Retour à la terre : les diplômés vont aux champs

Jeunes chômeurs et diplômés sans affectation sont de plus en plus nombreux à créer des exploitations agricoles. Forts de leurs connaissances et désireux de bien gagner leur vie, ils apportent un souffle nouveau dans le monde rural. On ne parle plus du «paysannat» mais du «métier d'agriculteur». N`hésitons pas à retourner à la terre ! Le secteur agricole a besoin de renforts!», telle est l'invitation lancée par le chef de l'Etat camerounais au début de l'année. Vidées de leur population active, abandonnées aux mains des vieux et des femmes, nombreuses sont les zones rurales qui manquent de bras. Depuis trente ans, l'exode rural draine vers les villes tous ceux qu'attire l'espoir d'une vie meilleure ou... les mirages de la société de consommation. Mais les grandes villes où sévissent la crise économique et le chômage ont, aujourd'hui, perdu beaucoup de leurs attraits. Etre fonctionnaire ri est plus une sinécure. Les agents de l'Etat ne sont plus sûrs d'être payés tous les mois et, avec leurs maigres salaires, ils subviennent difficilement à leurs besoins. Dans la plupart des pays africains, la fonction publique ne recrute plus et nombreux sont les diplômés qui n'ont pas de poste. S'ajoutent à ces chômeurs 'instruits', les jeunes sans formation qui ont peu d'espoir de trouver du travail. Toutes les conditions sont aujourd'hui réunies pour un changement de mentalité. Un intérêt nouveau se manifeste pour la terre qui a au moins l'avantage de nourrir ceux qui la travaillent. Les gouvernements aussi ont pris conscience de l'impossibilité de garantir des emplois à tous les jeunes diplômés. Les incitations au retour à la terre se font de plus en plus nombreuses. Depuis quelques années déjà, les fonctionnaires ont commencé à investir dans l'agriculture, première étape de la reconnaissance de ce secteur de production. Certains ont ainsi créé des élevages de poulets aux alentours des grandes villes ou pris des terres en concession sur les grands périmètres irrigués. A l'Office du Niger au Mali ou à la SEMRY au nord Cameroun, de nombreux agents de la fonction publique complètent leurs revenus avec leur production de riz. Certes, ils ne cultivent pas toujours eux-mêmes ; ils font souvent travailler des gens de leur famille ou des salariés. Arrondir les fins de mois Tous n'ont pas les capitaux suffisants pour investir, mais comme ils souhaitent «arrondir» leur salaire, ils n'hésitent pas à mettre la main à la terre. Les exemples ne manquent pas. Tel cet infirmier de Ouahigouya, au Burkina Faso, qui le matin de bonne heure avant d'aller à l'hôpital, à midi et le soir va surveiller sa parcelle de maraîchage arrosée par une motopompe qu'il a lui-même achetée. Il vend l'essentiel de ses pommes de terre à un restaurant dont il est actionnaire, le reste est écoulé au marché. Le postier de Leo à 150 km de Ouagadougou s'est lancé dans l'élevage de porcs. Avec d'autres éleveurs de la région, il a créé un groupement qui bénéficie de l'appui des services techniques et de crédits bancaires. Ils ont ainsi monté un élevage moderne et intensif qui ne leur laisse guère de loisirs ! Tous ne cherchent pas à produire pour vendre mais la plupart essaient au moins de cultiver un champ ou deux au village pour pourvoir aux besoins de leur famille. Ils y sont parfois encouragés par leur gouvernement. Au Cameroun, le travail du samedi matin a été supprimé pour que les gens puissent retourner au village dès le vendredi soir pour prendre soin de leurs parcelles. Au démarrage de la campagne agricole, les citadins sont désormais vivement incités à rentrer chez eux. Le manque de main-d'oeuvre dans certaines zones rurales est parfois crucial. En Mauritanie, l'opération «retour des paysans dans leur terroir», pratiquée depuis 1983, permet à 700 à 800 000 agriculteurs et éleveurs d'aller cultiver leurs champs dès l'arrivée des pluies. Transportés par camions, ils trouvent sur place semences, vivres et matériel pour mettre en place les cultures. Ces retours partiels ou temporaires à la terre ne constituent que des premiers pas timides. Ils pallient les problèmes les plus criants des gens des villes et évitent l'abandon total de régions vidées de leurs forces vives. Ils n'impliquent pas encore un renversement complet de tendance. Pendant longtemps, rares ont été ceux qui ont fait de l'agriculture, jugée bonne seulement pour les plus démunis, leur activité principale. Karounga Keita est un de ces pionniers, un des tout premiers fonctionnaires de la capitale malienne qui ait créé sa propre exploitation. Dès 1966, il a commencé à planter bananes, mangues et agrumes sur plus de 10 ha à 20 km de Bamako Maintenant, il élève aussi des vaches et vend tous les jours 601 de lait. Cet ingénieur des travaux publics est un homme riche dont l'aisance financière fait l'envie de tous. L'exemple de ces réussites et la crise économique aidant, l'image du paysan se modifie peu à peu. Ce n'est plus l'homme «ignorant» et «arriéré» dont il faut à tout prix se démarquer. Aux yeux des citadins, l'agriculture devient un véritable métier aussi valorisant et lucratif qu'un autre. Certains finissent par quitter complètement la ville et retourner dans leur contrée d'origine créer des exploitations. Faute de mieux parfois, comme en témoigne cet enquêteur d'une société de développement au Cameroun : «après avoir passé quatorze mois sans salaire, j'ai été mis en congé technique. Mais en dehors des enquêtes, je ne sais rien faire d'autre. Alors, je rentre au village». L'agriculture, un métier rentable Issus de la crise qui secoue l'Afrique depuis une dizaine d'années, la plupart des néo-ruraux sont récemment venus à la terre. Certains se lancent seuls dans l'aventure. C'est le cas de ce Malien, ingénieur zootechnicien de 24 ans diplômé de l'université de la Havane à Cuba. «Au terme de mes études, dit-il, je suis resté deux ans au chômage. Grâce à l'aide d'un oncle, j'ai pu mettre en valeur trois hectares de terre. Je voulais faire du riz et un peu de maraîchage. Installé au bord du fleuve, je réussis bien avec les légumes, mais pas avec le riz. Petit exploitant, j'ai du mal à avoir des prêts d'équipement de plus en plus réservés aux associations et groupements. Le prix prohibitif des intrants et des machines, la concurrence des gros propriétaires décourageraient les plus opiniâtres. J'ai tenu et, depuis l'an dernier, je m'en sors bien». Même si l'on possède un capital confortable pour démarrer, la réussite n'est pas assurée. Mamadou Mangara, Malien lui aussi, a bien failli en faire la triste expérience. Historien de formation, il se destinait à l'enseignement, mais il a dû troquer la craie et le tableau noir contre la houe. Avec un crédit de 5 millions de F CFA octroyé par la Banque Nationale pour le Développement Agricole, il s'est lancé en 1986 dans la culture de la banane. Inexpérimenté, il a accumulé les déboires durant les premières années et n'a échappé à la faillite que grâce à l'aide de sa famille. Aujourd'hui il produit 2,5 t de bananes par an et a des revenus qui font pâlir de jalousie les hauts fonctionnaires locaux. Tous n'ont pas cette chance. Derrière ces réussites exemplaires se cachent de nombreux échecs. Sans expérience, sans formation agricole et sans appui, certains abandonnent très vite leur projet. On ne devient pas agriculteur du jour au lendemain. Des incitations des gouvernements Pour encourager ce mouvement de retour à la terre et le renforcer, les gouvernements prennent aujourd'hui des initiatives, tout particulièrement en faveur des jeunes. Faciliter l'obtention des crédits pour l'installation des exploitations a été, dans un premier temps, la voie choisie par le Sénégal. Dès 1984, une quinzaine de «maîtrisards» se sont reconvertis en maraîchers et, grâce au financement accordé par leur gouvernement, ont mis en valeur 200 ha de périmètres irrigués. Aujourd'hui, leur association dénommée Groupement d'Intérêt économique des Producteurs et Exportateurs de Sénégal (GIPES), exporte des légumes (haricots verts, melons, tomates) vers l'Europe et approvisionne le marché local en choux, oignons, piments et pommes de terre. Des facilités d'accès à la terre et des financements, telles sont aussi les aides apportées par le gouvernement malien. A Selingué, au sud du pays, le gouvernement a affecté 100 ha de périmètres irrigués à un groupe d'une centaine de jeunes sortant d'écoles de formation agricole. Financés par le Fond Européen de Développement (FED), ces jeunes se sont lancés dans la riziculture intensive. En attendant les premières récoltes, ils reçoivent chaque mois un pécule de 300 FF pour subvenir à leurs besoins. En contre-saison, ils produiront des cornichons et d'autres légumes pour lesquels ils ont déjà des acheteurs. Au Congo où la population urbaine est très importante, «l 'agriculture a été clairement reconnue priorité des priorités» explique Gabriel Oba-Apounou, ministre de la jeunesse et du Développement rural. Les agents de la fonction publique sont vivement encouragés à se tourner vers le secteur agricole longtemps déserté par les bras valides. Lés jeunes désoeuvrés ou en quête d'un premier emploi sont particulièrement concernés par les programmes mis en place. Ainsi l'Organisation Nationale des Volontaires du Développement (ONVD), la première ONG congolaise a créé, avec l'appui du ministère un centre de formation et d'appui technique pour les 400 jeunes. qui souhaitent se lancer dans l'agriculture. Durant trois ans, ils y reçoivent une formation à la fois théorique et pratique qui touche aussi bien à l'agronomie et à l'élevage qu'à la gestion et à la comptabilité d'une petite entreprise agricole. Des stages dans les zones rurales et les projets agricoles officiels complètent les cours. La première promotion de jeunes sortira cette année. Ils recevront une aide pour créer des coopératives et installer leurs exploitations. En Côte d'Ivoire, c'est vers une agriculture vivrière intensive que les jeunes sont orientés. Une fois formés, ils cultiveront riz, maïs et soja sur les terres allouées par le gouvernement. Ces mesures ne touchent pour l'instant qu'une très faible proportion des gens concernés et tout particulièrement les citadins. Pour éviter de nouveaux départs des jeunes vers là ville, l'école a un rôle important à jouer. Elle a longtemps indirectement contribué à dévaloriser les activités rurales dans les campagnes. Un nouveau type de paysan Aujourd'hui toutefois, en même temps que le calcul et l'orthographe, les enfants apprennent à conduire un petit élevage, à planter et à entretenir un verger ou à cultiver un potager. Les revenus dégagés contribuent au fonctionnement des écoles tandis que les élèves découvrent l'intérêt d'un métier dont ils acquièrent les bases. A la fin de leur scolarité, ils resteront plus facilement au village. En Côte d'Ivoire, certaines écoles apprennent aux jeunes à s'occuper d'un étang de pisciculture; en Centrafrique, les élèves du primaire deviennent apiculteurs. Pour les jeunes qui choisissent le métier de la terre comme pour les diplômés, il ri est cependant pas question de faire comme leurs parents. Ils ne peuvent se contenter d'une agriculture d'autosubsistance qui permet juste de se nourrir. Ils veulent gagner de l'argent afin d'accéder, comme s'ils étaient salariés, à certains biens de consommation. Ils cherchent donc à cultiver des plantes qui se vendent bien. Ils essaient des cultures nouvelles comme la banane qui connaît un grand succès au Burkina ou le melon américain. La vente de ces productions est donc la clef de la réussite. Ces nouveaux agriculteurs, et particulièrement les diplômés, ont plus de facilités que les paysans traditionnels pour connaître les marchés et repérer les créneaux intéressants. Ils connaissent les commerçants ou font jouer leurs relations. Ils entraînent souvent dans leur sillage les agriculteurs voisins. Le Camerounais Thomas Melone, revenu de son exil en France où il était professeur à l'université, s'efforce depuis 1983 de dynamiser la région où il s'est installé. «Notre premier souci était d'augmenter la capacité agricole du territoire pour avoir une plus-value à commercialiser. L'accent a été mis sur les cultures d'exportation comme l'igname, le gombo, le piment», explique cet intellectuel devenu paysan. Désormais les maraîchers de la région où se sont installés les «maîtrisards» sénégalais du GIPES travaillent sous contrat avec le groupement. Celui-ci leur fournit semences et produits de traitement et leur achète leur production qu'il se charge de commercialiser de sorte qu'ils ne sont plus à la merci des commerçants qui dictaient jusqu'alors leurs conditions. Un environnement économique qui favorise et facilite les échanges, le maintien de prix à la production rémunérateurs sont autant de facteurs favorables au retour à la terre. Ces agriculteurs sont aussi plus enclins à adopter de nouvelles techniques et à utiliser des intrants. Ils utilisent des semences sélectionnées, des engrais et des pro duits de traitement bien valorisés lorsque les productions sont vendues. Ils sont également plus à l'aise pour constituer des dossiers de demande de crédit. Des facilités financières leur sont d'ailleurs plus facilement accordées qu'aux agriculteurs traditionnels. Elles leur permettent de s'équiper en matériel. Les 'ponteiros' de Guinée-Bissau, anciens hauts fonctionnaires reconvertis à l'agriculture ont ainsi créé de vastes exploitations équipées de tracteurs et de motopompes pour l'irrigation. Non sans faire des jaloux parmi les anciens agriculteurs qui ri ont jamais eu droit à de tels avantages! En privilégiant les nouveaux aux dépens des anciens, on risque de créer des conflits. Pourtant, chacun des deux groupes a besoin de l'autre. La longue expérience des paysans peut éviter bien des erreurs aux nouveaux venus à la terre tandis que les idées nouvelles apportées par les néo-ruraux favorisent la modernisation de l'agriculture traditionnelle. Impensables il y a quelques années, les retours à la terre ne sont donc pas conçus comme des retours au passé. Certes, cet exode à l'envers est loin d'être un raz de marée. Le mouvement ne fait que s'amorcer. Mais plus important que le nombre de personnes qui quittent les villes pour les champs est le changement des mentalités qui commence à être perceptible. Le travail de la terre, longtemps considéré par les urbains comme dégradant, retrouve ses lettres de noblesse. Les nouveaux agriculteurs sont les meilleurs ambassadeurs d'une agriculture qui apparaît, à travers eux, comme un secteur productif rentable et valorisant.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1990
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/59345
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