Productivité durable des sols et intensification agricole un mariage difficile

L'Afrique est confrontée à la nécessité d'accroître sa production agricole pour satisfaire les besoins d'une population sans cesse croissante. Si l'on veut éviter d'étendre les défrichements et les déboisements dévastateurs, il faut intensifier l'agriculture et obtenir des rendements plus élevés par unité de surface. Cependant, ceci ne pourra être atteint de façon durable en se basant sur la fertilité naturelle des sols africains. Il n'est possible d'augmenter les rendements que si les éléments minéraux qui ont été exportés des champs au moment de la récolte sont régulièrement remplacés. Des études doivent être entreprises afin de pouvoir quantifier les éléments nutritifs exportés et les besoins en engrais. Dans de nombreux pays en développement, l'amélioration de la qualité de la vie se résume à une lutte de vitesse entre la production agricole et la croissance démographique. L'Afrique subsaharienne, en particulier, perd régulièrement cette course parce que les modestes gains en production sont dépassés par le rythme d'accroissement de la population. Un des principaux problèmes est l'épuisement de la fertilité du sol. Il n'est pas simple à évaluer et à corriger. Il se produit dans un contexte où se conjuguent une disponibilité réduite de terres sous-exploitées, une érosion continue des sols, une perte régulière d'éléments nutritifs, la rareté des fourrages, du combustible et de l'eau. Les conséquences immédiates de l'épuisement des sols sont une aggravation du déboisement, un exode rural et une augmentation du chômage... Ainsi, les agriculteurs ont de plus en plus de mal à accroître leur productivité à un moment où il leur est indispensable d'y parvenir. Connaître la terre Les sols constituent à la fois une réserve et une source d'éléments nutritifs pour les végétaux. Leur fertilité est fonction de la minéralisation des matières organiques qu'ils contiennent. La diminution du taux de matières organiques dans le sol est souvent une cause fondamentale de l'épuisement des éléments nutritifs dans les systèmes d'exploitation où les apports extérieurs sont faibles. Les engrais chimiques permettent de compléter la capacité d'un sol à fournir des éléments fertilisants ; en Afrique cependant, la quantité d'engrais employée par unité de surface est très faible par rapport aux autres régions du monde. L'application d'engrais chimiques est le meilleur facteur d'intensification de la production agricole. Mais leur prix doit être abordable, et leur conditionnement répondre aux besoins des petits agriculteurs. Les recommandations d'utilisation doivent être fondées sur des informations vérifiées prenant en compte les besoins des différentes` cultures et les conditions pédologiques. La rentabilité économique de l'utilisation des engrais doit être améliorée par un meilleur choix du type d'engrais, et une meilleure définition des doses, des périodes et des fréquences d'application. Trop souvent, les engrais sont évalués dans les parcelles d'essai sur la seule base de l'augmentation de rendement des cultures d'une campagne. Il faut aussi les considérer comme facteurs d'un agrosystème plus large, qui interviennent dans le recyclage des éléments nutritifs. Un autre moyen d'enrichir les sols est l'utilisation d'engrais organiques et des résidus de récoltes. Dans de nombreux systèmes d'exploitation tropicaux, l'enfouissement des résidus agricoles n'est pas ou peu pratiqué, ce qui provoque un déclin de la teneur en matière organique du sol et la diminution des rendements et de la biomasse végétale. L'utilisation des résidus organiques, l'abandon du brûlis, Ili l'adoption de techniques de labour moins profond et l'utilisation de plantes de couverture permettraient d'inverser ces tendances. On détermine la matière organique d'un sol en fonction du taux de formation et de perte ; pourtant, l'effet de l'application des résidus végétaux et agro-industriels demeure mal compris sous l'angle de la dynamique de la matière organique. Il est indispensable d'entreprendre des études sur l'évolution du cycle de la matière organique dans le temps, pour mettre au point des mesures de conservation des sols permettant de réduire la perte en carbone et, à terme, proposer des pratiques culturales acceptables pour les agriculteurs. Le rôle de la matière organique est plus important dans les sols tropicaux très altérés. Un élément essentiel de la conservation de la productivité des sols tropicaux est le maintien et l'amélioration des caractéristiques physiques des sols. On pourra ensuite améliorer le potentiel de production du sol par l'apport d'engrais chimiques et organiques. Des taux toxiques d'aluminium et d'autres cations, principalement de fer et de magnésium, apparaissent dans des sols dégradés à faible pH. Des concentrations élevées de ces cations interfèrent avec l'assimilation des éléments nutritifs par les plantes : des racines rabougries et enflées sont un symptôme courant de la toxicité due aux cations. Le chaulage permet d'y remédier, mais la chaux est rarement disponible pour les agriculteurs des tropiques humides qui pratiquent une agriculture de subsistance. La matière organique interagit avec les cations toxiques de deux façons, toutes deux bénéfiques pour les végétaux. Les substances humiques absorbent les cations toxiques et les neutralisent. Les acides organiques issus de la décomposition des résidus dans les sols interagissent également avec l'aluminium en solution, produisant dans la solution du sol des formes moins toxiques d'aluminium, sans modifier le pH du sol. Si l'utilisation de résidus organiques est techniquement envisageable dans les exploitations agricoles de petite taille, la détoxication des sols acides nécessite des mesures de grande envergure. Malheureusement, l'efficacité relative de la plupart des ressources organiques disponibles en Afrique demeure inconnue. Il existe toutefois des essais biologiques sur végétaux, relativement simples, qui permettent de mesurer la toxicité de sols-tests en comparant la longueur des racines de plantules d'ambériques. Les sols retiennent plus ou moins bien l'eau selon qu'ils sont argileux, sableux ou autres, et aussi selon les méthodes de culture pratiquées. Les paysans gèrent cette capacité de rétention de différentes manières, la principale consistant à réduire le ruissellement de l'eau en surface par la construction de terrasses ou de talus en courbes de niveau ou d'autres structures de retenue d'eau plus élaborées. La réduction du ruissellement permet en outre de mieux contrôler les pertes d'éléments nutritifs et de protéger le sol contre l'érosion. Le paillage est un moyen clé de réduire le ruissellement et de protéger la surface du sol. Histoires d'eau Autre possibilité de valoriser l'eau : la capacité de certaines plantes d'enfoncer leurs racines jusqu'aux réserves souterraines du sol. On ne peut guère améliorer la profondeur de l'enracinement dans les sols très rocheux. En revanche, on peut, par un labour profond, empêcher la formation des cuirasses qui se développent parfois dans les sols argileux juste sous la couche de labour, sous l'effet du compactage provoqué par le labour mécanique. L'acidité du sous-sol peut limiter l'aptitude d'un système racinaire à récupérer les réserves d'humidité. C'est un cas fréquent dans les oxisols et ultisols, où l'humidité présente dans l'horizon de surface bien structuré diminue alors que l'humidité abondante du sous-sol acide reste inexploitée. Il existe diverses solutions à ce pro, blème : labour en profondeur, chaulage, recours à des cultures et cultivars acidotolérants et à racines pivotantes. Dans de nombreux cas, les agronomes et les agriculteurs n'ont pas conscience de ces aspects. Il s'agit là d'un domaine où des recherches approfondies s'imposent. Les réserves en eau douce sont sous-exploitées dans de nombreuses régions où il ne pleut pas assez longtemps pour mener à terme un cycle de culture. Pourtant, la terre est suffisamment fertile pour une agriculture intensive. Un grave handicap : - l'érosion des sols L'érosion modifie les propriétés physiques des sols, telles que le degré d'infiltration, la structure et la formation d'une croûte superficielle. Elle réduit aussi l'efficacité des fertilisants en accroissant les pertes d'éléments nutritifs Les principales causes d'érosion sont le déboisement, le surpâturage, le raccourcissement des rotations et la culture de terres en pente sans aucune mesure de protection des sols. La végétation naturelle protège les sols de l'érosion : le feuillage réduit l'effet de splash des gouttes de pluie, la litière affaiblit encore l'impact des gouttes d'eau et empêche le ruissellement, et l'enracinement dense dans l'horizon de surface stabilise le sol. Ici encore, la matière organique joue un rôle important : lors de la décomposition des débris superficiels et racinaires, les matières organiques participent à la formation et à la stabilisation des agrégats du sol qui résistent aux forces érosives. La structure du sol et la répartition des macropores sont améliorées par un enracinement de qualité et par l'activité de la maciofaune. La résilience remarquable des écosystèmes naturels, contrairement aux agroécosystèmes mal gérés, montre les avantages d'une combinaison d'espèces végétales de forme et de composition chimique différentes. L'érosion hydrique pourrait empêcher la productivité agricole de progresser à un rythme équivalent, puis supérieur, à celui de l'accroissement démographique. Les terres en forte pente, cultivées sans terrasses, sont les plus exposées à l'érosion, mais, étant donné la fréquence et l'intensité des précipitations dans les zones semi-arides et subhumides, même les terres en pente relativement douce sont en danger. Trop rares encore sont les systèmes d'exploitation qui recourent aux terrasses, aux bandes herbeuses, aux haies, aux brise-vent, aux paillis et aux rigoles en courbes de niveau. Il est difficile de faire comprendre aux agriculteurs l'importance de la conservation des sols lorsque les bénéfices des efforts et des investissements à consentir ne sont pas immédiatement perceptibles, et ne le sont souvent qu'à long terme. C'est seulement lorsque la dégradation des sols atteint un niveau dramatique que les agriculteurs s'aperçoivent de leur négligence. Les spécialistes des ressources et de la planification agricoles doivent eux-mêmes se familiariser avec le travail et les investissements que requièrent les différentes pratiques de conservation des sols, et mettre au point, à l'intention des agriculteurs, des kits d'information sur des solutions socialement acceptables et techniquement réalisables. La sensibilité des sols à la dégradation est une caractéristique importante qui doit être prise en compte à un stade précoce de planification du développement. L'érosion est le risque le plus sérieux associé à l'agriculture et aux autres utilisations des terres. L'étude des sols permet de connaître la sensibilité des types de sols d'une zone. Elle fournit également des informations sur les risques limités à des sols spécifiques, par exemple, la présence de cuirasses freinant le développement racinaire, l'accumulation de sel et de sodium dans des sols irrigués sans drainage correct, ou l'affaissement des sols organiques. L'étude pédologique peut servir de base au choix des pratiques culturales adaptées aux sols, par exemple labour manuel, par traction animale ou mécanisé. Les informations recueillies doivent nécessairement inclure le degré de dénivellation, la profondeur du sol, les affleurements rocheux, la présence de cailloux en surface, les conditions de drainage et la consistance du sol. Etude des sols et aménagement du territoire L'étude des sols est également indispensable à la mise au point d'une classification des terres pouvant être irriguées. La connaissance des propriétés des différents sols est essentielle à une planification de l'utilisation des ressources en eau. Elle permet de mettre en valeur les sols les mieux adaptés et de déterminer la méthode d'irrigation et la quantité d'eau assurant un rendement optimal. Il est également important que l'irrigation soit planifiée en fonction des données relatives, en particulier, aux caractéristiques du sous-sol, si l'on veut éviter les phénomènes de salinisation et de saturation en eau. Ce type d'étude fournit aussi des informations sur les principaux obstacles à l'exploitation des terres. Certaines de ces restrictions, comme la profondeur des sols, leur texture et leur pente, sont permanentes et ne peuvent être modifiées par la seule gestion agricole. D'autres, par exemple la fertilité des sols, sont temporaires et peuvent être corrigées. Pour faciliter le stockage et la récupération d'informations pédologiques à des fins de planification et de gestion des ressources, la Kenya Soil Survey a mis en place un système d'informations géographiques (Geographical Information System), qui sert à l'informatisation de cartes pédologiques et à la préparation de cartes d'aptitudes pour les divers usages possibles des terres. Le maintien de la productivité des terres exige une planification attentive de la gestion des sols et des ressources en eau. Celleci nécessite des études sur les sols, le climat, la végétation et tous les autres facteurs affectant l'utilisation des terres. Ces études permettront d'identifier les solutions les plus appropriées pour utiliser les terres disponibles de façon intensive tout en maintenant leur fertilité et leur productivité.

Saved in:
Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1994
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/60451
Tags: Add Tag
No Tags, Be the first to tag this record!