Produire du blé ou promouvoir les céréales locales ?

Les pays ACP sont de plus en plus friands de pain de blé... mais la production de cette céréale reste marginale. Pour tenter de diminuer une facture céréalière souvent très lourde, de nombreux gouvernements souhaitent développer la culture locale. La bataille du blé est pourtant loin d'être gagnée : de nouvelles variétés, mieux adaptées aux climats tropicaux, sont certes disponibles mais, faute d'une protection aux frontières, le blé tropical aura bien du mal à être compétitif face à son homologue du Nord largement subventionné. Dans bien des cas, la valorisation des céréales autochtones semble plus prometteuse. Principale plante cultivée dans le monde, le blé occupe environ 230 millions d'hectares et constitue la base de l'alimentation d'un quart de la population du globe. Même si 60% de la production provient des pays développés, le blé n'est pas seulement une culture de pays riches comme en témoigne la production de la Chine, de l'Inde ou du Pakistan. Mais ces derniers produisent pour le marché intérieur, laissant la voie libre aux exportateurs du Nord sur le marché mondial. Le blé est en effet la céréale la plus échangée dans le monde : le commerce international est passé de 35 à L00 millions de tonnes entre les années L950 et L980. Au palmarès des exportateurs, on trouve les Etats-Unis et le Canada qui représentent un peu plus de la moitié des exportations mondiales, suivis par la CEE, l'Australie et l'Argentine. Au Sud, la consommation de blé croît très rapidement La farine de blé présente l'avantage d'être facilement panifiable grâce à sa forte teneur en gluten Ceci n'est généralement pas le cas des céréales locales (mil ou sorgho) ou des tubercules (manioc). Manger du pain de blé confère, pour certains, un statut social envié, conforme au modèle occidental de développement Pour d'autres, le pain est devenu un aliment commode et apprécié. D'après les enquêtes menées par PROCELOS (Promotion des céréales locales au Sahel), l'évolution de la consommation alimentaire en ville apparaît davantage déterminée par une tendance à la diversification des plats consommés, qu'au seul mimétisme des modèles importés. La production locale reste très faible en Afrique. Près de six millions de tonnes de blé et deux millions de tonnes de farine sont importées chaque année par les pays ACP, absorbant ainsi un quart de leurs recettes d'exportation. Plusieurs facteurs expliquent ce déficit commercial croissant : accroissement de la population, augmentation des revenus urbains, prix généralement très bas des produits du blé, modifications des habitudes alimentaires... Les pays ACP doivent-ils se résigner à la dépendance alimentaire ? Ou peut-on envisager un développement de la culture du blé dans les pays tropicaux ? Réduire la facture céréalière Le blé est cultivé dans le monde sous des climats très divers mais il donne les meilleurs résultats dans les pays tempérés. La production des pays tropicaux ne représente d'ailleurs que 2% de la récolte mondiale. Bien rare en Afrique au sud du Sahara, le blé est essentiellement produit dans les zones d'altitude de l'Afrique de l'Est en culture pluviale, ou en culture irriguée. Depuis fort longtemps, le blé est cultivé dans les oasis de Mauritanie, du Mali et du Niger et, en culture de décrue, sur le bord des lacs comme au Tchad. Ainsi, dans la région de Keita, au Mali, des nomades sédentarisés sur un projet de développement de maraîchage irrigué cultivent chacun quelques centaines de mètres carrés de blé. Mais cette production reste très marginale et n'est destinée qu'à l'autoconsommation. Aussi, afin de réduire leur facture céréalière, de nombreux gouvernements souhaitent développer la culture du blé. La Somalie qui importe chaque année L00.000 t de farine, explore cette voie mais, pour l'instant, seuls 4000 ha sont cultivés par de petits paysans sur les collines au Nord-Ouest du pays. Le Soudan mise sur l'irrigation pour développer la rotation blé/coton. En Ethiopie, l'Institut de recherche agricole a même mis au point des variétés adaptées aux conditions locales. Mais le manque d'eau de la rivière Awash et l'expansion de la culture du coton, exigeante en travail, n'ont pas permis pour l'instant de concrétiser ces résultats. Le Nigéria qui importait L,6 millions de tonnes de céréales en L986 a annoncé une relance de la production interne de blé et affiche un objectif de 800 000 t pour cette année. Mais les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des espérances car le blé est une culture exigeante. Si les conditions de température, de photopériodisme et de fertilité des sols ne sont pas respectées, les rendements sont trop faibles pour justifier cette spéculation. En zone tropicale, la culture du blé en saison des pluies ne peut se faire qu'à des altitudes supérieures à L 400 m. Pendant la saison froide et sèche, elle peut être pratiquée en plaine si ses besoins en eau sont satisfaits. Il faut aussi disposer de variétés adaptées. Le Centre international d'amélioration du maïs et du blé (CIMMYT) au Mexique travaille depuis quarante ans à la mise au point de variétés à haut rendement (VHR). Ces variétés semi naines destinées à la culture irriguée ont connu un large succès. L'Inde, par exemple, a doublé sa production entre L966 et L972. Longtemps deuxième importateur mondial de blé, ce pays a gagné en dix ans la bataille de l'autosuffisance alimentaire. En L982, la moitié des 70 millions d'hectares de blé des pays en développement utilisaient des VHR. Le rendement y était deux à trois fois supérieur à celui des variétés traditionnelles. Mais ces variétés sont beaucoup plus exigeantes en engrais, en eau et en produits de traitement. Pour valoriser ces semences, il faut, en effet, épandre L50 kg/ha. Mais si le sol ne contient pas assez de phosphore, l'azote apporté ne sera que partiellement absorbé par la plante. L'achat de ces intrants n'est pas à la portée de tous les agriculteurs. La FAO et le CIMMYT ont lancé le programme de développement et d'amélioration des semences (SIDP) qui centre ses efforts sur la recherche de variétés moins exigeantes en intrants et mieux adaptées aux conditions difficiles (sols acides, forte concentration en aluminium). Des recherches sont également entreprises pour trouver des variétés de blé pluvial à cycle court pouvant produire dans les zones à courte saison des pluies ou en double culture avec le maïs ou le riz. Mais peu de travaux ont été consacrés à la mise au point de blés adaptés aux sols pauvres tropicaux. Le triticale, croisement du blé et du seigle, offre également des perspectives intéressantes. Adapté aux sols acides, il résiste aux maladies et s'intègre bien en rotation dans les rizières. De plus, cette plante valorise mieux les engrais que le blé et offre des rendements supérieurs. Sa teneur élevée en gluten le rend facilement panifiable. Cependant, dans ces pays où les carences protéiques sont courantes, une amélioration de la teneur en protéines du blé et du triticale serait la bienvenue. La propagation des maladies doit également être surveillée de près, surtout pour le blé pluvial sensible aux excès d'humidité. Le blé est souvent planté en rotation avec le riz dans les rizières ou en culture pluviale d'altitude mais ces deux plantes sont sensibles aux mêmes principaux insectes et ravageurs. Ainsi, la bactérie Xanthomanas campestris et la rouille peuvent détruire jusqu'à 75% de la récolte de blé. Seule une gestion communautaire du contrôle des maladies peut éviter ces désastres. Pour contrer ces maladies, les sélectionneurs utilisent le matériel génétique de variétés sauvages résistantes. Celles-ci, moins sensibles à la sécheresse et à la chaleur, supportent des sols salés et le froid hiver nal. Pour couronner le tout, elles sont plus riches en protéines. La sélection génétique et les biotechnologies semblent donc être le point de passage obligé pour développer la production de blé sous les tropiques. Le blé, une culture exigeante Reste à savoir s'il est techniquement possible de cultiver du blé à grande échelle sous les tropiques. Cette céréale est produite avec succès dans l'hémisphère Nord dans des systèmes de culture sophistiqués utilisant les dernières technologies. Ces techniques coûteuses ne sont généralement pas adaptées aux pays ACP. En outre, la grande culture mécanisée multiplie les risques d'érosion des sols tropicaux souvent fragiles. Aux Etats-Unis, la perte de 2 cm de sol réduit le rendement de 6%. Les techniques traditionnelles de culture ne sont pas toujours très performantes. Les paysans ont ainsi l'habitude de brûler les pailles après la récolte pour faciliter le labour et enrayer la propagation des maladies. Cette pratique est contre-productive dans des régions où les sols, pauvres et légers, pourraient être améliorés si on enfouissait la paille. Pour obtenir des rendements élevés, l'agriculteur doit respecter des techniques culturales très précises, surtout en culture irriguée. Le respect du calendrier cultural, et particulièrement la date du semis, la préparation du sol, le planage parfait des parcelles irriguées, la maîtrise de l'eau sont autant de conditions difficiles à obtenir en culture paysanne. Bien conduite, la culture du blé permet d'atteindre des rendements élevés de l'ordre de 3 t/ ha. Ces problèmes expliquent les fortes variations de rendement constatées en Afrique. Malgré tous ces obstacles, la production de blé des pays en développement a augmenté de 5% par an entre 1975 et 1984. Une fois récolté et stocké, le blé supporte mal les fortes chaleurs et un taux d'humidité supérieur à 14%. Enfin, pour obtenir un prix rémunérateur pour son blé, le paysan aura intérêt à le vendre transformé, sous forme de farine. Ce travail doit être fait avec soin, faute de quoi il risque de perdre la vitamine BI, utile pour éviter la propagation du Beriberi. La réduction du déficit céréalier des pays ACP passe également par des actions sur la fabrication du pain. En 1965, la FAO a créé un programme pour encourager l'utilisation d'autres farines dans la fabrication des produits boulangers. Après plus de vingt ans d'efforts, les résultats sont assez décevants. Aucun projet n'a réussi à instaurer durablement, et à l'échelle nationale, l'usage de ces farines. Beaucoup de recherches n'ont pas dépassé les portes des laboratoires et rares sont celles qui ont eu des commencements d'application (voir SPORE 9). Le Sénégal a ainsi lancé, avec l'appui des pouvoirs publics, le Pamiblé fait de blé et de mil. Ce pain n'a pas rencontré de succès auprès de la population et les disponibilités en mil étaient insuffisantes pour assurer une production suivie. Encourager la production locale Ces tentatives de valorisation des céréales locales se heurtent également aux installations déjà en place. Les grandes minoteries sont souvent installées près des ports d'importation et peu adaptées pour traiter d'au tres céréales que le blé. Au Nigéria, les moulins sont situés près de Lagos, principal port d'importation.. à L 000 km des zones de production. Actuellement, on cherche plutôt à mettre au point des produits entièrement à base de céréales locales qui puissent être fabriqués sans difficultés par de petits artisans. La relance des préparations traditionnelles (bouillies, gari, couscous...) pour les consommateurs des villes permettrait de substituer partiellement le blé importé. La diffusion de petits moulins artisanaux est la première étape de ce processus. Certes, ces innovations techniques sont indispensables pour relancer la production intérieure mais la bataille des céréales locales se gagnera aussi sur le front économique. Comment un producteur malgache ou burkinabé pourrait-il être compétitif face à un céréalier français ou américain quand le blé est vendu sur le marché international au tiers de sa valeur ? Les céréaliers de l'hémisphère Nord sont très largement aidés par leurs gouvernements : en 1988, la C.E.E. leur a octroyé 2 milliards de dollars et les Etats-Unis 4 milliards de dollars. C'est d'ailleurs à l'abri d'une solide protection que sont développés les secteurs céréaliers américains et français. L'heure n'est d'ailleurs plus aujourd'hui aux excédents mondiaux de blé, synonymes de bas prix pour les pays ACP. Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, la production céréalière mondiale a diminué deux années de suite et les stocks ne sont jamais tombés aussi bas depuis la crise alimentaire des années 1970. Entre 1987 et 1988, les stocks mondiaux de blé sont ainsi passés de 168 à 146 millions de tonnes, entraînant une nette remontée des prix internationaux. Au cours des onze derniers mois, le prix d'exportation du blé américain a grimpé de 120 à 175 dollars la tonne, aggravant la facture céréalière des pays du Sud. Selon la FAO, les stock mondiaux de blé devraient encore chuter à 117 millions de tonnes en 1989. Chance ou danger pour les pays ACP ? Chance, car une remontée des prix internationaux rend les céréales locales plus compétitives vis-à-vis du blé importé. Ce n'est cependant qu'une des conditions pour développer la production céréalière locale. Encore faut-il que les paysans disposent de moyens techniques, d'intrants et de crédit pour répondre à cette nouvelle demande. Danger, car de nombreux pays ACP avaient pris l'habitude d'approvisionner à bas prix leurs villes avec du blé importé subventionné. En période de crise économique, il sera difficile de relever le prix des produits de base. Même si elle bénéficiait d'un cadre économique plus favorable, la culture du blé dans les pays ACP, ne pourra pas à elle seule remplacer totalement les importations de céréales. Là où les exigences agronomiques du blé paraissent normalement satisfaites et ne relèvent pas de l'exploit, la production peut encore s'accroître. En revanche, dans les zones difficiles, la priorité devra être donnée à une meilleure valorisation des céréales locales. Bibliographie ALTERSIAL - Du grain à la farine: le décorticage et la mouture des céréales en Afrique de l'Ouest - MINCOOP/CTA/GRET - 1988. BOZZA (J.) - Développement de la culture du blé en zone intertropicale - IRAT - Montpellier - décembre 1984. BYERLEE (D.) et LONGMIRO (J.) - Wheat in the Tropics: Wheter and When? In: Céres-FAO-Mai 1986. Blé, minoteries et boulangeries en Afrique - In Europe Outremer - n°640-641- mai-juin 1983. FAO - A guide to Staple Foods of the World - 1984. KLATT (A.R.) (Ed.) - Wheat Production Constraints in Tropical Environments - CIMIvIYT - 1988. PINSTRUP-ANDERSON, BERG et FROMAN (Ed.) - International Agricultural Research and Human Nutrition - International Food Policy Research Institute -1984. PROCELOS - Promotion des céréales locales au Sahel : initiatives locales et environnement macro-économique - OCDE/CILSS -1988. VAN GINKEL et TANNER (Ed.) - The Fifth Regional Wheat Workshop - CIMMYT -1988.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1989
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/59055
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