Diversification agricole : un sentiment d'urgence

A l'approche de 1992, les pays ACP des Caraïbes se préoccupent des conséquences possibles du «marché unique européen». Leurs craintes ne sont pas justifiées car la nouvelle Convention de Lomé maintient le caractère préférentiel d'accès au marché et, par ailleurs, l'entrée de Haïti et de la République Dominicaine dans le groupe ACP n'entraînera pas de réduction des quotas. Néanmoins, il n'est pas sage de mettre tous ses oeufs dans le même panier et les pays des Caraïbes, pour un grand nombre desquels le sucre et la banane représentent plus de la moitié des exportations agricoles, sont conscients de la nécessité de diversifier leur agriculture. C'est pourquoi ils ont demandé au CTA d'organiser une conférence régionale. Celle-ci s'est tenue à Bridgetown, à la Barbade, du 27 novembre au 1er décembre 1989. Plusieurs tentatives de substitution et de diversification ont été couronnées de succès. Sainte-Lucie a remplacé la banane par la canne à sucre pendant que la Jamaïque s'affranchissait de cette dernière en développant sa production bananière et caféière puis, plus récemment, horticole et aquacole. La Dominique, qui dépendait des agrumes et compte toujours parmi les gros producteurs de bananes, a réussi sa diversification en se tournant vers les fruits, les légumes et le gingembre destinés à l'exportation. D'autres pays qui ont déjà une palette d'exportations plus diversifiée (bananes, cacao et muscade pour la Grenade, sucre et riz pour la Guyane, sucre, agrumes et produits de l'exploitation forestière pour le Bélize) cherchent toujours à réduire leur dépendance vis-à-vis de ces cultures en y ajoutant de nouvelles activités. L'expérience de l'île Maurice Mme P. Aubeeluck, de l'île Maurice, a souligné que la diversification ne passait pas nécessairement par une diminution de la production d'une culture majoritaire. «On a longtemps appelé Maurice 'l'île du sucre ', a-t-elle notamment rappelé, et la politique du gouvernement a été de maintenir la production de manière à atteindre le quota d'exportation annuel vers la CEE de 491 000 t fixé par la Convention de Lomé. Cependant, tout a été mis en oeuvre pour mieux tirer parti, localement, de cette culture». Ainsi, on a proposé aux consommateurs de nouveaux types de sucre sous des marques mauriciennes, on s'est efforcé d'utiliser au maximum les sous-produits de la canne à sucre et l'on a encouragé les cultures dérobées, associant canne à sucre et cultures vivrières. Les sucres spéciaux comprennent des produits granulés vendus sur le marché européen et d'autres expédiés en petites quantités aux EtatsUnis, en Suède, en Nouvelle-Zélande et en Suisse. La bagasse est une source d'énergie renouvelable et non polluante que l'on peut substituer au charbon et au pétrole importés. Son utilisation optimale permettrait de satisfaire 80 % des besoins d'énergie de l'île, contre 20 % actuellement. La production annuelle de mélasse est de l'ordre de 170 000 t, dont 83 % sont exportés. Le reste est utilisé par les distilleries locales pour la fabrication d'alcool, de rhum, de parfums, de vinaigre et de certains médicaments. Par ailleurs, de nombreux éleveurs utilisent des blocs de mélasse mélangée à de l'urée pour nourrir leur bétail. Chaque année, l'industrie sucrière produit quelque 200 000 t de résidus utilisés comme engrais biologique. Depuis longtemps, la partie haute des cannes à sucre fournit un fourrage pour le bétail. Désormais, grâce aux possibilités qu'offre l'ensilage, cette ressource sous-exploitée sera mieux valorisée. Dans l'Ile Maurice, la culture intercalaire dans les champs de canne remonte à la deuxième guerre mondiale lorsque l'approvisionnement en produits alimentaires provenant de l'étranger fut interrompu. Il fut décidé de planter les cultures vivrières de base sur 27 % du terrain couvert par la canne à sucre. La croissance démographique et les prix élevés des importations de denrées alimentaires ont incité les décideurs à prendre les mesures nécessaires pour garantir la sécurité alimentaire et encourager la substitution des produits importés. C'est chose faite depuis 1985 pour la pomme de terre et le curcuma, auxquels devraient s'ajouter, d'ici deux ou trois ans, l'ail et l'oignon. Depuis l'Indépendance, l'île produit également d'autres denrées importantes telles que haricots, arachide, poivrons, riz et lait frais en quantités croissantes. La production agro-industrielle (mise en conserve de fruits, de légumes et de poisson, transformation de produits laitiers, charcuterie, mouture de riz, déshydratation du curcuma, fabrication d'aliments pour bétail et transformation locale de diverses denrées importées à l'état brut telles que huile végétale et blé) a augmenté de 81,8 millions de roupies en 1982 à 214 millions de roupies en 1986. Enfin, deux nouveaux secteurs agricoles ont permis de diversifier encore la production. Original, l'élevage de cerfs, développé à partir d'animaux importés de Java à l'époque coloniale : les cerfs sont sélectionnés parmi des animaux gardes a l´état semi sauvage sur des terres marginales ou domestiquées. D'ici 1992, la production devrait atteindre 70 000 têtes. L'Ile Maurice s'est également lancée dans la production de crevettes d'eau douce (Macrobachium rosenbergii) qui s'élève actuellement à 50 t par an et devrait doubler très bientôt. La diversification aux Caraïbes Plusieurs pays des Caraïbes ont commencé à s'inspirer de certaines des solutions mises en oeuvre à Maurice. Ainsi, la Jamaïque a mis sur pied un secteur d'aquaculture florissant, produisant principalement des crevettes d'eau douce. En Guyane, GUYSUCO a installé à titre expérimental un élevage de tilapia. Le Bélize, qui dispose de larges estuaires, pense qu'ils se prêteraient bien à l'aquaculture. La diversification au sein même de l'industrie sucrière est une piste que l'on explore avec attention. M. Keith Laurie, de la Barbade, a évoqué une grande variété de solutions lorsqu'il a insisté sur «la nécessité de trouver de nouvelles utilisations pour le sucre si l'on ne souhaite pas réduire la surface cultivée en canne à sucre». Il a cité l'exemple de la Grenade qui se tourne vers les variétés de cannes à forte teneur en sucres réducteurs, adaptée à la production de rhum, plutôt que vers la canne riche en saccharose destinée au sucre. Il a également mis en question le bien-fondé économique de la méthode qui consiste à extraire le maximum de sucre de la canne. En effet, il serait peut-être plus rentable de procéder à une extraction moins poussée et moins onéreuse de façon que la bagasse contienne davantage de sucre, et soit dès lors plus nutritive. On pourrait également envisager une production de canne à sucre spécialement destinée à l'alimentation du bétail. M. Laurie a incité les éleveurs et les agriculteurs à s'intéresser à nouveau aux variétés de canne à sucre abandonnées, qui fournissaient une récolte abondante mais que la forte teneur en extrait sec, protéines, fibres ou minéraux rendait impropres à la production de sucre. Ces cannes pourraient très bien convenir à l'alimentation des ruminants et constituer dès lors une nouvelle spéculation, totalement distincte de la production sucrière. «La canne à sucre, a-t-il souligné, est le meilleur convertisseur d'énergie solaire+ et cette caractéristique pourrait être exploitée au plus grand bénéfice du bétail». M. Dwight Venner, responsable des Finances à Sainte-Lucie, a pour sa part indiqué qu'il n'est pas question pour l'Ile de réduire sa production de bananes car la taille du pays ne lui permet pas de gérer une deuxième culture principale. Cependant, il est possible de diminuer les coûts en intensifiant la production sur les meilleures terres. Il serait aussi possible d'améliorer la qualité et de développer des variétés plus petites et plus sucrées destinées à de nouveaux créneaux du marché à l'exportation. Les fruits provenant des Iles au Vent seraient alors bien plus compétitifs. Parallèlement, l'introduction ou l'expansion de nouvelles cultures et de l'élevage pourraient être envisagées en vue d'accroître les recettes des exportations et d'améliorer l'autosuffisance en denrées alimentaires. Un sou économisé, c'est un sou gagné M. Hugh Saul, Directeur adjoint du CARDI, a souligné que si les pays des Carabes représentés à cette conférence sur la diversification exportaient actuellement l'équivalent d'un demi-million de dollars de produits alimentaires, ils en importaient cependant deux fois plus. Selon lui, pour ces pays, «la production de denrées destinées à la consommation nationale est la solution, si l'on considère que chaque dollar économisé est un dollar gagné». M. Vishnu Ramlogan, de la Trinité, a évoqué les options envisagées par Caroni Ltd, société dont les activités se limitaient au sucre et qui cherche maintenant à remplacer une grande partie de ses champs de canne par des plantations d'agrumes, de caféiers, de manguiers et d'anacardiers. «En outre, a-t-il ajouté, on s'emploie à augmenter la production de viande provenant de l'élevage du Buffalypso (variété de buffle sélectionnée) et de moutons ainsi que la production de crevettes de Malaisie». Au nombre des autres options figurent la production industrielle d'alcool, de charbon et de carton d'emballage à partir de la bagasse et même la production de protéines microbiologiques à partir de sous-produits de la canne à sucre. Pas de solution facile Les options sont nombreuses mais l'expérience a montré que le succès dépend à la fois d'une maîtrise des aspects techniques et d'une étude approfondie des marchés potentiels. M. Angus Hone, économiste rural de l'ODNRI (Overseas Development Natural Resources Institute), a fait remarquer à ce propos que l'Amérique du Nord constituerait «un débouché plus accessible que le marché européen pour de nouvelles exportations telles que les fruits, les légumes et les fleurs coupées des Caraïbes: l'Europe, plus éloignée, importe déjà beaucoup de produits d'Israël, du Kenya, de Côte d'Ivoire, de Zambie, du Zimbabwe et de Thaïlande. La récente entrée du Ghana dans le cercle des exportateurs d'ananas montre que le nombre de producteurs africains désireux de trouver des débouchés en Europe ne cesse de croître». Au sein même de la CEE, l'Espagne a créé des plantations d'avocatiers d'une superficie considérable et se trouve en position de force pour la production de piments doux et d'autres légumes exotiques. Le Brésil occupe le premier rang mondial des exportateurs d'agrumes et de papayes. Selon l'analyse de M. Hone, «il existe des créneaux spécifiques sur les marchés européens et des périodes hors saison pendant lesquelles ces marchés ne sont plus approvisionnés par les produits israéliens, africains et asiatiques. Ce sont ces créneaux et ces périodes que les producteurs des Caraïbes devraient exploiter». Sans compter les communautés d'habitants des Caraïbes expatriés en Europe, notamment au Royaume-Uni, qui sont demandeurs de produits provenant de leurs pays. Les fleurs coupées ont également des débouchés potentiels à condition que l'utilisation de la place disponible dans les transports aériens soit optimisée. Actuellement, par exemple, les capacités des vols européens en provenance de la Barbade ne sont pas utilisées à plein, mais il n'existe pas de service de fret efficace entre la Barbade et les pays voisins. La conclusion principale est que dans la plupart des pays où le sucre et la banane sont les cultures dominantes, ils le resteront étant donné le rôle majeur qu'ils jouent dans l'économie de ces pays. La décision de la CEE de continuer, conformément à la Convention de Lomé, à importer ces produits dans les quantités convenues, contribuera à consolider l'économie de ces pays ACP. Néanmoins, il est raisonnable de développer des sources supplémentaires de revenus, en améliorant la rentabilité des cultures sucrières et bananières et l'exploitation de leurs sous-produits, et en initiant de nouvelles cultures. Comme l'a souligné M. Warwick Franklin, Ministre de l'agriculture de la Barbade, à l'occasion de ce séminaire : «Nous devons regarder l'avenir en sachant bien que le monde ne va pas nous faire vivre. Nous sommes dans une société de concurrence et de lutte». Comparant les petites nations de la région avec les géants économiques d'Amérique du Nord, d'Amérique Latine et d'Europe, il a appelé à une intensification de la coopération entre les différents pays des Caraïbes. La nouvelle Division de diversification de la production agricole de l'OECS (Organisation des Etats des Caraïbes orientales) n'est qu'un exemple des structures qui pourraient être mises en place. Plusieurs participants ont fait remarquer que voilà plus d'un siècle que l'on parle de diversification des cultures aux Caraïbes, mais que jamais le besoin de concevoir et de mettre en oeuvre les politiques spécifiques ne s'était fait autant sentir. Ce constat vaut également pour la plupart des pays d'Afrique et du Pacifique. Enfin, le séminaire a mis l'accent sur la nécessité d'un engagement politique. L'exemple de l'Le Maurice a démontré que celui-ci était indispensable pour assurer une diversification durable. Les actes de la conférence seront publies dans le courant de L’année 1990 et leur parution sera annoncée dans SPORE.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1990
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/59233
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