Pour une gestion durable des sols africains

La dégradation des sols constitue une grave menace pour la production alimentaire d’une partie de l’Afrique. Dans certaines régions, les agriculteurs vont jusqu’à abandonner leurs terres. Mais c’est tout le continent qui est touché. De nombreux projets de préservation des sols et des ressources en eau se sont soldés par un échec. Problèmes techniques mais surtout problèmes méthodologiques : il faut rendre le pouvoir de décision aux agriculteurs. I1 existe au Sahel des terres arides et effectivement stériles : notamment la région de Fako au Niger et Zipeela au Burkina Faso. Une croûte dure qui recouvre aujourd’hui le sol empêche l’infiltration des eaux de ruissellement et interdit pratiquement toute vie végétale. Il n’en a pas toujours été ainsi. Les contraintes démographiques ont conduit à un raccourcissement des périodes de jachère et à un allongement des cycles culturaux. Au terme de chaque cycle,on arrache aux sols les produits de la récolte, sans rien leur fournir en retour, d’où une baisse de leur fertilité. Au cours des dernières décennies, ce phénomène a affecté plusieurs milliers d’hectares au Sahel, à présent désertés par les agriculteurs. Même les régions avec de meilleures conditions climatiques ne sont pas épargnées. La mise en culture permanente des terres est là aussi rarement compensée par l’apport d’éléments nutritifs sous forme d’engrais, de fumier ou de compost. Les pertes globales au niveau du système sont aggravées par l’érosion responsable de la disparition des couches les plus riches du sol. Baisse constante des rendements, fragilité accrue des sols vis-à-vis de l’érosion : c’est le cercle vicieux de la dégradation que des programmes de restauration des sols, même performants comme au Kenya, n’arrivent pas à briser. La satisfaction des besoins en nourriture, en fourrage et en combustible passe par le retour à la productivité passée. Mais quels moyens, techniques et structurels, mettre en oeuvre ? Une goutte d’eau dans l’océan Une solution classique proposée par les pouvoirs publics et les organismes d’aide financière : la consultation, projet par projet, d’experts en préservation des sols, gestion des pâturages et boisement. Cette démarche se révèle tout particulièrement séduisante pour les donateurs, parce qu’elle représente une « enveloppe » bien précise, limitée dans le temps et dans l’espace et pouvant fonctionner en dehors des circuits administratifs officiels. A partir des années 80, des millions de dollars ont ainsi été investis chaque année pour préserver les sols et les ressources en eau, pour mieux gérer les pâturages et planter des arbres. Les projets ont généralement une durée de vie courte, de l’ordre de cinq ans, et doivent atteindre des objectifs limités, sur quelques milliers d’hectares par exemple... une goutte d’eau dans l’océan. A cette allure, il faudrait plus d’un siècle pour remédier à la dégradation actuelle des sols africains. Ces projets, si efficaces soient-ils, sont impuissants à résoudre seuls le problème. Et il faut bien reconnaître que leur impact, limité, se révèle souvent décevant Ces échecs sont sans doute en partie imputables aux techniques utilisées. Les méthodes telles que la culture en larges terrasses, souvent inadaptées, ne sont ni appréciées ni entretenues par leurs « bénéficiaires ». Au lieu de protéger les terres, ces structures mal entretenues peuvent parfois même aboutir au contraire de l’effet recherché : les eaux de ruissellement se concentrent au sommet des terrasses ou au niveau des éboulements. Le coût des techniques utilisées par les projets de préservation classiques peut également être incriminé. Au Sahel, des terrasses aménagées par des moyens mécaniques peuvent coûter plus de 1 000 US$ (5 6’00 FF) par hectare. Impensable donc de reproduire ces projets pour les centaines de milliers d’hectares ! Pour atteindre leurs objectifs, nombre de projets ont recours aux machines et aux programmes « vivres contre travail » destinés à payer la main-d’oeuvre en boîtes de conserve, lait en poudre, biscuits. L’expérience a cependant vite montré ses limites : les agriculteurs oublient le véritable intérêt de ces travaux et après le départ du projet, ils n’entretiennent pas les structures. C’est pourquoi les projets se tournent de plus en plus vers la participation de la population locale pendant la phase d’élaboration du projet. Car, c’est bien connu, les acteurs locaux ne s’investissent que lorsqu’ils sont en mesure d’apprécier le rendement de cet investissement. La plupart des projets de préservation des sols et des ressources en eau cessent dès que la source des financements extérieurs est tarie, faute de moyens pour l’entretien. Gouvernements et agriculteurs se sentent alors en situation d’échec. Ressources humaines : - la clé d’une gestion durable Le défi consiste à inciter des centaines de milliers d’agriculteurs à investir leur travail et leurs ressources, si limitées soient-elles, dans la gestion de leurs terres. Les projets peuvent toutefois continuer à jouer un rôle dans le cadre de cette option de processus durable. Le problème consiste à passer sans heurt du système de projet, qui implique une approche « technicienne », des objectifs et des délais très précis, à un système où ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui jouent un rôle prépondérant. Une évolution aussi radicale obligera à une révision complète de l’attitude des pouvoirs publics et des organismes d’aide financière. Deux conditions indispensables à ce changement d’attitude : la reconnaissance des agriculteurs comme seuls acteurs capables de mettre en oeuvre des projets significatifs, et la nécessaire adoption d’un programme national de « gestion de la terre » avec intervention de conseillers agricoles correctement formés et polyvalents. Au moins trois conditions doivent être remplies pour que les agriculteurs acceptent le principe d’un programme de préservation intégral: FORMATEURS ET AGRICULTEURS La remise en état des terres est inconcevable, à une échelle significative, sans la participation des agriculteurs et des agricultrices. Il est donc nécessaire de les motiver et de les former. La formation des formateurs est toutefois un préalable indispensable. Les principes de base de l’entretien des terres sont maintenant connus. Les conseillers agricoles polyvalents doivent dominer ces techniques et savoir comment encourager la participation des agriculteurs. Nul besoin donc d’une structure hyper spécialisée et coûteuse. La deuxième phase du programme est la motivation et la formation des agriculteurs. Il s’agit là de deux activités fondamentales. Dans un premier temps, les agriculteurs participent à des séminaires de planification au cours desquels des diagnostics et des propositions de solutions sont échangés. Par la suite, des visites sont organisées de part et d’autre. L’idée des voyages d’agriculteurs pour connaître des solutions adoptées par d’autres n’est pas nouvelle, mais des expériences récentes, au Niger notamment (voir encadré à droite) ont rappelé qu’ils étaient fructueux. Récemment, le Bureau des Nations unies pour la région soudano-sahélienne a présenté un projet de récupération de l’eau au Sahel : il est essentiellement fondé sur une coopération entre agriculteurs et propose à plus de 10 000 exploitants des visites dans d’autres régions du pays. La formation technique, orientée par exemple sur l’utilisation d’outils de surveillance ou sur la production de compost, n’est pas non plus négligeable car elle contribue à démystifier la technologie et à donner confiance aux agriculteurs. PROGRAMME TECHNIQUE ADAPTE Il faut favoriser des techniques de préservation simples, efficaces, relativement peu coûteuses et insister particulièrement sur l’amélioration de la gestion des terres. Ce dernier point permet de faire le lien entre la remise en état des terres et l’augmentation de leur productivité. L’épandage de compost et de fumier augmente les taux d’éléments nutritifs contenus dans les sols, améliorant ainsi leur structure. La productivité du système cultural et sa résistance à l’érosion s’en trouvent immédiatement accrues. Les .méthodes d’agroforesterie, telles que la plantation de haies de légumineuses fixant l’azote, ont un rôle important à jouer. De même pour les bandes enherbées, qui se substituent avantageusement aux buttes de terre dans les zones où la pluviométrie est favorable. Autre avantage de cette technique : l’herbe ainsi cultivée peut être récoltée et faire office de fourrage pour le bétail en stabulation, ce qui permet à l’agriculteur de faire « d’une pierre deux coups ». Au Sahel, les expériences menées conjointement par les ONG et les agriculteurs ont permis de mettre au point des techniques simples adaptées aux zones plus arides. Parmi ces techniques figurent notamment la construction de diguettes en pierre suivant les courbes de niveau (idéales lorsqu’il est possible de se procurer des pierres) et l’aménagement de larges fosses. Ces deux techniques permettent de collecter et de concentrer les eaux de ruissellement et donc de stimuler la croissance des plantations. L’utilisation de compost et, occasionnellement, d’engrais minéraux, complète cet apport hydrique. Fondées sur des pratiques traditionnelles, ces techniques constituent souvent un bon point de départ pour réfléchir aux améliorations futures en matière de préservation des sols. L’idéal serait de proposer aux agriculteurs des solutions « à la carte » après discussion avec des spécialistes. Il se peut en effet que les agriculteurs privilégient des solutions non optima pour des raisons difficiles à comprendre par ces experts. Ces derniers devraient guider les choix des agriculteurs, sans leur imposer de solutions. EQUIPER LES AGRICULTEURS La participation des agriculteurs doit être encouragée par des mesures incitatives appropriées. Les responsables de projets antérieurs avaient tendance à acheter eux-mêmes les camions, les trieuses et autres machines agricoles, se substituant ainsi aux agriculteurs. L’abandon progressif du principe de projet au profit de processus participatifs durables devrait conduire à garantir aux agriculteurs un meilleur accès aux outils (pioches, pelles, etc.), aux intrants (semences d’arbre, etc.) et aux moyens de transport adéquats (brouettes et carrioles tirées par un âne) susceptibles de leur faciliter la tâche. Le système « vivres contre travail » n’incite pas les agriculteurs à mieux gérer leur terre et convient mieux pour des travaux d’intérêt général. « L’érosion va plus vite qu’une carriole tirée par un âne » : cette maxime a souvent servi à justifier le transport des pierres par camion lors de la construction de diguettes antiérosives au Sahel. Argument simpliste c’est en effet oublier un peu vite que ce genre de carriole peut aussi être utilisé dans de nombreuses occasions, par exemple pour apporter le fumier dans les champs. En outre, carrioles, brouettes, pioches, etc. peuvent être fabriquées et entretenues sur place, ce qui contribue à générer des emplois dans le secteur non agricole. Les hommes et la terre Un mythe à la vie dure est en train de s’effondrer : celui selon lequel la pression démographique aggrave la détérioration des sols. Une étude récente prouve que cette affirmation est fausse. Si l’on peut affirmer qu’une augmentation démographique perturbe dans un premier temps un système agricole donné, ce qui aggrave souvent la détérioration des terres, il faut souligner cependant qu’elle incite souvent les agriculteurs à protéger et améliorer leurs ressources fondamentales. Mis au pied du mur, ils ont en effet à choisir entre deux possibilités : investir dans la terre ou partir. C’est précisément dans de telles situations - que les programmes de préservation des sols et des ressources en eau produisent des résultats optimaux. Une étude récente réalisée dans le district de Machakos, au Kenya, prouve que bien que la population ait été multipliée par cinq entre les années 30-40 et les années 90, l’érosion et la détérioration des sols durant cette même période ont en fait reculé. Les organismes d’aide financière continueront à verser des fonds pour la préservation des sols et des ressources en eau en Afrique. Mais s’ils souhaitent constater des résultats tangibles, il est aujourd’hui temps qu’ils cessent de raisonner en termes de « projets ». Ces derniers peuvent certes constituer un bon point de départ, mais il faut définir un programme national avec une logistique de vulgarisation, assurée par un personnel formé et polyvalent. Le pari sera gagné si l’on permet aux agriculteurs de lutter par leurs propres moyens contre la dégradation de leurs terres, en leur fournissant les compétences et les outils nécessaires. Premières victimes de la baisse de fertilité, ils deviendront aussi les principaux bénéficiaires de son rétablissement. BIBLIOGRAPHIE W Critchley, C Reij et S D Turner, (1992), Soil and water conservation in sub-Saharan Africa: towards sustainable production by the rural poor, FIDA, Rome. C Reij, (1993), Improving indigenous soil and water conservation techniques. Does it work ? Indigenous Knowledge and Development Monitor, vol 1, n° 1, 1993. Regional Soil Conservation Unit, Nairobi, Kenya, Rapports annuels/documents divers. M Ti f fen et M Mortimore, (1993), Environment, population growth and productivity in Kenya: a case study of Machakos District. Development Policy Review, vol. (1), 1993.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1993
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/60376
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