Coton l'Afrique aux deux visages

C'est grâce à une organisation rigoureuse de la production que la culture du coton a connu une formidable expansion dans les savanes d'Afrique francophone. Pendant ces trente dernières années, les pays anglophones ont, eux, enregistré une forte baisse de production. Aujourd'hui, tous sont confrontés à la chute des cours qui risque de remettre en jeu les acquis. En 1960, les pays d'Afrique anglophone fournissaient 90% de la production de coton d'Afrique subsaharienne, aujourd'hui ils en assurent 55%. L'Afrique francophone a suivi l'évolution inverse et récolte actuellement près de la moitié du coton africain. Le Soudan, l'Ouganda, le Mozambique, la Tanzanie et le Nigéria qui furent longtemps les plus gros producteurs du continent (Egypte mise à part) ont vu leur production diminuer considérablement au cours des années 70. Seule exception parmi les pays anglophones, le Zimbabwe qui a continué sa progression. Dans les pays d'Afrique francophone, en revanche, l'augmentation de la production cotonnière a été spectaculaire. Les surfaces cultivées ont doublé depuis trente ans et atteignent désormais le million d'hectares. Cette expansion s'est faite exclusivement en Afrique de l'Ouest où le coton occupe désormais dix fois plus d'hectares qu'en 1981. En Afrique centrale, la production a plutôt régressé. Dans le même temps, grâce à la diffusion de variétés de plus en plus performantes, les rendements en coton graine ont fait un bond en avant, la production passant de 400 kg/ha en 1970 à plus de 1000 kg actuellement. Le rendement à l'égrenage (le pourcentage de fibres extrait du coton graine) a aussi marqué de nombreux points. Avec plus de 40%, l'Afrique détient le record mondial. Ces progrès conjugués ont permis, depuis 1960, de multiplier la production de coton par 36 en Afrique de l'Ouest, par 13 à Madagascar et par 2,8 en Afrique Centrale. Pays anglophones le plongeon Pourquoi une telle différence d'évolution entre des pays voisins dont les potentialités sont similaires ? En 1976, la Grande Bretagne a suspendu son programme d'aide à la recherche cotonnière et, faute d'efforts soutenus, la productivité est restée faible et la qualité de la fibre n'a pas suivi les besoins du marché. Faute d'organisation de la filière, la distribution des semences n'était pas faite régulièrement et les graines ont peu à peu perdu leur pureté variétale. Faute d'entretien des infrastructures: véhicules, entrepôts et usines d'égrenage se sont détériorés. S'ajoutent à ces difficultés des problèmes de commercialisation. Les agriculteurs attendent trop longtemps le paiement de leur récolte. Les crédits de campagne sont rares, les paysans ne peuvent acheter les intrants (engrais et pesticides) nécessaires à une intensification de la production. Restée très largement extensive, la culture du coton n'est guère concurrentielle. Pour les paysans, le coton a peu à peu perdu de son intérêt. Les cultures vivrières se sont révélées plus attrayantes. Mieux suivies par les chercheurs qui ont mis au point de nouvelles variétés, elles trouvent, en outre, facilement preneur sur les marchés. Le maïs, par exemple, a connu un fort engouement au Nigéria, tout comme le riz pluvial en Tanzanie. La baisse du prix d'achat du coton et la hausse du prix des intrants n'ont fait qu'accroître cette désaffection. La vente de vivres est alors une source de revenus plus rentable et plus fiable. Il s'ensuit que, de 50 000 t de fibres dans les années 1966/70, la production nigériane est tombée à 10 000 t en 1985. On constate la même baisse brutale en Ouganda où la récolte est passée de 76 000 t à 6 000 t, au Mozambique de 43 000 t à 11 000 t, et au Soudan de205 000 t à 142 000 t. Dans tous ces pays anglophones, réduction des superficies cotonnières et désintérêt des autorités pour cette spéculation sont allés de pair. Sans recherche, sans encadrement, sans commercialisation organisée, le coton exigeant en travail et en intrants et sans débouchés directs a perdu son attrait pour les producteurs. Il semble toutefois que les autorités aient pris conscience du problème et mis en place des programmes de relance La situation est bien différente dans les pays francophones, où le coton joue un rôle croissant dans l'économie. Pour certains pays comme le Mali, le Burkina Faso ou le Tchad, le coton représente 40 à 60% des exportations commerciales et 5 à 7% du produit intérieur brut. En Côte d'Ivoire, au Cameroun et au Sénégal, sa place au niveau national est secondaire mais il est le revenu principal de régions entières. Afrique francophone : des filières bien rodées Dans toutes les zones de savanes, le coton est aujourd'hui la seule culture qui procure des rentrées monétaires régulières. Cette réussite tient avant tout à la rigoureuse organisation de cette filière dans chaque pays producteur. Mises en place par la Compagnie Française pour le Développement des Textiles (CFDT), les sociétés cotonnières sont devenues africaines dans les années 70. Elles regroupent généralement l'ensemble des activités de la filière : production, transformation et commercialisation. Cette intégration verticale des différentes fonctions facilite le déroulement et la cohérence des opérations. Les agriculteurs, très encadrés, courent peu de risques. Ils obtiennent à crédit semences, engrais et produits de traitement dont ils sont régulièrement approvisionnés. Appui et conseils techniques leur sont prodigués pendant toute la campagne, mais surtout, les paysans sont assurés d'être payés au moment de la livraison de leur récolte à un prix garanti fixé d'avance. L'Institut français de Recherche du Coton et des Textiles exotiques (IRCT) appuie ces producteurs en proposant à la vulgarisation de nouvelles variétés plus performantes, en mettant au point les calendriers des traitements phytosanitaires,en évaluant les fertilisations nécessaires. Il a été l'un des, artisans de la très importante hausse de productivité constatée ces trente dernières années. Fortement structurée, opérationnelle et relativement solide, la filière coton, qui dispose en outre de moyens humains et matériels importants, inspire ainsi confiance aux paysans. De 'culture du commandant' obligatoire, le coton est véritablement devenu la 'culture du paysan'. L'engouement de ce dernier s'est traduit par l'expansion remarquable du coton dans les zones de savanes où il est devenu le principal moteur du développement. Le coton moteur du développement En effet, l'intensification croissante de cette culture a permis aux agriculteurs d'accéder à des techniques agricoles modernes utilisation de semences sélectionnées, traitements phytosanitaires, fertilisation minérale autant de pratiques que la plupart des producteurs de coton mettent aujourd'hui en oeuvre. En 1987/88, 77% des surfaces cotonnières ont reçu en moyenne 145 kg d'engrais par hectare et 79% ont été traitées au moins trois fois. Les revenus monétaires apportés par le coton permettent aux producteurs d'acquérir le cheptel et le matériel nécessaires à la culture attelée. C'est dans les zones cotonnières que cette première étape de la mécanisation, qui permet de labourer cinq fois plus vite, est la plus développée (53% des surfaces en 87/88). Au Mali, le labour à traction animale concerne près de 90% des parcelles de coton. Les sociétés cotonnières ont joué un rôle actif dans le développement de la traction animale en créant des centres de dressage des animaux, en vulgarisant cette pratique, en assurant le suivi sanitaire et en diffusant le matériel. Elles ont aussi entrepris de promouvoir la motorisation intermédiaire en introduisant de petits tracteurs dont elles assurent elles mêmes l'assemblage, la mise en place, le suivi technique et le service après vente. Toutefois, bien que ces tracteurs aient été conçus spécialement pour le travail en zone cotonnière, leur diffusion reste pour l'instant restreinte. Ces sociétés n'ont pas limité leurs activités au développement de la seule culture du coton. Progressivement, dans la plupart des pays, elles ont pris en charge la promotion des cultures vivrières sur le plan technique et même commercial. Au Cameroun, la SODECOTON a ainsi appuyé, en 1987, l'intensification de 38 000 ha de maïs, autant d'arachides et 35 000 ha de sorgho. Au Mali, le projet maïs de la CMDT (Compagnie Malienne pour le Développement des Textiles) lancé dans le sud du pays il y a dix ans a servi d'exemple dans toute l'Afrique de l'Ouest. De nouvelles variétés plus productives ont été introduites ainsi que des techniques de cultures plus intensives qui ont permis d'accroître considérablement les rendements. Ils atteignent trois tonnes à l'hectare dans la zone cotonnière. Pour favoriser l'écoulement de cette production devenue trop abondante pour la consommation familiale, la CMDT a ensuite facilité l'installation de minoteries donnant des produits transformés (farine, 'riz de maïs', semoule) plus faciles à vendre. En fait, la culture du coton favorise le développement des cultures vivrières qui bénéficient notamment des arrières effets des engrais épandus pour le coton. C'est dans les régions cotonnières qu'on trouve aujourd'hui les exploitations les plus riches. Plus largement encore, les sociétés cotonnières ont souvent été chargées de programmes d'aménagement (construction de pistes et de routes, d'écoles, de dispensaires...). Le coton a aussi favorisé l'émergence d'organisations professionnelles agricoles. En témoigne la récente participation des groupements maliens au conseil d'administration de la CMDT. Enfin l'activité cotonnière a permis la mise en place d'infrastructures : entrepôts pour les intrants et les semences, usines pour l'égrenage. Désormais la totalité du coton graine est égrenée sur place dans les dix pays francophones d'Afrique. Une grande majorité des graines est triturée pour fournir de l'huile. Grâce au coton, le Burkina Faso est aujourd'hui autosuffisant en huile. Les tourteaux servent généralement à l'alimentation du bétail. En revanche seuls 10% de la fibre sont transformés dans les usines textiles locales. L'essentiel est voué à l'exportation. La fibre africaine, récoltée manuellement, est généralement appréciée pour sa qualité, ce qui constitue un atout sur le marché international. Baisse des prix,réduction des coûts Jusqu'en 1985, tant que les cours du coton sont restés élevés, tout le monde trouvait son compte : les paysans qui bénéficiaient de larges subventions sur les intrants et avaient des revenus confortables, les sociétés cotonnières qui faisaient de substantiels bénéfices, les Etats qui effectuaient d'importants prélèvements par la fiscalité. En quelques années, la situation a considérablement changé. En mai 1984, le kilo de fibres se vendait 16,65 FF, en août 1986 il ne se négocie plus qu'à 5,50 FF... Une récolte pléthorique et l'arrivée sur le marché du coton chinois ont fait dégringoler les cours. Résultat, en un an les filières cotonnières ont accusé un déficit de 100 milliards de F CFA, difficile à résorber pour les budgets nationaux. Après une légère remontée ces dernières années, les cours sont de nouveau à la baisse. Une récolte record aux Etats Unis et des ventes de coton soviétique expliquent cette nouvelle chute. Pour les pays africains, cette situation nouvelle a mis en exergue les inconvénients des systèmes en place. Le prix de vente du coton ne permet plus aux sociétés cotonnières de rentrer dans leurs frais. Dès 1986, une restructuration des filières a donc été engagée afin de réduire les coûts. Une gestion plus rigoureuse a déjà permis de réaliser d'importantes économies. Mais, surtout, le coton ne peut plus supporter à lui seul toutes les charges d'encadrement des agriculteurs et de développement rural qui lui étaient dévolues. Ainsi, les subventions sur les intrants ont été supprimées, les paysans payant désormais les produits au prix coûtant. Les groupements villageois prennent peu à peu en charge les opérations de commercialisation. Quant au prix d'achat au producteur, il a considérablement baissé. La plupart des pays fixent désormais un prix plancher (entre 80 et 100 F CFA le kilo) pour chaque campagne. Des primes supplémentaires sont versées aux paysans en cas de hausse des cours. Certains agriculteurs estiment déjà qu'il n'est plus intéressant de faire du coton et les surfaces plantées ont régressé par endroits. Comment relever le défi ? La réorganisation de ces filières ne suffira pas à assurer leur viabilité. Face à une concurrence de plus en plus rude, il est nécessaire d'accroître encore la productivité, d'améliorer la qualité et de rentabiliser au mieux tous les produits du cotonnier. Pour augmenter les rendements, il faudrait augmenter fortement les doses d'engrais, surtout dans les zones très peuplées où la jachère n'a plus cours. Mais, faute de revenus suffisants, les agriculteurs ne peuvent en supporter les coûts. Des solutions moins coûteuses comme une meilleure association de l'agriculture et de l'élevage sont actuellement préconisées par les chercheurs. Adapter les calendriers des traitements phytosanitaires à chaque situation, associer différents types d'insecticides, fractionner les doses employées, telles sont aujourd'hui les solutions à l'étude pour assurer une bonne protection des cotonniers tout en réduisant les coûts. Pour répondre aux besoins du marché et vendre leur coton à un bon prix, les pays producteurs doivent tenir compte de normes de qualité de plus en plus précises. Les nouveaux procédés de filature dits 'open end', où le ruban est transformé en fil en passant dans une coupelle qui tourne à 70 000 tours à la, minute, ne sont applicable qu'à des fibres courtes, fines et résistantes exemptes de `' tout déchet. En outre, les nouvelles chaînes de mesure permettent des contrôles très rapides de la qualité de la fibre. La culture des variétés de coton glandless prônée par la recherche (voir encadré) permettrait de mieux valoriser les sous produits du coton. Pour les pays ou les régions dont l'économie repose principalement sur le coton, davantage d'efforts doivent être consacrés à la diversification. Le coton en Afrique de l'Ouest et du Centre Situation et perspectives Groupe de travail coopération française 1991 La documentation française, 23 quai Voltaire 75340 Paris cedex 07

Saved in:
Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1992
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/60050
Tags: Add Tag
No Tags, Be the first to tag this record!