FRUITS : VENDRE SANS PEPINS

Développer la production de fruits afin de répondre à l'engouement croissant des consommateurs européens pour les saveurs tropicales, c'est le pari que font actuellement de nombreux pays ACP. Mais, pour conquérir durablement les marchés européens, il faut se soumettre aux impératifs commerciaux, souvent contraignants, qui !es régissent. Toute augmentation des quantités produites est en effet inutile si les débouchés tant extérieurs qu'intérieurs ne sont pas assurés II y a moins d'un siècle, en Europe, une orange était un cadeau de Noël apprécié. Aujourd'hui, les agrumes d'Afrique du Nord mais aussi les bananes, les ananas et, plus récemment, les mangues, les kiwis, les litchis et les grenadilles s'étalent dans les grandes surfaces. Luxe rare hier, le fruit tropical tend à devenir banalité. Les chiffres traduisent cette attraction des occidentaux pour ces fruits venus de pays lointains que le tourisme rend de plus en plus proches. Ainsi, les importations de mangues ont progressé de 89 % entre 1983 et 1986, passant de 12 000 t à 22 000 t. En Grande-Bretagne, on a noté une hausse de 36,5 % pour la seule année 1985-86 ! Ce sont maintenant plus de 100 000 t d'avocats qui arrivent chaque année en Europe, soit 38 % de plus qu'en 1983. En France, l'avocat a ainsi détrôné l'ananas, le fruit tropical jusqu'à présent le plus consommé après, bien sûr, la banane. Mais cette dernière, devenue aussi commune que les fruits tempérés, a perdu son image de fruit exotique et sa consommation tend à diminuer. D'autres fruits inconnus des' pays du nord il y a encore peu de temps ont commencé leur percée. C'est le cas de la papaye dont les arrivages en France, quoique encore faibles, ont progressé de 50 % en 1986 par rapport à 1985. Les litchis, les limes, les goyaves, les mangoustans ont maintenant leur place sur les étals. Face à ces marchés qui s'ouvrent, les pays d'Afrique, des Caraïbes ou de l'Océan Indien s'efforcent d'accroître et de diversifier leurs exportations. Mais la concurrence fort rude des pays d'Amérique latine ou du pourtour méditerranéen ne pardonne aucune négligence des fournisseurs. La régularité des expéditions et une qualité conforme aux souhaits des acheteurs sont les conditions sine qua non pour prendre pied sur les places européennes. Pour l'exportation, comme d'ailleurs pour les marchés intérieurs, l'organisation de la production doit aller de pair avec la commercialisation. Les montagnes de mangues perdues au fond de la Casamance, les avocats que l'on est obligé de donner aux cochons dans l'ouest camerounais ou encore les palettes de fruits refusées à leur entrée dans la CEE, sont là pour témoigner que maîtriser la production ne suffit pas. De plus, les contraintes liées à l'acheminement des fruits et aux goûts des clients ont des répercussions sur les choix agronomiques. Le transport des fruits vers les grandes villes ou vers l'étranger reste souvent la contrainte la plus importante à une augmentation sensible de la production. Pour ces denrées fragiles et qui ne peuvent guère attendre, une très bonne organisation de la récolte, du conditionnement et des expéditions doit être prévue. Réseaux routiers en bon état, dessertes aériennes ou accès au frêt maritime conditionnent les tonnages exportables. Pour la plupart des pays ACP, et particulièrement pour les pays enclavés comme le Burkina-Faso ou le Mali, seules les lignes aériennes directes assurent les expéditions. Les capacités de frêt aérien sont souvent limitées. Aussi certains producteurs comme la Réunion ou les îles Caraïbes, malgré d'importantes potentialités, ne peuvent-ils accroître leurs exportations. La Guinée, qui souhaite actuellement relancer sa production fruitière, doit d'abord s'assurer des capacités de frêt. Le transport maritime, moins onéreux, n'est possible que pour des quantités importantes. Il demande en outre une adaptation des stades de récolte, du conditionnement et de la conservation à des délais d'acheminement plus longs. La maîtrise de toute la chaîne qui va du producteur au consommateur est indispensable à la réussite d'un projet. C'est ce qui a été fait pour le projet fruitier du Burkina-Faso mis en route il y a dix ans. Outre un approvisionnement des villes du pays en agrumes, papayes et mangues, les mille petits producteurs locaux et un verger irrigué de 165 ha couvrent maintenant plus de 15 % des importations françaises de mangues. Une bonne orchestration des récoltes, leur conditionnement sur les lieux de production, une planification rigoureuse des expéditions (sans oublier le paiement cash des mangues aux agriculteurs dès leur livraison !), explique cette réussite. Le Mali, avec une société nationale, la Fruitema, a su, lui aussi et dans des conditions similaires, créer une véritable production d'exportation. Arrivés sur le marché de gros de Rungis, près de Paris, pour être redistribués sur les places européennes, il s'agit de bien vendre ces fruits, ce qui est plus compliqué qu'on pourrait le croire. Pour ce genre de denrées achetées plus par plaisir que par nécessité vitale, le consommateur détient plus que jamais la clef des marchés. Il faut donc satisfaire ses goûts. Faire rougir les mangues Faute de disposer d'éléments de comparaison gustatifs puisqu'ils connaissent peu ces produits nouveaux, les consommateurs européens jugent d'abord sur l'apparence: la couleur, la taille ou la forme des fruits ont une grande importance à leurs yeux. De plus, la première variété d'un fruit arrivée sur le marché constitue la base de référence qu'il est très difficile de faire changer par la suite. Pour être appréciées, les mangues ne doivent certes ni sentir la térébenthine, ni être fibreuses, mais elles doivent surtout être très colorées. Malgré son goût très fin et sa bonne tenue, la variété « Amélie » à la peau jaune verte, qui constitue l'essentiel des exportations ouest-africaines, a du mal à s'imposer sur le marché. On lui préfère des variétés américaines, plus rouges. Faire rougir les mangues est donc devenu un des objectifs de la recherche agronomique dans les pays qui veulent accroître leurs exportations. Parfois, d'habiles campagnes de publicité arrivent à renverser ces habitudes purement subjectives. Ainsi, les Européens se croyaient abusés lorsqu'on leur vendait un « citron vert » de couleur jaune. Certains proposaient donc des citrons bien verts mais pas mûrs... Afin de sortir de cette équivoque, on a tout simplement rendu au « citron vert » son nom d'origine, la lime ! De la même manière, pour être apprécié, un lictchi doit être rouge et une papaye jaune. Le calibre des fruits est aussi un critère important. Les avocats ne doivent pas être trop gros et plutôt en forme de poire, suivant le modèle imposé par Israël, le plus gros fournisseur. Les avocats africains, pourtant bien meilleurs, ont ainsi été pratiquement éliminés du marché. Le Cameroun, qui produisait d'excellents avocats, malheureusement trop gros et difficiles à conserver n'exporte pratiquement plus sur l'Europe. La papaye doit, elle aussi, être de petite taille et de plus bien mûrir et bien se conserver. Des variétés sont à l'étude pour répondre à cette demande. ….mais pas d’avocats marrons ! Reste qu'au-delà des apparences, une qualité suivie des fruits à l'exportation est une nécessité. Il ne faut pas perturber le consommateur par des arrivages défectueux qui risquent de le détourner pour longtemps d'un produit, ni décourager l'importateur soucieux de traiter avec des fournisseurs réguliers et fiables. De plus, la Communauté européenne, lorsque le marché d'un fruit se développe, établit des normes de commercialisation qu'il faut impérativement respecter : qualité phytosanitaire, calibrage, conditionnement sont peu à peu précisés. Les règles édictées prennent souvent en compte le modèle donné par les premiers arrivages de ces fruits,;.ou ceux des plus gros producteurs qui font la loi sur le marché. II est parfois difficile pour les autres de les respecter. Toutes ces données, qui changent souvent rapidement sur ces marchés en pleine évolution, doivent être bien connues des pays producteurs afin de miser sur le fruit ou la variété qui convient le mieux. Etre présent sur les marchés européens lorsqu'ils ne sont pas trop encombrés et que la période de vente est favorable peut relever du casse-tête et implique souvent des décisions agronomiques qui, elles aussi, doivent être... bien mûries. Du soleil en hiver Les fruits tropicaux se vendent mieux en hiver lorsque les fruits européens sont rares. La papaye quIl arrive à maturité entre novembre et mai a ainsi un créneau intéressant à saisir. La Côte d'ivoire et, depuis peu, le Burkina-Faso sont sur les rangs mais le Brésil reste le premier fournisseur. Les litchis qui viennent de la Réunion, de l'île Maurice ou de Madagascar tombent au moment favorable des fêtes. Malheureusement, la période de production est très courte (fin novembre-décembre) aussi recherche-t-on des variétés dont les récoltes sont plus étalées dans le temps. En attendant, la Communauté européenne a autorisé, pour trois ans, le soufrage des litchis afin d'accroître leur durée de mise en vente. Les mangues d'Afrique de l'Ouest (principalement Burkina-Faso et Côte d'ivoire) pâtissent aussi d'une période de production très resserrée. Entre avril et juin, le marché est saturé. En mettant en place à la fois des variétés tardives et des variétés précoces, on espère produire sur quatre mois au lieu de trois. Cela permettrait d'exporter dès le mois de mars, époque plus favorable en Europe, et d'approvisionner plus longtemps les marchés urbains africains. Le Kenya, qui produit de novembre à mars, est concurrencé par le Brésil et le Pérou. La production de fruits tempérés de contre-saison est un nouvelle possibilité qui s'ouvre actuellement aux zones tropicales d'altitude (Cameroun, Madagascar, Swaziland). A la Réunion où une telle méthode a été mise au point par l’IRFA (Institut de Recherche sur les Fruits et Agrumes), pêches et fraises sont déjà produites et exportées en Europe durant les derniers mois de l'année. La culture des melons est aussi une voie à explorer comme activité de maraîchage de saison chaude. Les melons peuvent être de bons produits d'exportation mais aussi, pour les variétés non commerciales, être une ressource alimentaire locale. Autrefois réservés aux riches, les fruits tropicaux ont vu leur prix baisser depuis l'accroissement des arrivages. C'est pourquoi des coûts de production trop élevés rendent difficile la vente à l'exportation. Ainsi, les avocats des zones tropicales humides, victimes d'attaques parasitaires qui nécessitent des traitements phytosanitaires nombreux, reviennent trop cher. Il paraît plus intéressant de les cultiver dans les régions sub-tropicales où de nombreux vergers se mettent en place actuellement. De même, pour produire des grenadilles (fruits de la passion) aux Antilles françaises où la main d'oeuvre est chère, il faut trouver des clones qui produisent au moins 20 t à l'hectare. De nouvelles variétés ont ainsi été étudiées qui vont prochainement être essayées en Afrique. Saisir le marche intérieur Cette stimulation de la production qu'engendre la demande européenne profite aussi aux marchés locaux des pays ACP. En effet, l'approvisionnement des grandes villes y est généralement très insuffisant et la consommation de fruits encore faible (8 à 10 kg par an et par personne en Afrique). Beaucoup reste donc à faire pour satisfaire les besoins. L'arboriculture fruitière peut être un intéressant facteur de développement lorsque ces fruits sont produits par de petits agriculteurs en association avec les cultures vivrières. Ils leur procurent des revenus monétaires toujours bienvenus surtout lorsqu'ils arrivent en période de soudure comme c'est le cas pour la mangue en Afrique de l'Ouest. Pour exploiter au mieux ces possibilités variées d'expansion, de nombreux pays ACP, souvent appuyés par la CEE, se lancent actuellement dans la production de fruits pour la vente. D'importants projets sont en cours ou à l'étude, tel celui qui, au nord Côte d'ivoire, vise à développer la production fruitière à la fois pour l'exportation et pour le marché local. Les jardins villageois du nord Cameroun, les vergers à l'école ou les jardins de femmes où l'on associe fruitiers et maraîchage sont autant d'expériences qui familiarisent les populations avec ces cultures qu'ils ne connaissent pas. Les fruits tropicaux ont encore un bel avenir devant eux car les marchés, européens ou locaux, sont loin d'être saturés. De nombreux fruits sont encore à faire connaître aux gens du nord, d'autres, qui existent à l'état spontané dans la nature, restent à découvrir et à exploiter. De plus, la transformation de ces fruits frais en pulpes, jus ou concentrés encore peu répandue dans les pays producteurs, peut accroître les possibilités d'expansion. Mais pour avoir sa place sur ces marchés délicats, il faut s'adapter aux demandes souvent capricieuses de ceux qui consomment ces fruits et aux règles parfois difficiles à suivre du commerce international. BIBLIOGRAPHIE Bulletins d'information du COLEACP. Compte-rendu de la réunion annuelle de l'IRFA /CIRAD - Fruitiers et diversification-Montpellier septembre 1987.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1988
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/58844
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