent comme les acteurs principaux de la mise en valeur de leurs terroirs et vise à renforcer leur capacité d'in terventión.' Ainsi, dans les projets forestiers au Niger, les forêts classées sont gérées conjointement par les services forestiers et les populations des villages environnants qui ont créé des coopératives forestières. Les services forestiers s'appuient sur un inventaire pour le plan d'exploitation et les aménagements éventuels. Parallèlement à cette nouvelle approche du développement, des groupements, des associations et des fédérations se sont créés pour faire appliquer les décisions prises. Ainsi, dans la plupart des programmes de ce type, les villageois ont élu un comité de gestion de terroir. Dans le projet de développement de l'élevage au Sénégal oriental, des unités pastorales ont été définies et mises sous l'autorité de groupements inter-villageois chargés de faire respecter les dispositions du plan de gestion des pâturages. Ailleurs, sur d'autres projets, ce sont des caisses villageoises de crédit, des banques de céréales, des magasins, un comité de gestion d'équipement collectif qui ont vu le jour afin de faciliter l'agriculture, le commerce, l'organisation économique. La plupart des leaders des aménagements bénéficient de formations diverses, cours d'alphabétisation, de comptabilité. Ce sont des mesures nécessaires, étant donné la profonde mutation demandée aux agriculteurs qui ne peuvent plus appliquer les mêmes techniques que leur père ou leur grand-père. Ainsi, dans le projet du PICOGERNA (Projet intégré de conservation et de gestion des ressources naturelles) -1990-1993du Sénégal, Fari Ba, un éleveur peul, raconte. Il a vingt ans quand arrive le projet et il ne sait pas lire. Alphabétisation fonctionnelle en poular, organisation d'une case de santé, formation de base aux soins vétérinaires, vaccination des bêtes, dix ans vont faire de lui une sorte de leader paysan. Par ailleurs, il n'est pas rare de voir dans les villages les mesures agricoles accompagnées de mesures incitatives pour les populations, comme le forage de puits et la construction de moulins ou de banques de céréales. La gestion de terroir en débat Toutes ces techniques sont encore expérimentales. L'approche gestion de terroir ne rencontre pas que des succès et elle n'est pas reproductible partout. Ainsi, lorsque l'on a trop attendu et que les terroirs sont gravement dégradés, il faut préférer des mesures d'urgence à cette démarche qui demande du temps et de la perspicacité. Autre problème, la question foncière.'Comment inciter les ruraux africains à concevoir des aménagements à long terme, à investir dans, la régénération de l'environnement, là où continuent de planer des incertitudes sur le statut des terres' ? demande Denis Marchal de l'AFVP Les terres en Afrique ne sont pas toujours attribuées de façon définitive et beaucoup d'entre elles ne sont en location que pour quelques années, voire même souvent un an. Ainsi, le projet 'Lutte anti-érosive de la CMDT' au Mali propose aux associations villageoises de producteurs de coton un ensemble cohérent de mesures pour prévenir et contrôler les processus d'érosion (digues, haies vives, barrages dans les bas-fonds) et des aménagements fonciers (labour perpendiculaire à la pente, billonnage, coinpostière, reboisement). Mais les locataires refusent de faire tant de travaux sur des terres qui ne leur appartiennent pas. Autre problème, toujours dans le domaine du foncier, soulevé par Christian Barrier 'Les communautés villageoises sont généralement associées à des espaces géographiques dont elles connaissent les limites, mais qu'elles sont réticentes à mettre en évidence et qui sont souvent contestées entre communautés voisines. Les ressources d'un espace donné (pâturage, faune, arbres) peuvent être sous le contrôle d'individus ou de communautés différentes et n'appartenant pas nécessairement au groupe installé dans l'espace considéré'. Le foncier n'est pas le seul problème de la gestion de terroir. L'élevage est souvent montré comme la victime de ce type d'approche. En affectant les champs de façon précise, on frappe durement les éleveurs qui venaient auparavant y faire paître leurs troupeaux. Comme le fait très justement remarquer André Marty de l'IRAM, : 'dans la gestion de terroir, il n'existe aucune intégration autre qu'agricole. En réduisant le terroir aux seuls membres du village, on est dans l'impossibilité de reconnaître le statut des éleveurs qui sont dans le terroir sans être du village (étant recensés ailleurs).' D'après ce chercheur, les personnes présentes dans le village ne sont pas les seuless utilisatrices du terroir. D'autres acteurs comme les transhumants, les chasseurs, les bûcherons utilisent ces terres, et des espaces qui appartiennent à d'autres terroirs et il faut les prendre en compte dans la gestion. Et André Marty de conclure : 'La généra tion actuelle des projets de gestion de terroir, selon qu'elle prend ou non la mesure de ses responsabilités, peut donc tout aussi bien accentuer les tendances en cours aux déséquilibres et aux exclusions qu'au contraire appuyer résolument la recherche de solutions concertées. A condition qu'elle prenne conscience des enjeux qu'elle représente pour le développement local et la paix sociale, elle est susceptible de servir d'atout pour les éleveurs comme pour les agriculteurs.' Parfois, les difficultés que rencontre la gestion de terroir ne lui sont pas imputable. Ainsi, il est évident que les cultivateurs ne développeront et ne favoriseront leurs productions que si des bonnes conditions économiques leur sont proposées. Dans trop de régions, les légumes ne peuvent être vendus car il n'existe pas de moyens de les commercialiser. Les femmes, principales responsables des cultures vivrières, ne peuvent mettre en oeuvre leurs projets ou leurs réalisations car elles n'ont pas accès au crédit. Afin que la gestion de terroir puisse se réaliser dans toutes ses dimensions, il faut auparavant penser à supprimer un certain nombre de verrous. Malgré ces difficultés, la gestion de terroir est désormais reconnue comme nécessaire par tous ceux qui s'occupent de développement durable. Afin qu'elle puisse s'appliquer de plus en plus, il est indispensable de prendre en compte tous les intervenants et de parvenir à un accord sur l'utilisation à long terme des terres... ce consensus constituant à lui seul un vrai travail en soi. Bibliographie Aménagements villageois et du terroir Gérard Josset - Le Technicien d'agriculture tropicale - Editions Maisonneuve et Larose 15, rue Victor Cousin - 75005 - Paris FRANCE Développement rural en Afrique de l'Ouest Soudano-Sahélienne - Premier bilan sur l'approche gestion de terroir villageois Christian Barrier - Caisse Française de Développement - 35 - 37, rue Boissy d'Anglas 75008 - Paris - FRANCE Arbres, Forêts et Communautés Rurales n'3 - juin 93 - La gestion de terroir - Denis Marchal - p. 22 à 32 - Association Française des Volontaires du Progrès BP 207 - 91311 - Montlhery Cedex - FRANCE Club du Sahel - OCDE - 2, rue André Pascal 75775 - Paris Cedex 16 – France

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1994
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/60618
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