Irrigation : les petits projets ont plus de chances de réussir

Les gouvernements et organisations humanitaires internationales considèrent souvent que l'introduction de l'irrigation peut contribuer à améliorer une productivité agricole médiocre, particulièrement en Afrique. Cependant, les projets d'irrigation à grande échelle sont en général des gouffres financiers et les résultats obtenus sont décevants. Ces échecs sont dus en partie à l'approche simpliste adoptée, qui part du principe que l'abondance de terres et d'eau suffit pour assurer le succès d'un projet d'irrigation. Or, il n'en est rien et les gens sont de plus en plus nombreux à admettre qu'il faut prendre en compte un certain nombre de facteurs socio-économiques, politiques et écologiques pour réussir.a culture irriguée - l'art et la manière d'assurer une récolte en utilisant au mieux les ressources hydriques afin d'améliorer la production - semble remonter à la nuit des temps. Qu'elle provienne des précipitations ou des nappes d'eau souterraines, l'emploi de l'eau pour l'irrigation permet d'accroître la production des cultures vivrières et des cultures de rente. Dans les régions où la culture irriguée est pratiquée avec succès, les famines peuvent être évitées, la population augmente et les conditions de vie s'améliorent. L'irrigation n'est d'ailleurs pas limitée aux régions sèches ; le schéma compliqué de cultures irriguées en terrasses s'étendant sur des territoires immenses dans les régions humides d'Asie et du Sud-Est a non seulement eu une influence sur le progrès technologique, mais a contribué - par le biais du système de répartition et de jouissance des terres qui lui est propre - à façonner l'ensemble de l'organisation socio-économique de ces régions. Cependant, on peut citer de nombreux exemples dans lesquels l'introduction ou l'intensification de l'irrigation ont entraîné une réduction de la productivité des terres, un accroissement de l'exploitation des ressources non renouvelables et une perturbation des schémas régionaux d'utilisation de l'eau. Cela a trop souvent été le cas en Afrique subsaharienne, notamment lorsque de grands projets d'irrigation ont été conçus et mis en place par des 'étrangers'. Les grands projets utilisant la technologie moderne semblent souvent constituer le moyen le plus rapide, le plus facile à gérer et le plus efficace pour faire bénéficier les populations des bienfaits de l'irrigation. Cependant, si les grands projets ont un rôle à jouer, les problèmes qu'ils posent ont conduit à une réévaluation des méthodes et principes de base auxquels ils font appel. En Afrique (à l'exception de la vallée du Nil), la culture irriguée est traditionnellement peu répandue. Cela s'explique peutêtre par le fait que les densités de population ont toujours été relativement faibles, que la majorité des terres sont plates, que le débit des cours d'eau varie considérablement en fonction des saisons et que les autres eaux superficielles, ou même les eaux souterraines à faible profondeur, sont rares. En outre, le taux d'évapotranspiration est très élevé et entraîne des pertes énormes d'eau potentiellement utile.' Grands projets petits projets Il a été tenté de remédier à certains de ces problèmes, par des investissements massifs dans la construction de barrages, de canaux d'amenée, d'équipements de pompage très gourmands en énergie. Les agriculteurs concernés, ne disposant pas de l'expérience et des compétences nécessaires pour assurer la gestion de ces énormes projets très complexes, ne sont souvent que de simples ouvriers agricoles. N'ayant guère investi financièrement ou personnellement, ils ne parviennent pas à s'adapter aux nouvelles cultures ou aux nouvelles variétés. Ils ne respectent pas la stricte discipline qui s'impose dans le cas où l'eau doit être utilisée à tour de rôle et où il est essentiel d'optimiser son emploi en respectant le cycle des cultures. Les incertitudes concernant la jouissance des terres récemment mises en culture, les conflits entre les différents exploitants, les divergences d'opinion sur les cas prioritaires entre les agriculteurs et les responsables du projet provoquent un certain nombre de problèmes économiques et sociaux. Les agriculteurs ne réagissent pas toujours favorablement à l'imposition de taxes sur l'eau, qui permettent de récupérer au moins une partie des fonds investis dans le projet. Les possibilités de mise en place de petits projets d'irrigation en Afrique sont considérables. Alors que les grands projets sont souvent conçus et réalisés 'du haut vers le bas', les petits projets sont le fait de la base et leur mise en oeuvre, qui mobilise les compétences et les connaissances indigènes, n'exige qu'un investissement très réduit et permet un accroissement de la productivité agricole. De nombreux pays des Caraïbes et du Pacifique offrent également un potentiel d'amélioration de la production agricole par la création de petits projets d'irrigation. Les petits projets peuvent être définis comme l'irrigation de petits lopins de terre en général, principalement contrôlée par les petits agriculteurs eux-mêmes et faisant appel à une technologie dont l'utilisation et l'entretien peuvent être assurés par les agriculteurs. Particularités des petits projets d'irrigation Il est essentiel que les cultivateurs participent à l'élaboration du projet, ou mieux, soient à l'origine de sa planification et de sa conception, de la construction et de la gestion de la plupart des aspects de l'exploitation et du suivi. Il est également préférable qu'ils choisissent les cultures, les techniques agricoles et méthodes d'irrigation et qu'ils assurent la récolte et la commercialisation. Il est important que les techniques choisies soient adaptées afin qu'ils puissent avoir la maîtrise de leurs terres. Il est en effet indispensable qu'ils comprennent le fonctionnement de tous les systèmes et équipements utilisés pour être en mesure d'en assurer l'entretien et les réparations. Les projets d'irrigation se heurtent souvent à des difficultés car ils ne tiennent pas suffisamment compte des besoins et des préférences des agriculteurs. Certains projets qui ont échoué avaient été planifiés et conçus sans la participation des principaux intéressés ; on leur a dit qu'il fallait cultiver, à quel moment il fallait planter ; on leur a imposé des taxes pour l'emploi des machines agricoles et de l'eau. Il n'est pas facile pour des petits agriculteurs traditionnellement indépendants d'accepter le degré important de discipline et de coopération indispensable au bon fonctionnement d'un grand projet d'irrigation. Les petits projets au sein desquels les agriculteurs conservent leur indépendance et créent entre eux des liens de coopération, plutôt que d'avoir à les subir, ont plus de chances de réussir. Il est important de réduire au minimum le coût de l'eau pour éviter d'imposer aux petits fermiers des taxes qu'ils ne pourront jamais payer. La récupération des eaux d'écoulement des toits et des eaux de ruissellement constitue une solution économique qui ne demande qu'une maind'oeuvre limitée (travail familial). Il est possible de créer des petits réservoirs et de détourner l'eau des fleuves aux endroits où leurs berges ne sont pas trop hautes et où des barrages peuvent être construits. Les sources et les puits constituent d'autres possibilités. On peut imaginer des solutions en fonction de la topographie, de la pluviométrie, de la profondeur de la nappe phréatique et des techniques disponibles pour l'extraction et le pompage de l'eau. L'importance des surfaces cultivées dépend des besoins en eau des cultures et de la qualité de l'eau disponible tout au long du cycle des cultures. Un hectare de maïs peut nécessiter 100 m3 d'eau lors d'une journée chaude, ce qui permettrait de satisfaire les besoins en eau de plus de 3000 personnes. Les cultures irriguées exigent une maind'oeuvre abondante, 500 hommes-jours par hectare. Par conséquent, les cultures qui bénéficient de l'irrigation doivent rembourser l'investissement consenti pour la récupération de l'eau, son extraction et son utilisation. La culture irriguée peut également être combinée à une culture sèche. L'eau, rare et précieuse Dans les zones d'irrigation traditionnelle sur les terrasses alluvionnaires du Wadí Azum, dans la partie occidentale du Soudan, les cultures bénéficient de précipitations durant la saison humide et sont partiellement irriguées durant la saison sèche. Les méthodes employées limitent la production : 42 % des surfaces irriguées le sont manuellement, 47 % à l'aide de 'shaduf' et 11 % seulement par des pompes mécaniques. L'irrigation exigeant un travail considérable, presque 50 % des agriculteurs disposent de moins d'un demihectare de terres irriguées et ils sont 30 % à se contenter d'une surface irriguée inférieure à un vingtième d'hectare. Ils cultivent des oignons et des condiments qui procurent un complément aux cultures principales de millet, de sorgho et de maïs, obtenues en culture sèche. Le maïs constitue également la principale culture vivrière du peuple Chagga qui vit sur les contreforts du Kilimanjaro dans le Nord de la Tanzanie. Il utilise depuis longtemps l'eau issue de la fonte des neiges du célèbre sommet. L'art de tracer des réseaux complexes de sillons se transmet de génération en génération. Les Chagga ont adapté leurs compétences ancestrales à la réalité de la vie moderne et pratiquent en étages la culture des bananiers, du café, des céréales ainsi que des légumineuses pour l'alimentation du bétail. Le fumier et la paille sont enfouis et la boucle est ainsi bouclée. Dans le Yatenga au Burkina Faso, les paysans ont mis au point un système très simple permettant de recueillir l'eau : des murettes de pierres sont construites le long des courbes de niveau. Elles empêchent le ruissellement, favorisent l'infiltration, réduisent l'érosion et peuvent accroître les rendements jusqu'à 50 %.Dans le centre du Mali, les Dogons construisent des terrasses sur les flancs escarpés des collines rocheuses où ils vivent, là encore en disposant des pierres le long des courbes de niveau. A la terre qui s'accumule naturellement derrière les barrières formées par les pierres, ils ajoutent de la terre prise dans le lit du fleuve qui coule au pied de ces escarpements. Ils creusent également des citernes pour stocker l'eau afin d'irriguer pendant la saison sèche. Les terrasses ne mesurent guère plus de quelques mètres carrés et sont consacrées à la culture d'oignons, vendus au marché à Mopti et Bamako. Le pouvoir au peuple Même si la culture irriguée n'est pas aussi répandue en Afrique qu'en Asie, il est évident qu'un savoir-faire traditionnel et des techniques qui ont fait leurs preuves sont utilisés dans de nombreuses régions, dans des zones écologiques très diverses. Si ces compétences avaient été reconnues plus tôt, il aurait été possible de limiter l'importance de la crise alimentaire qui sévit actuellement dans de nombreux pays. Cependant, on se tourne actuellement en Afrique vers des petits projets faisant appel à un savoir-faire, notamment parce que les gouvernements et organismes para-étatiques délèguent de plus en plus la gestion et la responsabilité aux particuliers ou aux petits groupes. Au Sénégal, la SAED (Société nationale d'aménagement et d'exploitation des terres du delta et des vallées du fleuve Sénégal et de la Falémé) prête la main à des associations d'agriculteurs connues sous le nom de Groupements d'intérêt économique (GIE), parce que, en tant qu'organismes légalement constitués, ceux-ci sont mieux à même de négocier des emprunts auprès des banques. Depuis 1987, dans la région semi-aride de Yaguoua au Cameroun, la SEMRY -Société d'expansion et de modernisation de la riziculture à Yaguouadélègue la gestion de la responsabilité financière et technique de ses terres et de ses infrastructures à ses anciens métayers, dans l'objectif de développer leur esprit d'entreprise. Au Zimbabwe, on tente de faire payer aux agriculteurs le coût réel des opérations (780 dollars du Zimbabwe/ha), autrefois assuré par l'Etat. Les petits fermiers zimbabwéens considèrent en effet que les infrastructures appartiennent à l'Etat, même s'ils paient entre 30 et 145 dollars au Zimbabwe pour l'utilisation de l'eau et autres taxes. Par le passé, ils n'ont pratiquement rien fait pour améliorer la terre qui leur était confiée. Lors du séminaire du CTA sur l'agriculture irriguée en Afrique, qui s'est tenu du 25 au 29 avril 1988 à Harare, M. Rukuni, Doyen de la faculté d'agriculture à l'Université du Zimbabwe, a conclu qu'il serait possible, sur des projets existants financièrement viables, de mettre en place un processus de délégation des coûts et de la gestion du projet aux fermiers concernés. Pour le développement de nouveaux projets, les agriculteurs devraient être entièrement responsables des coûts d'exploitation et d'entretien liés au projet, dès le départ, lorsque le projet est financièrement viable. Cette politique pourrait être mise en place si le développement était centré sur des projets à faible coût lorsque la viabilité financière est réduite, mais aussi lorsque la sécurité alimentaire l'exige. Les ouvrages de pompage et de stockage de l'eau qui imposent des investissements considérables devraient être restreints aux projets financièrement viables. Les difficultés et les risques Si l'irrigation offre de nombreuses possibilités d'amélioration des revenus et du niveau de vie, elle peut être à l'origine d'un certain nombre de problèmes. Les maladiestransmises par l'eau sont peut-être les plus dangereuses : le paludisme, la schistosomiase et la filariose sont trois ennemis de la santé publique associés aux grands projets d'irrigation. Ces maladies peuvent également constituer une menace pour les populations dans le cas de petits projets si la surveillance des vecteurs et la mise en place de mesures préventives ne sont pas assurées. Les maladies des cultures peuvent devenir plus importantes lorsque l'irrigation accroît l'humidité du micro-climat. C'est ce qui s'est produit en 1984 dans certaines régions du Nord du Nigéria, où l'irrigation en saison sèche a provoqué des maladies qui ont entraîné la perte d'environ 80 % de la récolte de poivre. Afin d'exploiter pleinement le potentiel de l'irrigation, les agriculteurs peuvent avoir besoin d'engrais, de pesticides et même de semences pour les nouvelles cultures ou les nouvelles variétés de cultures traditionnelles. Il faut donc penser à mettre en place un système de crédit pour l'achat des intrants nécessaires. L'irrigation peut entraîner très rapidement un accroissement de la production de certaines cultures, qui peut provoquer un surplus sur le marché. Les denrées très périssables, comme les tomates, sont particulièrement sensibles aux conséquences d'une commercialisation inadaptée. Il est donc essentiel de planifier le transport et la commercialisation des produits. Enfin, la mise en place de petits projets d'irrigation peut être fatale aux intérêts desfemmes de la communauté concernée. Il es prévu que la famille entière bénéficie de l'introduction de l'irrigation grâce à une augmentation des revenus et une amélioration de la nutrition. Cependant, l'irrigation conduit à une intensification ou à un accroissement des cultures, qui peut se traduire par un surcroît de travail pour les femmes, et il se peut qu'elle favorise les cultures considérées comme appartenant aux hommes. De même, si les cultures adoptées sont limitées en nombre, cela peut avoir des conséquences désastreuses sur la nutrition. Irrigation et développement Dans l'ensemble, on considère toutefois que les petits projets jouent un rôle important dans le développement rural dans les pays ACP et contribuent à l'autosuffisance alimentaire. Ils peuvent constituer un processus d'initiation au développement, en encourageant la souplesse, l'apprentissage progressif et donc l'indépendance. La mobilisation des ressources humaines fait appel aux compétences locales et peut ralentir l'exode rural en aidant à leur promotion. Et, bien qu'ils n'exigent que peu d'investissements, les petits projets d'irrigation peuvent être viables en faisant appel aux ressources humaines et naturelles de la zone concernée. On dit que les petits projets d'irrigation présentent de nombreux dangers, mais la connaissance des problèmes susceptibles de surgir permet d'éviter les pièges.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1991
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/60009
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