Lomé : un voile se lève sur le commerce «parallèle»

Sur le papier, les pays africains ne sont pas de grands commerçants internationaux. La réalité est tout autre : hors statistiques, les échanges agricoles «informels» sont considérables. Prenant conscience de l'importance économique de ce qu'on appelle des «fuites», le CILSS et le Club du Sahel ont consacré un séminaire aux «espaces céréaliers régionaux en Afrique de l'Ouest» à Lomé, en novembre dernier. Bien des certitudes ont été bouleversées par les rapports présentés au séminaire de Lomé organisé par les Etats sahéliens. Les résultats des enquêtes minutieuses menées par une équipe universitaire franco-africaine ont montré que ce que l'on soupçonnait correspondait, en fait, à la partie immergée d'un iceberg. Les quelques cent cinquante experts et responsables nationaux réunis à Lomé ont ainsi pu apprendre que le Nigéria exportait fréquemment vers le Niger plus de 100 000 t de céréales produites localement et que la Gambie a réexporté plus de 65 000 t de riz thaïlandais vers le Sénégal en 1986 et 1987. Evidemment, ces milliers de tonnes de produits agricoles n'apparaissent pas dans les statistiques officielles et n'entrent donc pas dans les schémas des planificateurs. Fouiller les méandres du commerce parallèle pour mieux faire «coller» les décisions des développeurs aux réalités du terrain n'était pas chose facile. Un travail de fourmi «L'estimation du commerce clandestin n'était pas aisée. Certes, la présence d'entrepôts signale généralement des transactions importantes mais les grosses affaires se traitent la nuit. Il nous a fallu mener de longues enquêtes sur les marchés pour pouvoir quantifier ce commerce de l'ombre», souligne le Professeur Poyuor Somé de l'Université de Ouagadougou. Un travail de fourmi qui a levé le voile sur des réseaux commerciaux qui irriguent l'économie de régions entières. Cette intégration régionale de fait repose tout d'abord sur les complémentarités entre les zones de culture et d'élevage. A la frontière écologique entre le Sahel et les pays côtiers, le commerce clandestin des produits agricoles régionaux bat son plein: bétail contre céréales, cola contre produits de la pêche du Sénégal... «Les avantages naturels de certaines régions ne suffisent cependant pas à expliquer ces flux. Le véritable moteur des échanges agricoles africains, ce sont les différences de politique monétaire et économique» explique John O. Igué, de l'Université Nationale du Bénin. L'essentiel des échanges clandestins a lieu entre les pays de la Zone Franc et les pays des autres zones monétaires. Grand avantage du Franc CFA, sa convertibilité est garantie dans le monde entier parla Banque de France. En revanche, les billets émis par la plupart des pays côtiers ne sont pas officiellement convertibles. «Ces échanges n'ont pas pour seul but d'exporter à meilleur prix des produits locaux. Le commerçant mauritanien qui vend des céréales au Mali cherche d'abord à,-acquérir des devises pour pouvoir importer d'autres marchandises, ce qui est difficile par les circuits officiels puisque sa monnaie n'est pas convertible», explique pour sa part Johnny Egg, chercheur à l'Institut National de la Recherche Agronomique à Montpellier. Chacun reconnaît en privé l'efficacité et la souplesse de ces réseaux marchands qui stimulent la circulation des produits agricoles régionaux. Mais, revers de la médaille, les céréales importées envahissent également les marchés sahéliens. En 25 ans, les importations ont crû de 7% par an alors que la production céréalière régionale n'augmentait que de 0,7%. Conséquences : déséquilibre du commerce extérieur et pression à la baisse sur les prix payés aux producteurs. Autant de freins à la modernisation de l'agriculture. Les miroirs de nos sociétés Même s'ils sont loin de respecter les lois des pays frontaliers, les commerçants contribuent, à leur manière, à la sécurité alimentaire régionale. Certes, ils n'hésitent pas parfois à organiser une pénurie conjoncturelle pour faire grimper les prix mais, globalement, ces échanges stimulent la production agricole et l'élevage. Pour Jean H. Guilmette, directeur du Club du Sahel, «les commerçants ne sont que les miroirs de nos sociétés, ils reflètent nos bonnes et nos mauvaises habitudes. Plutôt que de les condamner, il vaut mieux chercher à comprendre pourquoi ils réalisent une partie de leurs activités commerciales en dehors des circuits officiels». Au sortir du séminaire de Lomé, l'heure n'était pas aux grandes décisions. Décideurs africains, experts, bailleurs de fonds et même commerçants ont surtout pris conscience de la complexité et des mille ramifications du «commerce de l'ombre». Pour la plupart des participants, il n'était pas question de condamner des réseaux commerçants très dynamiques. Mais les Etats sahéliens ne peuvent pas non plus continuer à importer des quantités croissantes de produits alimentaires. Forts de ces deux convictions, les pays sahéliens vont pouvoir poursuivre leur dialogue avec les pays voisins pour promouvoir une meilleure circulation des produits agricoles régionaux.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1990
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/59237
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