La mécanisation : un impératif pour l'agriculture africaine

Le travail manuel ne suffit plus à nourrir la population africaine en constante augmentation. Les agriculteurs doivent recourir à la mécanisation s'ils ne veulent pas voir se creuser encore davantage l'écart entre la production de denrées alimentaires et les besoins croissants de la population. La mécanisation ne se limite pas à l'introduction de tracteurs. Elle englobe aussi l'amélioration des outils et du matériel agricoles, quel que soit leur usage, du défrichage et de la culture des sols à la plantation et à la récolte en passant par le transport, le stockage et le traitement. Pour que la mécanisation soit rentable, elle doit être adaptée aux conditions prévalant dans les différentes régions. C'est pour examiner les diverses formes et possibilités de mécanisation que les représentants de 19 pays africains se sont réunis à Bruxelles, en Belgique, du 13 au 17 février 1990. Ce congrès eurafricain sur le machinisme agricole rassemblait également des représentants d'institutions compétentes provenant de plusieurs pays de la Communauté Européenne, entre autres la Belgique, la France, la République Fédérale d'Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Ce congrès était organisé par la Fédération belge de l'équipement agricole et horticole «UGEXPO», en collaboration avec le CTA, l'Association eurafricaine de mécanisation agricole (ACEMA) et l'Administration générale belge pour la coopération et le développement (AGCD), avec l'appui de la Commission des Communautés Européennes. «Dans la plupart des pays tropicaux, 70 à 80 % de la population travaille dans le secteur agricole, mais la production de denrées alimentaires reste insuffisante», a indiqué, lors de la séance d'ouverture, Abdel Rahman, directeur du Centre régional africain pour les techniques agricoles (ARCEDEM), dont le siège se trouve à Ibadan, au Nigeria. Européens ou africains, beaucoup d'intervenants ont rappelé que, dans la plus grande partie de l'Afrique, ce sont les méthodes traditionnelles qui prédominent dans l'agriculture. Celles-ci ne sauraient suffire, à l'avenir, pour satisfaire la demande croissante en produits alimentaires. «Il est nécessaire d'adopter une politique de mécanisation adéquate et d'organiser des cours de formation» a souligné Ela Elvina, président de l'association eurafricaine des centres de mécanisation agricole (ACEMA) implantée au Cameroun, à Yaoundé. «Ces cours sont indispensables à l'utilisation et à l'entretien du matériel tout comme leur prix doit demeurer abordable par les paysans» a-t-il souligné. Le financement de la mécanisation Les résultats d'études économiques révèlent que les agriculteurs ne peuvent pas consacrer plus de 15 % de leur revenu annuel (soit deux mois de production) à l'achat de matériel. Quels que soient la qualité et l'intérêt d'une nouvelle machine, son prix constitue encore l'unique critère de décision. Pour pouvoir introduire la mécanisation, il faut qu'il existe des possibilités intéressantes de débouchés pour les produits agricoles. En effet, les agriculteurs doivent d'abord faire des bénéfices sur leurs ventes pour pouvoir financer leurs achats de machines. C'est ce qu'a fait remarquer lan Johnson, du Conseil britannique agricole pour la recherche et l'alimentation (AFRC). Il a mis les participants en garde contre le fait que la mécanisation (notamment l'introduction de tracteurs) conduit nécessairement à une augmentation de la production. Il a indiqué que, selon des expériences sérieuses, rien ne pouvait surpasser les pratiques agricoles manuelles. Il a également souligné que le sarclage est généralement le facteur qui a la plus grande influence sur la production et que ce travail, difficile à effectuer avec des machines dans le cas des cultures associées, est pratiquement impossible lorsque le matériel doit être loué. Rappelant l'importance capitale du calendrier des travaux de désherbage, Ian Johnson a suggéré aux agronomes de porter leurs efforts sur l'amélioration de la conception des outils et des machines à traction animale pour mieux aider les agriculteurs. Une traction animale améliorée La traction animale n'a pas que des adeptes. Même si, au cours de ces journées, son intérêt a été largement reconnu, la première intervention n'a pas manqué de susciter des réactions. «Des expériences de traction animale ont été menées pendant deux ans dans mon pays» a indiqué un délégué zaïrois. «Devant leur manque de succès, ces projets sont aujourd'hui abandonnés». Période beaucoup trop courte, ont estimé de très nombreux délégués dans la salle. «Les essais, ont-ils ajouté, devraient se poursuivre pendant un laps de temps beaucoup plus long. Surtout dans les régions qui n'ont pas de tradition en matière d'élevage». «Cet exemple ne doit pas servir de référence» a regretté, pour sa part, Charles Mwanda, directeur de l'institut kenyan d'essai et de développement du machinisme agricole de Nakuru. «La traction animale offre aux agriculteurs la possibilité d'augmenter leur production, d'accroître leurs revenus et d'élever leur niveau de vie avant de passer à l'étape suivante, la motoculture». La diffusion de la traction animale passe par un certain nombre d'étapes. Améliorer les outils et les harnais de la traction animale semble en être la première. Le Kenya, la Tanzanie et le Zimbabwe se sont beaucoup penchés sur ces problèmes. Ainsi, des spécialistes de l'agriculture du Zimbabwe se sont rendus au Kenya pour s'informer sur le perfectionnement des harnais. Au Zimbabwe, la lutte pour les terres et le surpâturage pratiqué dans certaines régions ont entraîné une pénurie d'animaux de trait. L'agriculteur qui ne possède qu'un seul animal de trait ne peut même pas l'utiliser, car avec les harnais existants, il est impossible de n'atteler qu'un seul animal. Les nouvelles techniques importées du Kenya ont permis de surmonter cet obstacle et on utilise maintenant au Zimbabwe des attelages tirés par un seul animal pour les travaux qui ne nécessitent pas une force de traction trop importante. Ce n'est pas très difficile d'apporter des améliorations notables à la traction animale. «La plupart des techniques mises au point au Kenya ont été élaborées en modifiant de vieux modèles européens de harnais et de matériel d'attelage» a précisé Charles Mwanda. Des fibres et des textiles locaux ont remplacé la corde et la toile utilisées en Europe pour les harnais. Le sol étant généralement sec et dur en région tropicale, les outils européens ont été allégés afin de faciliter la tâche aux animaux. Parfois, les charrues sont d'une largeur de coupe plus réduite; il en est de même pour les cultivateurs. «Nous n'avons pas besoin de réinventer la roue» a conclu Charles Mwanda. «De nombreux modèles, aujourd'hui dépassés en Europe, seraient parfaitement utilisables et adaptés pour l'Afrique». La fabrication sur place des pièces et des outils semble être la deuxième étape importante dans la diffusion de la traction animale. «Dans de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest, au Burkina Faso, en Côte d'Ivoire, au Mali, au Sénégal ou au Togo, des artisans fabriquent dans leurs propres ateliers du matériel simple, destiné aux travaux agricoles légers » a raconté Birame Fall, représentant le Sénégal. Cette fabrication locale donne des résultats satisfaisants. «Cependant, a tenu à préciser Birame Fall, en l'absence de normalisation, les modèles ont proliféré et trouver des pièces détachées pose très souvent des problèmes insolubles». Si l'ARCEDEM, comme l'a proposé le représentant du Sénégal, pouvait se charger de la simplification et de la normalisation des modèles, ce problème serait en partie résolu. Elaborer des spécifications de base pour l'utilisation des nuances d'acier, par exemple, permettrait d'éviter que des socs fabriqués dans un acier mal adapté soient inutilisables après une à deux heures de travail ou que le matériel casse tout simplement alors que l'effort demandé n'est pas démesuré. Le tracteur : a utiliser avec précaution Il n'est plus besoin de vanter les mérites du tracteur. Tout le monde les connaît. Les sols durs s'ameublissent, le calendrier des cultures peut être respecté et l'eau de pluie s'infiltre aisément dans la terre, au plus grand bénéfice des plantes. Cependant, un certain nombre de contraintes limitent encore son utilisation dans les pays tropicaux. Ils sont chers, les agriculteurs n'ont souvent que de petites parcelles sur lesquelles les utiliser, ils n'en connaissent pas toujours le maniement et lorsque ces machines sont en panne, soit personne ne sait les réparer, soit les pièces détachées manquent. Introduire de petits tracteurs ou des cultivateurs à deux roues pourrait résoudre un certain nombre de ces problèmes. C'est ce qui a été fait en Asie, où les petits tracteurs et les machines à un seul essieu ont fait leurs preuves. Dans le contexte africain, cette solution peut difficilement être retenue. Si les petites machines sont performantes sur les sols irrigués asiatiques, elles atteignent rapidement leurs limites sur les sols secs et durs d'Afrique. Dans ces conditions difficiles, plus le tracteur est gros, plus il est efficace. Mais un gros tracteur coûte cher, et il faut pouvoir le rentabiliser. A cela, une solution : le louer à d'autres agriculteurs. Le Kenya fait encore figure de pionnier dans ce domaine. Les propriétaires de tracteur le louent à des cultivateurs voisins. Ils ont pris soin au préalable de leur demander de débarrasser soigneusement leurs champs des pierres et des souches qui peuvent s'y trouver. Sinon, gare aux crevaisons et aux pannes, qui reviennent parfois plus cher que la location elle-même ! Des innovations intéressantes se sont faites dans quelques régions du pays. Des entreprises de location de tracteurs se sont implantées, gérées par l'Etat. On ne peut pas dire encore que le succès soit total. Des problèmes subsistent. Ailleurs, des groupements se sont formés, à l'initiative de l'Etat, pour acheter des tracteurs. Il est trop tôt pour pouvoir en tirer les conclusions. Cependant, de premiers principes peuvent être clairement définis. «Il est possible de gérer une coopérative de tracteurs et de faire des bénéfices» a affirmé Nokazi Moyo, ingénieur en chef du département de mécanisation agricole de l'institut de génie agricole du Zimbabwe. «Mais ce n'est pas toujours facile. Les tâches administratives sont très importantes, en raison de la tenue des livres où l'on enregistre le travail effectué. II faut aussi soigneusement noter les interventions requises en matière d'entretien. La plupart du temps, ce travail dépasse les compétences des habitants de nos communes, dont beaucoup ne savent ni lire ni écrire. A fortiori, ils ne possèdent pas les notions de base en mathématiques». Difficile de demander à un petit agriculteur, tout à ses problèmes de culture, de consacrer ce qu'il a de plus précieux, son temps, à des écritures et au calcul de rentabilité d'un tracteur. La post-récolte : un stade important La mécanisation peut intervenir de façon tout à fait significative sur les opérations post-récolte. C'est même à ce stade qu'elle offre aux agriculteurs le meilleur de ses possibilités. Sur ce point, l'unanimité des experts africains et européens s est faite sans conteste. Chacun sait aujourd'hui que la réduction des pertes des récoltes permettrait de doubler les revenus des foyers ruraux. «Entre 5 et 30 % des produits agricoles disparaissent après leur récolte» a indiqué Haruna Musa, directeur du centre national pour la mécanisation agricole du Nigéria (NCAM). «Des moyens techniques existent pour réduire ces pertes. Les appliquer permettrait de contribuer dans une large mesure à l'amélioration de la productivité dans le pays». Du champ au lieu de stockage, des entrepôts aux lieux de commercialisation, que de grains, de tubercules, d'épis ou de farine perdus ! Sans compter toutes les pertes enregistrées lors des opérations de battage ou d'égrenage, ou même pendant le stockage si les mesures adéquates de conservation ne sont pas prises. Moyennant une amélioration simple et facile à réaliser des chariots, des batteuses ou des égreneuses, ce gaspillage pourrait être considérablement réduit. «Traiter les récoltes sur place est aussi un excellent moyen de limiter les pertes» a rappelé lan Johnson. «Les coûts de transports s'en trouvent considérablement réduits et cela permet de créer des emplois dans les villages», moyen le plus adéquat pour utiliser la main-d'oeuvre agricole en saison morte et limiter l'exode rural. Au Nigéria et au Ghana, des mesures sont déjà prises dans ce sens. Les chercheurs du NCAM de Ilorin et de Kumasi ont porté tous leurs efforts sur le perfectionnement des arracheuses de manioc, des décortiqueuses d'arachides, des broyeurs de canne à sucre, des appareils pour fabriquer le gari. La mécanisation : une volonté politique aussi Que la mécanisation soit une nécessité et un bien pour les pays tropicaux, tous les intervenants en ont convenu au cours de ces journées. Ils n'ont cependant pas manqué de rappeler que les décideurs et les gouvernements devaient maintenant en faire une priorité. Des comités nationaux sur la mécanisation agricole, faisant office de conseillers en matière de politiques nationales, pourraient assurer la liaison avec les agriculteurs par l'intermédiaire de l'ACEMA. Dans le même temps, les gouvernements européens (par le biais de la Communauté européenne par exemple), pourraient apporter une aide en finançant l'ACEMA et en encourageant les fabricants européens à fournir aux pays africains des modèles de matériel adaptés à leurs besoins. Les partenaires africains et européens devront, dans cette entreprise, insister sur la formation et sur la communication à tous les stades du processus de mécanisation. Lors de la séance d'ouverture du congrès, Robert Delleré, responsable de la division technique du CTA, a souligné le rôle de cet organisme dans la communication entre la Communauté Européenne et les pays ACP. Ce congrès, organisé en collaboration avec le CTA, a constitué le forum dont la nécessité se faisait sentir pour les échanges de vues. Dans son allocution, il a indiqué que l'une des principales conclusions de ce congrès eurafricain sur le machinisme agricole pouvait se résumer en ces termes : «la mécanisation agricole est indispensable à l'Afrique et elle doit tirer parti de l'expérience européenne, mais elle doit être adaptée à l'Afrique et non pas calquée sur l'Europe». Voir aussi le dossier consacre a la traction animale dans Spore N 18

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1990
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/59312
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