Apprendre tôt, apprendre juste

La Save, l’une des plus importantes rivières du Zimbabwe, n’est plus aujourd’hui qu’un fleuve de sable, comme beaucoup de nos cours d’eau. C’est le résultat d’une grave érosion des sols et de la déforestation provoquées par une agriculture conventionnelle de moins en moins viable en termes de rentabilité et de durabilité. Il faut donc apprendre aux enfants à réfléchir à ces questions dès le plus jeune âge et leur montrer qu’une autre option existe. Il y va de l’avenir de l’agriculture et de ses ressources économiques, de la sécurité alimentaire, mais aussi de notre environnement. C’est en 1994 que SCOPE a été lancé dans une école primaire et une école secondaire de chacune des neuf provinces du Zimbabwe. Notre programme est simple. Deux enseignants de chaque école reçoivent une formation sur les principes de la permaculture, ou agriculture biologique. Ils peuvent être indifféremment professeurs de sciences, d’anglais ou de mathématiques, mais nous tenons à ce qu’ils intègrent l’agriculture dans leur enseignement. L’école tout entière est concernée. Il ne s’agit pas seulement de jardiner, de reverdir l’établissement ou de construire des brise-vent autour des maisons des enseignants. L’enseignement permet d’aborder plusieurs aspects : la collecte des eaux, l’amélioration de la santé et de la nutrition, la production de revenus pour l’école. Il s’étend par-delà l’école aux villages voisins et aux familles qui profitent de ce qu’apprennent leurs enfants. Certes, les parents résistent aux idées nouvelles. Comme les techniciens agricoles, ils s’appuient sur ce qu’ils ont appris quand ils étaient jeunes. Les enfants, eux, sont plus maléables et dynamiques. C’est essentiel, car ce sont eux les paysans de demain. À chacun son plan Des représentants d’élèves, de parents d’élèves et des enseignants suivent un stage d’une semaine organisé par SCOPE. Ce stage les initie à la conception d’un plan intégré d’utilisation du terroir. Les enseignants formés discutent ensuite avec les autres élèves, parents et enseignants d’un projet global pour l’école. Un plan intégré d’utilisation du terroir est alors réalisé après une analyse collective de la situation qui permet notamment d’identifier les problèmes principaux et les ressources mobilisables. Nous n’avons donc pas de plan prédéterminé : chaque école a le sien, bâti sur une analyse spécifique à son contexte. Nous demandons ensuite au groupe parents-élèves-enseignants comment il souhaiterait voir l’école dans vingt ans. Cela permet d’avoir une vision générale de leurs intérêts et de leurs attentes. Certains veulent des fruits, d’autres un jardin, une école plus ombragée ou simplement plus jolie. Nous dessinons un plan et nous élaborons ensemble le programme concret des tâches à remplir et des missions à affecter à telle ou telle classe, avec les délais de réalisation. Nous définissons aussi les contributions des parents et du personnel de l’école. Les parents peuvent, par exemple, fournir des plants, apprendre ce qui est enseigné à leurs enfants et le mettre en pratique. En quelques années, les réalisations peuvent être spectaculaires et les différences sont visibles d’une école à l’autre. École ou ' République bananière ' ? À Bindura, l’école publique Chireka est maintenant surnommée ' République bananière ', parce qu’elle est presque cachée par une plantation de bananiers. Les bananes sont vendues aux enfants pendant les récréations, bien moins cher qu’au marché. À Rufa, l’école secondaire Saint-Vincent s’est concentrée sur les plantes et arbustes à fleurs. Le programme marche bien et 54 écoles — neuf dans chaque province — y participent maintenant. Depuis 1997, nous sommes soutenus par le ministère de l’Éducation qui choisit les écoles et les enseignants et facilite la recherche de fonds. Cet appui du gouvernement est essentiel, car il devrait permettre de modifier les manuels d’enseignement et d’élaborer des examens adaptés. Mais rien n’est encore acquis. Certains enseignants ont du mal à traiter à la fois de l’agriculture biologique et de l’agriculture conventionnelle. Je crois que la bonne méthode consiste à essayer les deux et à laisser les élèves comparer. Il y a plus délicat encore. Les parents reçoivent, en effet, des messages différents : ceux de l’agriculture biologique, via l’école des enfants, et ceux de l’agriculture conventionnelle, via le technicien agricole dont les paysans dépendent beaucoup, pour obtenir des certificats, par exemple. Les sociétés agro-chimiques soutiennent financièrement l’éducation et la vulgarisation agricoles. Pour notre part, nous avons d’autres objectifs. Nous souhaitons appliquer notre programme dans une école primaire et une école secondaire de chacun des 63 districts. Nous souhaitons aussi inclure la formation à la permaculture dans les écoles d’agriculture et les établissements où sont formés les futurs professeurs et techniciens. Le programme peut également être mis en œuvre dans d’autres pays comme nous l’avons expliqué lors d’un séminaire de trois semaines en Zambie où nous envisageons une initiative similaire. [caption] Mugove Walter Nyika est coordinateur de SCOPE, le Programme de permaculture pour les écoles et les collèges de l’Institut de permaculture du Zimbabwe (ZIP). Ce géographe de formation a abandonné l’enseignement après avoir pris conscience que la permaculture — ou agriculture permanente — était une alternative intéressante à l’agriculture conventionnelle. Science de la gestion des milieux, la permaculture permet de comprendre les interactions de nombreux systèmes vivants et de les utiliser en respectant leurs équilibres. Les opinions exprimées dans ce Point de vue sont celles de l’auteur, et ne reflètent pas nécessairement les idées du CTA.

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Bibliographic Details
Main Author: Nyika, Mugove Walter
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 2001
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/62692
https://hdl.handle.net/10568/99666
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description La Save, l’une des plus importantes rivières du Zimbabwe, n’est plus aujourd’hui qu’un fleuve de sable, comme beaucoup de nos cours d’eau. C’est le résultat d’une grave érosion des sols et de la déforestation provoquées par une agriculture conventionnelle de moins en moins viable en termes de rentabilité et de durabilité. Il faut donc apprendre aux enfants à réfléchir à ces questions dès le plus jeune âge et leur montrer qu’une autre option existe. Il y va de l’avenir de l’agriculture et de ses ressources économiques, de la sécurité alimentaire, mais aussi de notre environnement. C’est en 1994 que SCOPE a été lancé dans une école primaire et une école secondaire de chacune des neuf provinces du Zimbabwe. Notre programme est simple. Deux enseignants de chaque école reçoivent une formation sur les principes de la permaculture, ou agriculture biologique. Ils peuvent être indifféremment professeurs de sciences, d’anglais ou de mathématiques, mais nous tenons à ce qu’ils intègrent l’agriculture dans leur enseignement. L’école tout entière est concernée. Il ne s’agit pas seulement de jardiner, de reverdir l’établissement ou de construire des brise-vent autour des maisons des enseignants. L’enseignement permet d’aborder plusieurs aspects : la collecte des eaux, l’amélioration de la santé et de la nutrition, la production de revenus pour l’école. Il s’étend par-delà l’école aux villages voisins et aux familles qui profitent de ce qu’apprennent leurs enfants. Certes, les parents résistent aux idées nouvelles. Comme les techniciens agricoles, ils s’appuient sur ce qu’ils ont appris quand ils étaient jeunes. Les enfants, eux, sont plus maléables et dynamiques. C’est essentiel, car ce sont eux les paysans de demain. À chacun son plan Des représentants d’élèves, de parents d’élèves et des enseignants suivent un stage d’une semaine organisé par SCOPE. Ce stage les initie à la conception d’un plan intégré d’utilisation du terroir. Les enseignants formés discutent ensuite avec les autres élèves, parents et enseignants d’un projet global pour l’école. Un plan intégré d’utilisation du terroir est alors réalisé après une analyse collective de la situation qui permet notamment d’identifier les problèmes principaux et les ressources mobilisables. Nous n’avons donc pas de plan prédéterminé : chaque école a le sien, bâti sur une analyse spécifique à son contexte. Nous demandons ensuite au groupe parents-élèves-enseignants comment il souhaiterait voir l’école dans vingt ans. Cela permet d’avoir une vision générale de leurs intérêts et de leurs attentes. Certains veulent des fruits, d’autres un jardin, une école plus ombragée ou simplement plus jolie. Nous dessinons un plan et nous élaborons ensemble le programme concret des tâches à remplir et des missions à affecter à telle ou telle classe, avec les délais de réalisation. Nous définissons aussi les contributions des parents et du personnel de l’école. Les parents peuvent, par exemple, fournir des plants, apprendre ce qui est enseigné à leurs enfants et le mettre en pratique. En quelques années, les réalisations peuvent être spectaculaires et les différences sont visibles d’une école à l’autre. École ou ' République bananière ' ? À Bindura, l’école publique Chireka est maintenant surnommée ' République bananière ', parce qu’elle est presque cachée par une plantation de bananiers. Les bananes sont vendues aux enfants pendant les récréations, bien moins cher qu’au marché. À Rufa, l’école secondaire Saint-Vincent s’est concentrée sur les plantes et arbustes à fleurs. Le programme marche bien et 54 écoles — neuf dans chaque province — y participent maintenant. Depuis 1997, nous sommes soutenus par le ministère de l’Éducation qui choisit les écoles et les enseignants et facilite la recherche de fonds. Cet appui du gouvernement est essentiel, car il devrait permettre de modifier les manuels d’enseignement et d’élaborer des examens adaptés. Mais rien n’est encore acquis. Certains enseignants ont du mal à traiter à la fois de l’agriculture biologique et de l’agriculture conventionnelle. Je crois que la bonne méthode consiste à essayer les deux et à laisser les élèves comparer. Il y a plus délicat encore. Les parents reçoivent, en effet, des messages différents : ceux de l’agriculture biologique, via l’école des enfants, et ceux de l’agriculture conventionnelle, via le technicien agricole dont les paysans dépendent beaucoup, pour obtenir des certificats, par exemple. Les sociétés agro-chimiques soutiennent financièrement l’éducation et la vulgarisation agricoles. Pour notre part, nous avons d’autres objectifs. Nous souhaitons appliquer notre programme dans une école primaire et une école secondaire de chacun des 63 districts. Nous souhaitons aussi inclure la formation à la permaculture dans les écoles d’agriculture et les établissements où sont formés les futurs professeurs et techniciens. Le programme peut également être mis en œuvre dans d’autres pays comme nous l’avons expliqué lors d’un séminaire de trois semaines en Zambie où nous envisageons une initiative similaire. [caption] Mugove Walter Nyika est coordinateur de SCOPE, le Programme de permaculture pour les écoles et les collèges de l’Institut de permaculture du Zimbabwe (ZIP). Ce géographe de formation a abandonné l’enseignement après avoir pris conscience que la permaculture — ou agriculture permanente — était une alternative intéressante à l’agriculture conventionnelle. Science de la gestion des milieux, la permaculture permet de comprendre les interactions de nombreux systèmes vivants et de les utiliser en respectant leurs équilibres. Les opinions exprimées dans ce Point de vue sont celles de l’auteur, et ne reflètent pas nécessairement les idées du CTA.
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Ils peuvent être indifféremment professeurs de sciences, d’anglais ou de mathématiques, mais nous tenons à ce qu’ils intègrent l’agriculture dans leur enseignement. L’école tout entière est concernée. Il ne s’agit pas seulement de jardiner, de reverdir l’établissement ou de construire des brise-vent autour des maisons des enseignants. L’enseignement permet d’aborder plusieurs aspects : la collecte des eaux, l’amélioration de la santé et de la nutrition, la production de revenus pour l’école. Il s’étend par-delà l’école aux villages voisins et aux familles qui profitent de ce qu’apprennent leurs enfants. Certes, les parents résistent aux idées nouvelles. Comme les techniciens agricoles, ils s’appuient sur ce qu’ils ont appris quand ils étaient jeunes. Les enfants, eux, sont plus maléables et dynamiques. C’est essentiel, car ce sont eux les paysans de demain. À chacun son plan Des représentants d’élèves, de parents d’élèves et des enseignants suivent un stage d’une semaine organisé par SCOPE. Ce stage les initie à la conception d’un plan intégré d’utilisation du terroir. Les enseignants formés discutent ensuite avec les autres élèves, parents et enseignants d’un projet global pour l’école. Un plan intégré d’utilisation du terroir est alors réalisé après une analyse collective de la situation qui permet notamment d’identifier les problèmes principaux et les ressources mobilisables. Nous n’avons donc pas de plan prédéterminé : chaque école a le sien, bâti sur une analyse spécifique à son contexte. Nous demandons ensuite au groupe parents-élèves-enseignants comment il souhaiterait voir l’école dans vingt ans. Cela permet d’avoir une vision générale de leurs intérêts et de leurs attentes. Certains veulent des fruits, d’autres un jardin, une école plus ombragée ou simplement plus jolie. Nous dessinons un plan et nous élaborons ensemble le programme concret des tâches à remplir et des missions à affecter à telle ou telle classe, avec les délais de réalisation. Nous définissons aussi les contributions des parents et du personnel de l’école. Les parents peuvent, par exemple, fournir des plants, apprendre ce qui est enseigné à leurs enfants et le mettre en pratique. En quelques années, les réalisations peuvent être spectaculaires et les différences sont visibles d’une école à l’autre. École ou ' République bananière ' ? À Bindura, l’école publique Chireka est maintenant surnommée ' République bananière ', parce qu’elle est presque cachée par une plantation de bananiers. Les bananes sont vendues aux enfants pendant les récréations, bien moins cher qu’au marché. À Rufa, l’école secondaire Saint-Vincent s’est concentrée sur les plantes et arbustes à fleurs. Le programme marche bien et 54 écoles — neuf dans chaque province — y participent maintenant. Depuis 1997, nous sommes soutenus par le ministère de l’Éducation qui choisit les écoles et les enseignants et facilite la recherche de fonds. Cet appui du gouvernement est essentiel, car il devrait permettre de modifier les manuels d’enseignement et d’élaborer des examens adaptés. Mais rien n’est encore acquis. Certains enseignants ont du mal à traiter à la fois de l’agriculture biologique et de l’agriculture conventionnelle. Je crois que la bonne méthode consiste à essayer les deux et à laisser les élèves comparer. Il y a plus délicat encore. Les parents reçoivent, en effet, des messages différents : ceux de l’agriculture biologique, via l’école des enfants, et ceux de l’agriculture conventionnelle, via le technicien agricole dont les paysans dépendent beaucoup, pour obtenir des certificats, par exemple. Les sociétés agro-chimiques soutiennent financièrement l’éducation et la vulgarisation agricoles. Pour notre part, nous avons d’autres objectifs. Nous souhaitons appliquer notre programme dans une école primaire et une école secondaire de chacun des 63 districts. Nous souhaitons aussi inclure la formation à la permaculture dans les écoles d’agriculture et les établissements où sont formés les futurs professeurs et techniciens. Le programme peut également être mis en œuvre dans d’autres pays comme nous l’avons expliqué lors d’un séminaire de trois semaines en Zambie où nous envisageons une initiative similaire. [caption] Mugove Walter Nyika est coordinateur de SCOPE, le Programme de permaculture pour les écoles et les collèges de l’Institut de permaculture du Zimbabwe (ZIP). Ce géographe de formation a abandonné l’enseignement après avoir pris conscience que la permaculture — ou agriculture permanente — était une alternative intéressante à l’agriculture conventionnelle. Science de la gestion des milieux, la permaculture permet de comprendre les interactions de nombreux systèmes vivants et de les utiliser en respectant leurs équilibres. Les opinions exprimées dans ce Point de vue sont celles de l’auteur, et ne reflètent pas nécessairement les idées du CTA. La Save, l’une des plus importantes rivières du Zimbabwe, n’est plus aujourd’hui qu’un fleuve de sable, comme beaucoup de nos cours d’eau. C’est le résultat d’une grave érosion des sols et de la déforestation provoquées par une... 2001 2015-03-26T12:10:43Z 2015-03-26T12:10:43Z News Item Nyika, Mugove Walter. 2001. Apprendre tôt, apprendre juste. Spore 93. CTA, Wageningen, The Netherlands. 1011-0046 https://hdl.handle.net/10568/62692 https://hdl.handle.net/10568/99666 fr Spore;93 Open Access Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation Spore