La banane et l’enjeu du marché unique

La banane (banane fruit) est la troisième production alimentaire échangée dans le monde après le café et le cacao. Loin d’être standardisés, les modes de production comme les règles de commercialisation varient fortement d’un continent à l’autre. La Communauté européenne, premier consommateur mondial, vient de perturber cette équation complexe en unifiant ses règles d’importation, au grand dam de la plus importante région productrice : l’Amérique latine. La banane est le fruit frais le plus consommé dans le monde. Il est également le plus échangé. Plus de 95 % de ces exportations viennent de pays en développement. L’Amérique latine domine très largement le marché avec 74 % des exportations mondiales. Depuis 1990, la Communauté européenne est le premier importateur mondial de bananes avec 3,498 millions de tonnes, devançant les Etats-Unis (2,85 millions) et le Japon (757 000 tonnes). Ce marché constitue donc un enjeu de taille pour les pays exportateurs. Or il connaît actuellement un bouleversement sans précédent dû à la nécessité d’instituer une règle unique en matière d’accès des pays exportateurs. Ce qui a été fait avec la signature, le 13 février 1993, à Bruxelles, d’un accord pour une règle unique régissant les importations de bananes dans la Communauté européenne. Il aura fallu de longs mois de difficiles négociations entre partenaires de la Communauté pour aboutir au texte final. L’accord du 13 février prévoit de limiter volontairement les importations de bananes latino-américaines au niveau de 2 millions de tonnes par an, soit un peu plus de la moitié de la consommation totale estimée à 3,7 millions de tonnes en 1993. Ces importations seront taxées à 20 %. Au-delà de ce contingent annuel, une taxe de 850 ECU par tonne aura valeur totalement dissuasive. Un marché européen très protégé Par comparaison, en 1992, les pays latino-américains avaient vendu à la CEE 2,4 millions de tonnes de bananes. Le « manque à gagner » devrait donc être de 400 000 tonnes. Surtout, les bananes dollars ne pourront pas profiter de l’augmentation attendue de la consommation dans plusieurs pays de la Communauté. Le marché de la CE tel qu’il fonctionnera à partir du 1er juillet 1993 sera donc un marché protégé par un système de quota qui ne veut pas dire son nom et maquillé en un contingentement tarifaire. Dans les textes en effet, les importations tiers (hors CEEACP) ne sont pas interdites mais simplement taxées. Dans les faits, le niveau prohibitif des taxes aura le même résultat qu’une interdiction pure et simple d’importation. Près de la moitié des importations communautaires seront donc effectivement réservées aux producteurs européens et ACP. Les importations venant de ces pays seront régies ‘par la Convention de Lomé. Le changement par rapport à la situation actuelle n’est pas négligeable. La signature du Traité de Rome en 1957 instituant le marché commun avait laissé de côté le cas de la banane après que l’Allemagne fédérale ait menacé de ne pas signer le traité si elle n’obtenait pas l’autorisation d’importer sans droit de douane un contingent annuel de bananes d’un pays tiers (non ACP). Les partenaires de l’Allemagne avaient cédé, mais le Traité avait été signé avec quatre jours de retard. C’est ainsi que la banane était demeurée le seul produit agricole ne faisant pas l’objet d’une organisation du marché. L’Amérique latine inquiète L’accord conclu en février dernier n’a pas fait que des heureux parmi les pays exportateurs. Si les producteurs ACP se sont félicités de ce qu’ils considèrent comme une victoire importante, les principaux visés, les pays latino-américains, voient les portes du premier marché mondial se refermer à moitié. Ils n’ont eu d’autre choix,en apprenant la décision de Bruxelles, que d’élever des protestations officielles et vigoureuses. Les dirigeants du Guatemala ont appelé à la solidarité du continent latino-américain face aux décisions « injustes » de la Commission. Pour le Panama, les autorités européennes « n’ont aucune idée du tort qu’elles sont en train de faire à nos pays « . Quant au représentant des planteurs colombiens, il a évalué les conséquences de la décision européenne en ces termes : un manque à gagner de plus d’un milliard de dollars par an, la disparition de 200 000 emplois et la suppression de 35 000 hectares de bananiers en trois ans dans l’ensemble de l’Amérique latine. Cinq des plus gros exportateurs latino-américains : Guatemala, Nicaragua, Colombie, Venezuela et Equateur ont adressé conjointement une plainte au GATT pour décision non conforme à l’esprit de l’organisation. Une commission d’arbitrage a été constituée. La démarche sud-américaine a peu de chances d’être suivie d’effets dans la mesure où la Communauté européenne avait pris soin, avant la signature de l’accord, d’obtenir de ce même GATT l’autorisation que la banane soit exclue des négociations de l’Uruguay Round. Pour présenter et défendre leur point de vue, les producteurs latino-américains se réfèrent à la « charte de San Andrès », du nom de l’île colombienne où les sept principaux producteurs de la région, représentant plus de 65 % de la production mondiale (Colombie, Costa Rica, Equateur, Honduras, Guatemala, Panama, Salvador) avaient arrêté une position commune dans l’optique des négociations du GATT. XXX Cette charte, se Les effets de la nouvelle directive européenne sur les économies des exportateurs latino-américains sont à l’heure actuelle encore difficiles à évaluer. Une chose est sûre, la banane constitue pour ces pays une source de revenus importante. Toutefois, tous ont réussi au cours de ces dernières années à réduire leur trop forte dépendance vis-à-vis de ce produit. Plus aucun pays de la région ne dépend de la banane à plus de 50 % alors qu’ils étaient deux dans ce cas en 1970. La banane représentait alors plus de 25 % des exportations de quatre des plus importants exportateurs latino-américains. Cette proportion n’est plus atteinte que dans deux pays (Panama et Honduras). La limitation de l’accès au marché européen ne doit pas faire oublier que ces pays bénéficient d’une suprématie totale sur le marché nord-américain. Europe une harmonisation difficile Du côté des Européens, l’Allemagne, la Belgique et la Hollande, qui avaient voté contre le texte, ont porté plainte auprès de la Cour européenne de justice. L’Allemagne, dont les importations de bananes étaient jusqu’à présent totalement libres quant aux origines en raison de la dérogation obtenue en 1957, s’approvisionnait à 98 % en bananes latino-américaines. En conséquence, le consommateur allemand payait son kilo de bananes 1,66 dollars contre 2,08 dollars et 2,03 dollars respectivement pour les consommateurs français et britannique. Il ne fait aucun doute que pour le consommateur allemand, la règle communautaire vase traduire par un renchérissement du prix de la banane au détail. A l’inverse, pour les pays européens qui ont voté en faveur du texte adopté, la nouvelle réglementation assure la pérennité de leur politique protectionniste face à la concurrence la banane dollar. La France, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et le Portugal ont toujours privilégié leurs anciennes colonies ou leurs territoires d’outremer pour leurs importations bananières .Deux origines se partageaient jusqu’à présent le marché français selon une règle établie en 1962par le Général De Gaulle. Les, Départements et Territoires d’outre-mer (DOM-TOM), comprenant la Martinique et la Guadeloupe, se voyaient réserver les deux tiers du marché français, le tiers restant allant aux ACP africains : Côte d’Ivoire et Cameroun pour l’essentiel. La Grande-Bretagne réservait la moitié de son marché aux Windwards Islands, un quart à la Jamaïque et à Belize, seul le quart restant était ouvert à toutes les origines dont les bananes dollars. En 1974, l’Italie a accordé à la Somalie un statut privilégié. Jusqu’aux récents événements qui ont déstructuré l’économie somalienne, l’Italie achetait la quasi-totalité des exportations somaliennes, ce qui représentait environ 10 % de ses importations. L’Espagne, entrée plus tard dans la Communauté européenne, a pu conserver son système de protection qui réserve la quasi-totalité de son marché aux Iles Canaries. Le Portugal a desserré sa protection depuis 1985, mettant la production de Madère en concurrence relative avec la banane latino-américaine (Colombie et Equateur). Un système de taxation et de péréquation des prix assure toutefois à Madère un maintien de sa part de marché autour des 40 %. Une productivité A GEOMETRIE VARIABLE Cette protection, procurée aux Etats ACP et territoires d’outre mer, par ces pays européens, a été rendue nécessaire par le très important écart de prix existant entre les bananes dollars et les bananes ACP. Le prix à la production de la banane latino-américaine est de 245 dollars par tonne. Il est de 354 dollars pour la banane camerounaise, de 506 dollars pour la banane antillaise et de 548 dollars pour celle des Caraïbes (Cf. tableau). Il reste encore beaucoup à faire avant que les bananes ACP parviennent à concurrencer les bananes latino-américaines. Un document de travail qui circulait à Bruxelles pendant les négociations, décrit le secteur bananier latino-américain en cestermes : « Exploitation des hommes, destruclion de l’environnement sont le corollaire d’un souci obsessionnel de rentabilité et de compétitivité à court terme ». Cette description vise de la manière la plus directe les trois grandes sociétés multinationales américaines qui contrôlent la quasi-totalité de la production bananière de cette région Chiquita Brands, Castle and Cook et Del Monte. La domination de ces trois sociétés sur l’ensemble de l’activité bananière de la région a donné à ces bananes le surnom de « bananes dollars ». De très nombreux éléments entrent en ligne de compte dans la détermination du coût de production. Cela va du coût de l’investissement, qui comprend principalement la terre et les équipements, au coût du conditionnement et du transport en passant par le prix des intrants. Selon une étude réalisée par l’APROMA (Association des produits à marché CEE-ACP) pour le compte du ministère français de la coopération, le coût d’investissement d’un hectare de bananes s’élevait, en 1989, à 8000 dollars en Equateur, 9600 dollars en Colombie, 10 500 dollars au Cameroun, 12 000 dollars au Costa Rica et 12 500 dollars en Côte d’Ivoire. C’est au niveau du coût de revient, qui fait intervenir le coût de la main-d’œuvre, que s’établit toute la différence entre les bananes dollars et les bananes ACP. D’une part, les exploitations d’Amérique latine, modernes, intensives et très mécanisées, autorisent une productivité élevée. Selon l’APROMA, elle est de 136 jours par tonne à l’hectare au Costa Rica contre 399 en Côte d’Ivoire D’autre part, le salaire journalier est de 10 dollars en Amérique latine, soit six fois moins qu’aux Antilles. C’est sur ce dernier aspect que les partisans de la protection du marché communautaire ont le plus insisté pour refuser ce qu’ils appellent un « nivellement par le bas » qui obligerait les autres pays producteurs à aligner leur coût de production et notamment le coût de la main-d’œuvre sur les coûts de production obtenus en Amérique latine par les multinationales américaines. Une telle option ne peut être envisageable pour des raisons évidentes de stabilité politique et sociale. Une formule transitoire Cependant, ces mêmes défenseurs de la protection du marché sont bien conscients du fait qu’une telle protection ne peut être que transitoire, dans la mesure où la tendance du commerce mondial est à la libéralisation. La France s’est donné trois ans (jusqu’en 1996) pour aider ses producteurs antillais à se lancer dans une politique d’amélioration de la productivité et de promotion, mais aussi de diversification économique. Ce n’est pas un hasard si, dernièrement, un décret a été promulgué, accordant des conditions fiscales exceptionnelles aux investissements dans le domaine du tourisme aux Antilles..

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1993
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/60311
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