Disparition de la forêt dense : l'Afrique prend des mesures
La forêt n'est pas un héritage de nos pères. C'est un prêt que nous faisons à nos enfants.' De nombreux pays africains tentent par des stratégies diverses de stopper la dégradation de ce patrimoine irremplaçable que constituent les massifs de forêt dense de leur pays. Un aménagement bien mené doit permettre à la forêt de satisfaire les besoins multiples. Chaque année, 8 millions d'hectares de forêts denses humides, presque l'équivalent d'un pays grand comme le Bénin, disparaissent sous les tronçonneuses des exploitants et les machettes des agriculteurs en quête de terres nouvelles. ce rythme, si aucune mesure n'est prise, la moitié des forêts tropicales humides aura disparu du paysage à la fin du siècle. Beaucoup de pays tropicaux prennent conscience de ce désastre écologique et économique. Depuis une dizaine d'années, les conférences se succèdent pour tenter de trouver des solutions et d'enrayer ce processus. Le défi est de parvenir à gérer les forêts en vue de produire en permanence du bois etd'autres produits utiles à l'homme tout en assurant le maintien d'un écosystème, certes modifié mais biologiquement riche. Pour ce faire, les pays appliquent des stratégies diverses, fonction de la spécificité de leur forêt et de leur environnement, mais tous cherchent le même résultat : concilier utilisation et conservation. Planter pour pallier les destructions Dans beaucoup de pays d'Afrique comme le Congo, le Cameroun et le Zaïre, des régions entières ont perdu leur capital forestier. Dans d'autres, c'est tout le massif forestier qui a disparu. Pour eux, il n'est plus question ni de protection, ni de régénération. Il faut planter pour avoir des arbres. Actuellement, cette méthode est appliquée lorsqu'il n'y a pas d'autres solutions car elle a ses limites. Les plantations étaient autrefois couramment pratiquées par les colons dont le souci était de reconstituer les ressources en bois d'oeuvre. Ils choisissaient les parcelles les mieux situées, près d'un port, d'une route ou d'une grande ville. 'D'un point de vue économique, ces plantations étaient une bonne chose : elles remplaçaient une forêt très dispersée par des parcelles accessibles sur un espace restreint', explique René Catinot, consultant international. 'Mais ces plantations à haute productivité ne pouvaient couvrir toute la surface de la forêt détruite. Une forêt 'cultivée', entretenue, sélectionnée, produit huit à dix fois plus de bois qu'une forêt sauvage. Ainsi, pour remplacer 75 000 ha détruits par les exploitants, on pouvait se contenter de 7 500 ha de plantations'. Cette pratique est responsable de la disparition des forêts dans beaucoup de pays. Le dixième seulement des massifs était remplacé par des plantations. Le reste était aussitôt occupé par des paysans à la recherche de terres. Mais quand plusieurs années de cultures de manioc, d'ignames ou de taro se succèdent, la forêt n'a plus aucune chance de repousser. Itinérants, les agriculteurs abandonnent la terre, devenue inculte, au bout de deux ou trois ans. De la forêt dense et luxuriante, il ne subsiste que des parcelles de terres épuisées, livrées à l'érosion. Aujourd'hui, les spécialistes tentent de conserver la forêt tropicale humide dans sa composition d'origine. Ce sont des forêts très riches, qui ont plus de cent espèces à l'hectare alors que les forêts tempérées n'en portent que 10 à 15. Les botanistes insistent sur la valeur de ce patrimoine dont toutes les espèces n'ont pas encore été inventoriées. Les sociologues et les économistes vont dans le même sens en faisant valoir le rôle de tous les produits secondaires, indispensables aux populations, que fournit la forêt en plus du bois : rotin, gomme, résine, huiles, bambou, parfums, épices, pesticides, médicaments. Cette production passe pour beaucoup bien avant le bois d'oeuvre. Exploiter pour mieux protéger On ne peut cependant, avec la croissance démographique actuelle, mettre la forêt tropic.ale dense sous cloche et ne pas y toucher pour la préserver. 'Ce serait de toute façon une erreur' souligne Jean Estève, Ingénieur au Centre Technique Forestier Tropical.. 'En dehors de certaines parcelles que l'on peut effectivement classer pour préserver le patrimoine, il faut exploiter la forêt si l'on veut la conserver, avec beaucoup de précaution certes.' Tout d'abord parce que la forêt connaît un regain de vitalité et de jeunesse lorsque soulagée de quelques-uns de ses éléments. Ensuite, parce qu'une forêt qui présente un intérêt économique est mieux protégée des agressions agricoles. Une forêt dégradée est vulnérable; les habitants ont tendance à la détruire pour utiliser les terres à des fins agricoles. Si, au contraire, on régénère la forêt naturelle après le passage des bûcherons, les collectivités riveraines disposent d'un immense réservoir vivant de bois, d'animaux, de médicaments, de fruits. En outre, l'exploitation forestière régulière offre aux populations des emplois permanents. Quelles meilleures motivations peutil exister pour inciter les occupants de la forêt à la défendre et à participer spontanément à sa conservation ? Même si les exploitants forestiers prélèvent un important tribut, on peut régénérer la forêt après leur passage. A condition de ne pas la livrer sans discernement à la jachère ou à l'agriculture itinérante. C'est pourquoi les forestiers ont cherché à élaborer des méthodes d'aménagement qui permettent de tirer profit de la forêt sans la détruire. Conformément aux mesures préconisées par le Plan d'Action Forestier Tropical (voir encadré) la République Centrafricaine a mis en application l'une des techniques d'aménagement les plus originales proposées par la recherche : l'empoisonnement. Le principe consiste à intervenir artificiellement dans le processus de sélection naturelle, la 'loi de la jungle' qui fait que les arbres précieux et ceux dénués d'intérêt économique se concurrencent sévèrement pour l'accès à l'eau, à l'espace et à la lumière. Les agents de l'Office National des Forêts (ONF) sélectionnent dans la forêt primaire les essences intéressantes et favorisent leur croissance en éliminant une partie des autres en leur injectant des produits chimiques arboricides. Empoisonnés, les arbres indésirables meurent debout et laissent la place nécessaire à une croissance plus rapide des 'élus'. Au lieu de couper d’abord les ‘bons’ arbres, pratique habituelle des exploitants forestiers qui favorise le developpement des « mauvais » elements ,L’ONF fait comme les eleveurs : on engraisse avant d’abattre. L’experience realisee sur 500 ha dans la Lobaye, au sud du pays, a donne des resultats prometteurs.Elle va etre etendue a d’autres massifs et aussi dans differents pays. Le Tongo : des actions diverses Au Togo, les responsables n'ont pas hésité à appliquer plusieurs mesures pour sauvegarder leur forêt en grand danger. Il y avait urgence : les massifs forestiers s'en allaient au rythme de 12 000 ha/an. Dans moins de cinquante ans, il ne serait rien resté. Pour diminuer la pression sur les forêts, ce pays a tout d'abord décidé d'acheter chez les autres ce qui fait défaut sur place. Ghana, Bénin et Nigéria sont donc devenus fournisseurs de bois d'oeuvre. Autre mesure, la plantation industrielle d'Eucalyptus pour produire du bois d'oeuvre et de chauffage à proximité des grands centres urbains de la région côtière. Lancé en 1982, le projet AFRI (Aménagement Forestier et Reboisement Industriel) couvre aujourd'hui plus de dix mille hectares, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Lomé. Tous les quatre ans, l'arbre coupé est vendu aux charbonniers ou aux charpentiers. De la souche partent des rejets dont l'un donnera, quatre ans plus tard, un nouvel arbre, et ainsi quatre fois de suite. Sans replantation, la forêt artificielle peut produire vingt ans. Parallèlement, le Togo crée des parcs protégés de forêts classées. Mais malgré les mesures d'interdiction totales qui sont de règle dans ces zones, des infractions y sont souvent perpétrées. Enfin, les responsables des Eaux et Forêts voudraient exonérer d'impôt les entreprises privées qui reboisent à des fins commerciales et industrielles. Cette politique devrait inciter des propriétaires terriens à investir dans le bois qui serait alors considéré comme une forme de culture pérenne de rapport; c'est déjà le cas dans la région des Plateaux où des privés ont installé d'importantes plantations de tecks. Encourager par des mesures fiscales la création de plantations privées peut être une manière de réconcilier l'intérêt des industriels et celui de la nature. Élément indispensable la concertation En Tanzanie, seul un massif forestier subsiste au nord-est, sur les montagnes d'Usambara. Il était crucial d'éviter que ce refuge de nombreuses espèces végétales et animales disparaisse à tout jamais. Depuis 1986, l'UICN a mis en place un projet original qui repose sur le dialogue avec les communautés locales. Dans chaque village, un coordinateur est chargé, en plus de la formation, de recueillir les soucis et les aspirations des villageois. Lorsque des problèmes se posent, c'est la communauté villageoise qui propose des solutions qui, si elles sont acceptées par les responsables de projet, sont soutenues par la fourniture de semences, d'engrais, d'outils et d'engins. En quatre ans, cinq cent mille arbres ont pu être plantés et de nombreuses pépinières ont été installées. Bien que les problèmes subsistent car la population demeure trop nombreuse pour la terre disponible, ce type d'approche a eu des effets bénéfiques : les agriculteurs se montrent beaucoup plus respectueux de leur environnement, ils acceptent plus volontiers les lois de protection, ils innovent d'eux-mêmes des méthodes pour sauvegarder leurs terres et leurs arbres. Vers des espaces délimités Les quelques exemples réussis de conservation de la forêt dense, lueurs d'espoir, ne peuvent cependant pas faire oublier que les destructions se poursuivent à un rythme alarmant. 'Cela fait des années que la forêt tropicale humide disparaît. Des années que des techniciens et des chercheurs mettent au point des techniques sylvicoles de sauvegarde. Et pourtant, aucune amélioration n'est enregistrée. Alors ?' a demandé Malcom Hadley, de l'UNESCO, lors d'un atelier de travail sur la forêt tropicale humide qui s'est tenu à Cayenne en 1990. L'aménagement productif de nombreuses forêts humides est à la fois techniquement possible et économiquement viable. Les outils à la disposition de l'aménagiste, bien qu'imparfaits, sont suffisants. 'Il ne suffit pas d'accumuler des connaissances. Encore faut-il qu'elles s'appliquent. L'aménagement des forêts tropicales humides passe par des choix politiques' souligne John Palmer de l'IUFRO (Union Internationale des Instituts de Recherches Forestières). Trop de pays cèdent à des pressions politiques et enfreignent les lois. En Côte d'Ivoire ou au Sénégal, des forêts classées ont été défrichées pour l'exploitation du bois de feu ou pour laisser place à des cultures, avec la bénédiction des autorités. Pour certains, si la destruction de la forêt tropicale humide se poursuit à ce rythme, c'est que la solution ne viendra pas des forêts et des forestiers. Ceux qui s'installent dans les clairières, brûlent la forêt pour y établir leurs cultures itinérantes, abattent les ozigos pour récolter une poignée de fruits et parachèvent le travail des bûcherons pour vendre du bois de feu, ceux-là sont les plus grands destructeurs de la forêt tropicale. L'aménagement des forêts ne résoudra pas à lui seul le problème de sa destruction. Il faut en outre intensifier l'agriculture pour réduire la pression sur les terres. Tout est gestion de terroir. Il est nécessaire de délimiter des espaces forestiers chargés chacun de remplir un objectif spécifique : forêts classées pour préserver la diversité génétique, production de bois d'oeuvre pour les industriels, zones d'approvisionnement villageois en produits divers, plantations d'arbres utiles pour l'économie agricole... Toutes ces mesures ne seront efficaces que si une précaution préalable est respectée rendre la forêt utile et rentable pour les populations. Sauver la forêt est l'affaire de tous. Elle ne peut être protégée que si les gens qui y vivent s'intéressent à elle et comprennent l'intérêt de la défendre.
Main Author: | |
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Format: | News Item biblioteca |
Language: | French |
Published: |
Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
1991
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Online Access: | https://hdl.handle.net/10568/59935 |
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