User de pesticides pour contrôler les espèces invasives : les facettes d'un paradoxe éthique

La lutte contre les espèces invasives qui impactent l'environnement ou la santé publique recouvre parfois l'usage de substances chimiques létales. Or, si l'intérêt de la lutte chimique dans le contrôle d'espèces invasives est indéniable, son impact sur l'environnement ou sur la santé humaine ne saurait être omis, dès lors que l'usage de rodenticides peu sélectifs tels le brodifacoum ou le 1080, d'insecticides fortement rémanents tels les néonicotinoïdes, et d'herbicides systémiques tel le glyphosate, intéresse d'année en année des surfaces de plus en plus grandes. La littérature fournit de nombreux exemples d'effets indésirables de ce type d'intervention sur la biodiversité ou la santé humaine dont il faudrait rendre compte de manière plus transparente. L'évaluation des risques d'utilisation des pesticides demeure incomplète dans ce domaine, et l'approche bénéfices-risques qui s'imposerait fait encore défaut. Cette utilisation de pesticides se présente comme un paradoxe éthique puisqu'elle s'inscrit en amont dans une démarche de protection du vivant, mais aussi parce que dans le cadre d'une politique de santé publique, elle fait parfois courir aux populations d'autres risques sanitaires. De manière générale, l'efficacité des pesticides dans le contrôle des espèces invasives reste en outre mal évaluée. Il paraît donc impératif de replacer le citoyen au coeur des processus de décision ou du moins de prôner davantage de transparence quant à l'ensemble des bénéfices attendus et des risques encourus. L'écart éthique que suscite le recours à des pesticides est dès lors à évaluer en tant que tel. Il n'est pas justifiable que la question du droit animal soit autant écartée des programmes de régulation de vertébrés : les souffrances imposées sont une réalité, et il n'appartient pas aux scientifiques écologues ou aux gestionnaires d'espaces naturels de décider seuls de ce qui, dans nos relations avec l'animal, est acceptable ou non. Le domaine des espèces invasives ne devrait pas faire exception dans les réflexions globales conduites sur les pesticides. Pourtant, le fait est que les espèces invasives ne correspondant pas à notre représentation conventionnelle de la nature, l'usage de moyens en temps normal prohibés dans les espaces naturels ne semble pas devoir ici être remis en cause. Nous devons continuer à nous interroger sur le fondement de ces entorses à la protection de l'environnement et à l'éthique environnementale, entorses qui correspondent à un rejet paradoxal de valeurs orientées sur le respect du vivant, dont on s'aperçoit qu'elles ne sont pas partagées par tous.

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Bibliographic Details
Main Author: Tassin, Jacques
Format: article biblioteca
Language:fre
Subjects:H01 - Protection des végétaux - Considérations générales, F40 - Écologie végétale, 000 - Autres thèmes, pesticide, santé publique, impact sur l'environnement, éthique, politique sanitaire, lutte biologique, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_5739, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_6349, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_24420, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_24838, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_32496, http://aims.fao.org/aos/agrovoc/c_918,
Online Access:http://agritrop.cirad.fr/585611/
http://agritrop.cirad.fr/585611/1/RevuedEcologie_2017_72_4_425.pdf
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Summary:La lutte contre les espèces invasives qui impactent l'environnement ou la santé publique recouvre parfois l'usage de substances chimiques létales. Or, si l'intérêt de la lutte chimique dans le contrôle d'espèces invasives est indéniable, son impact sur l'environnement ou sur la santé humaine ne saurait être omis, dès lors que l'usage de rodenticides peu sélectifs tels le brodifacoum ou le 1080, d'insecticides fortement rémanents tels les néonicotinoïdes, et d'herbicides systémiques tel le glyphosate, intéresse d'année en année des surfaces de plus en plus grandes. La littérature fournit de nombreux exemples d'effets indésirables de ce type d'intervention sur la biodiversité ou la santé humaine dont il faudrait rendre compte de manière plus transparente. L'évaluation des risques d'utilisation des pesticides demeure incomplète dans ce domaine, et l'approche bénéfices-risques qui s'imposerait fait encore défaut. Cette utilisation de pesticides se présente comme un paradoxe éthique puisqu'elle s'inscrit en amont dans une démarche de protection du vivant, mais aussi parce que dans le cadre d'une politique de santé publique, elle fait parfois courir aux populations d'autres risques sanitaires. De manière générale, l'efficacité des pesticides dans le contrôle des espèces invasives reste en outre mal évaluée. Il paraît donc impératif de replacer le citoyen au coeur des processus de décision ou du moins de prôner davantage de transparence quant à l'ensemble des bénéfices attendus et des risques encourus. L'écart éthique que suscite le recours à des pesticides est dès lors à évaluer en tant que tel. Il n'est pas justifiable que la question du droit animal soit autant écartée des programmes de régulation de vertébrés : les souffrances imposées sont une réalité, et il n'appartient pas aux scientifiques écologues ou aux gestionnaires d'espaces naturels de décider seuls de ce qui, dans nos relations avec l'animal, est acceptable ou non. Le domaine des espèces invasives ne devrait pas faire exception dans les réflexions globales conduites sur les pesticides. Pourtant, le fait est que les espèces invasives ne correspondant pas à notre représentation conventionnelle de la nature, l'usage de moyens en temps normal prohibés dans les espaces naturels ne semble pas devoir ici être remis en cause. Nous devons continuer à nous interroger sur le fondement de ces entorses à la protection de l'environnement et à l'éthique environnementale, entorses qui correspondent à un rejet paradoxal de valeurs orientées sur le respect du vivant, dont on s'aperçoit qu'elles ne sont pas partagées par tous.