Sahel : les éleveurs de demain

Les éleveurs du Sahel vivent de profondes et difficiles mutations sociales et économiques. Poussés par la sécheresse, ils descendent vers le Sud où ils entrent en conflit avec les agriculteurs. La transhumance, système traditionnel pour exploiter au mieux les pâturages et les ressources naturelles, se révèle difficile à la suite des sécheresses. Par ailleurs, l'arrivée de viandes congelées en provenance d'Europe fait concurrence aux produits locaux. L’élevage 'contemplatif'tend à disparaître. L'image classique du pasteur qui promène son capital et nevit que de lait et de la vente de ses animaux ne se rencontre plus guère. Tout d'abord parce que la succession d'années sèches a considérablement diminué la capacité de production des terres de parcours et qu'il faut désormais effectuer de longues distances pour satisfaire les besoins des troupeaux. Le traditionnel système de jachère tend à être abandonné car les cultivateurs manquent de terres et ne peuvent plus respecter leur temps de repos. Premiers à souffrir de cette situation : les éleveurs, dont les pâturages de saison sèche, souvent terres de jachère, essentiels à leurs troupeaux, sont désormais occupés par des cultures. Par ailleurs, le régime foncier en Afrique n'est guère favorable aux éleveurs. Dans de nombreuses régions, par tradition, la terre appartient à celui qui la cultive. Les pasteurs ne sont donc pas protégés par la loi et lorsque les terres qui leur ont depuis toujours servi de pâturages sont occupées par des cultures, ils n'ont aucun recours. Certains pasteurs, qui possèdent pourtant des connaissances ancestrales et précieuses sur les animaux, ne sont plus en mesure de subvenir aux besoins de leurs troupeaux. Ce sont de riches agriculteurs, commerçants ou fonctionnaires, qui achètent les troupeaux bien qu'ils n'aient aucune expérience de l'élevage. Alors, au mieux, les éleveurs sont relégués au rang de bergers... au pire, ils se réfugient dans les villes où, souvent, le chômage les attend. Du zébu au riz ... D'autres pasteurs ont habilement tiré leur épingle du jeu lorsque les conditions géographiques s'y prêtaient. Dans la vallée du fleuve au Sénégal, les Peuhls par exemple, qui autrefois possédaient des terres de parcours, se sont sédentarisés et cultivent désormais du riz. Ils n'ont pas pour autant cessé toute activité d'élevage. Mais ils nourrissent leurs troupeaux avec la paille de riz. Ils bénéficient d'une double rentrée d'argent, le riz et les produits de l'élevage et sont plus riches que les agriculteurs traditionnels. Ainsi, ces anciens nomades arrivent à nourrir leurs animaux là où ils se trouvent et constatent que cette forme d'intensification est une sécurité pour eux, plus fiable que le nomadisme. Avec la vente de leurs bêtes, ils entrent dans le monde du commerce et de l'argent liquide. C'est pour eux une sécurité qui les conforte dans leur sédentarisation. Parallèlement, bien des agriculteurs se mettent à l'élevage : pour leurs besoins de traction animale, par nécessité de diversifier leurs activités et aussi pour fertiliser leurs terres grâce aux déjections des animaux. Des problèmes fonciers se posent L'association des agriculteurs et des éleveurs, profonde mutation de ces deux mondes, est probablement une voie d'avenir pour le Sahel mais elle ne manque pas de poser des problèmes. Poussés par les mauvaises conditions climatiques du Nord, les éleveurs ont tendance à se sédentariser dans le Sud. Or les pâturages, contrairement aux apparences, n'y sont pas plus riches. 'Par une sorte de compensation des rigueurs climatiques, le fourrage est plus riche en azote là où il pleut le moins. La zone la plus aride, le SahelNord, semble être la plus favorable quant à la qualité des fourrages au cours de l'année' écrit Roger Pons, consultant, dans un rapport au Club du Sahel. Pauvreté des sols, disparition des graminées pérennes, suppression des arbres et des arbustes, les troupeaux ont du mal à trouver leur nourriture. Par ailleurs, les éleveurs sont appelés à côtoyer plus longuement les agriculteurs, à partager avec eux une terre déjà devenue rare. D'une année à l'autre, les éleveurs retrouvent parfois leurs anciens couloirs de passage ou leurs pistes de transhumance cultivés. Ceci ne les arrête pas dans leur progression, et leurs troupeaux font des ravages, broutant ou piétinant les cultures. Au Niger, par exemple, entre 1968 et 1980, les surfaces cultivées ont augmenté de 50 %. Ces nouvelles terres cultivées ont essentiellement été prises dans une zone à vocation pastorale. Au Mali, Samba Sékou Traoré, chef du village de Ségué, situé sur le delta du fleuve Niger à proximité de Mopti, constate que les crues ne sont plus aussi importantes qu'autrefois, que la pluviométrie est moindre et que le village a vu son espace considérablement diminué. Les agriculteurs ont dû mettre en culture des terres qu'ils délaissaient autrefois. L'équilibre séculaire entre agriculteurs et éleveurs semble aujourd'hui rompu. Chacun cherche avant tout à préserver sa parcelle, son casier comme on dit dans la région. 'Les agriculteurs du village doivent surveiller sans cesse leurs casiers rizicoles, surtout ceux mis récemment en cultures, pour que les animaux ne viennent pas détruire les récoltes. Les animaux ont besoin de manger et ils ne savent plus où passer dans le delta tant les pâturages ont diminué. ' Autre exemple, en pays Sérère, au Sénégal, les troupeaux ne trouvent plus de pâturages car toute la région est occupée par l'agriculture. Les bergers emmènent donc les bovins vers le Sud plus de 9 mois de l'année. Certaines familles, propriétaires de troupeaux, n'ont pas renoncé pour autant à garder dans leurs concessions une ou deux bêtes. Celles ci sont nourries avec des sous produits agricoles disponibles sur place, comme les fanes d'arachide, les tiges de mil ou du foin. Les produits de ce petit élevage permettent à ces 'mini éleveurs' d'obtenir de l'argent liquide. L'élevage, un véritable commerce Pour les pasteurs qui se sont sédentarisés et qui parviennent à nourrir leurs troupeaux avec les produits qu'ils trouvent sur place, c'est la sécurité. Dès qu'ils peuvent, ils vendent des animaux dans la force de l'âge. Il s'agit alors d'un véritable marché de la viande sur pied, d'une spéculation. Il en allait autrement dans le passé. Les propriétaires de troupeaux visaient essentiellement à approvisionner le marché local, une fois leurs propres besoins satisfaits. Les éleveurs sont devenus des producteurs de viande en entrant dans deux grands mondes aux frontières desquels ils se contentaient de rester : le monde du commerce international et celui de l'agriculture. Certains fonctionnaires et cadres de la région de Dakar, au Sénégal, l'ont fort bien compris. Ils ont créé des fermes d'embouche où ils engraissent pendant trois ou quatre mois un troupeau d'une cinquantaine de bêtes. Leur objectif : produire de la viande de qualité pour être concurrentiels sur les marchés et pouvoir vendre leurs produits plus cher. Aujourd'hui, des millions de têtes de bétail traversent les frontières. Les troupeaux représentent parfois en valeur une richesse supérieure aux budgets nationaux. Cette activité fait vivre non seulement les éleveurs mais toute la chaîne jusqu'au marché : transporteurs, maquignons, chevillards, bouchers... C'est une activité de production agricole majeure. Sévère concurrence viandes congelées d'Europe La surproduction de viande d'autres pays, comme l'Europe des 12 et de l'Est, vient souvent concurrencer les viandes locales et contrecarrer l'émergence de cette activité qui pourrait devenir un des atouts majeurs de l'Afrique. Ainsi, les marchés africains offrent un nouveau produit : la viande congelée.Celle ci vient à 95 % de la Communauté Européenne. Flanchets de boeufs, côtes de porc, boeuf désossé laissé pour compte de la restauration rapide, queues et pieds de boeufs... ce n'est pas la viande de qualité qui est exportée mais les excédents d'élevage. 140 000 t de viande écoulée sur le marché ouest africain en 1989. En 1991, les ventes françaises de viande bovine à l'Afrique subsaharienne ont doublé. Ce flux est à sens unique. Bien que les accords de Lomé prévoient que cinq Etats africains ACP puissent exporter vers la Communauté 50 000 t de viande bovine par. an, ce volume n'est jamais atteint par les vendeurs africains à cause de la piètre qualité de la viande. Les acheteurs se bousculent vu le bas prix de vente. De 1980 à 1987, les prix n'ont cessé de baisser pour descendre jusqu'à un prix moyen global de 263 FCFA/kg. Le 'Capa', cette viande grasse de boeuf désossé de basse qualité, qui représente 95 % des importations, de viande bovine en Afrique subsaharienne, atteint parfois des prix inférieurs à 200 FCFA /kg. A Dakar, au Sénégal, les bas morceaux de viande congelée sont vendus 300 FCFA/kg contre 1 000 FCFA pour la viande locale. Mais quand la crise économique s'installe, peu importe d'où vient la viande, ni son goût : l'essentiel est de boucler le budget de la famille. Ce sont surtout les grandes villes africaines qui sont touchées : Abidjan, Yaoundé, Cotonou absorbent la plus grande partie des viandes exportées tandis que les villages sont peu concernés. Pour l'instant, l'absence de chaîne de froid limite la distribution des viandes congelées depuis la côte. De plus, la consommation des produits congelés présente des risques lorsque la chaîne du froid n'est pas respectée. C'est le cas dans beaucoup d'endroits. 'La plupart du temps, les vendeuses du marché n'ont pas de congélateur, fait observer un employé des services d'hygiène de Brazzaville, au Congo. Elles sortent la viande le matin du casier d'une chambre froide qu'elles ont loué et installent leur étal. A la fin de la journée, ce qui n'a pas été vendu, et qui est décongelé, est remis dans le congélateur'. Rien d'étonnant si les médecins observent une recrudescence des maladies intestinales. Les contrôles sont quasiment inexistants et les mises en garde très rares. L'approvisionnement à moindre prix des grands marchés urbains l'emporte généralement sur toute autre considération. Limiter le coût de la vie et assurer l'alimentation des citadins semble primer sur les problèmes de santé. L'élevage bovin a été profondément touché par cette concurrence. Les prix pratiqués par les Européens sont sans rapport avec les coûts réels de production en raison d'une politique de subvention. Les pays industrialisés jouent un rôle ambigu : d'un côté, ils appuient le développement des élevages africains, de l'autre, ils leur font une concurrence déloyale. Pour faire face à cette concurrence, la plupart des pays africains ont décidé de réduire les importations de viande. Au Sénégal, de lourdes taxations ont réduit considérablement les arrivages de viande européenne. Il était temps ! Entre 1984 et 1987, les importations ont été multipliées par six, passant de 824 t à 5 550 t. Inquiètes de cette progression et sous la pression des gros éleveurs et des chevillards, les autorités sont rapidement intervenues. Par le biais de mesures fiscales, le tonnage des viandes importées est tombé à 600 t en 1988. Aujourd'hui, les importations de viande ne concernent pratiquement plus que les viandes de qualité.. En Côte d'Ivoire, depuis un an, le gouvernement a décidé d'aligner le prix de la viande congelée sur celui des produits africains. Les exportations de Capa avaient triplé entre 1980 et 1988. Il était vendu 450 FCFA le kilo contre 900 FCFA pour la viande sahélienne. Les mesures de protection n'ont cependant pas rempli tous les espoirs. Des réseaux parallèles se sont créés pour approvisionner les marchés sans passer par les douanes. Intensification agricole,voie d'avenir Malgré la grave crise qui affecte l'élevage dans les pays du Sahel, le nombre d'animaux est très élevé au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie, au Niger et au Tchad. Parallèlement, l'élevage concerne une population de plus en plus nombreuse puisque beaucoup d'agriculteurs se sont mis à cette activité. C'est pourquoi l'association agriculture élevage paraît être la voie de l'avenir dans le Sahel. 'L'agriculture intégrera de plus en plus les activités d'élevage car c'est le sens naturel de l'évolution des civilisations agraires. Il est impératif de produire suffisamment de fourrage de bonne qualité. Cela suppose des programmes considérables et fait appel à des façons culturales plus élaborées. Il n'y aura pas de salut en dehors d'une intensification de l'agriculture, car celle ci à elle seule, est susceptible d'alimenter convenablement les animaux, condition sine qua non d'une bonne productivité', conclut Roger Pons dans son rapport. Parallèlement, quelques mesures en faveur de l'élevage traditionnel nomade, qui est loin d'avoir totalement disparu, s'avèrent indispensables. Préservation de la transhumance là où c'est encore possible, conservation d'un minimum de zones pour les pâturages de saison sèche, restauration des pâturages dans les régions pastorales, respect des couloirs de passage du bétail, semblent être les premières mesures. Des mesures d'urgence car l'agriculture gagne du terrain de jour en jour. Quelle place restera t il demain pour les gens du voyage ? BIBLIOGRAPHIE • L'élevage dans les pays sahéliens (Burkina Faso, Niger, Mali) La situation de l'élevage sahélien. Ses contraintes, sa place dans l'économie. Les conditions de son développement Sahel D(88)314 Janvier 1988 •L'élevage dans le Sahel ouest africain IEMVT Institut d'Elevage et de Médecine Vétérinaire des pays tropicaux 10, rue Pierre Curie 94704 Maisons Alfort Cedex FRANCE •Le Sahel face aux futurs Dépendance croissante ou transformation structurelle OCDE 2, rue André Pascal 75775 Paris Cedex

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1992
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/60108
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