Tout ce qui brille n’est pas or

Les transferts d’argent des communautés de migrants vers les pays ACP ont été longtemps perçus comme un élément clé de la balance des paiements. Mais combien pèsent-ils ou pourraient-ils peser dans l’agriculture ? Les affiches et les panneaux publicitaires pour les transferts d’argent font désormais partie du paysage urbain et même rural dans la plupart des pays ACP. Les routes de l’aéroport — pas nécessairement les meilleurs indicateurs de la santé financière d’un pays — sont jalonnées de messages affirmant que vous pouvez faire venir de l’argent de n’importe où dans le monde en quinze minutes. Dans les centres d’appel, les télécentres, les boutiques et les cafés des communautés de migrants en Europe, en Amérique du Nord et au Japon, les banques incitent les clients à envoyer de l’argent chez eux, au pays. Une autre manière de rappeler que la division internationale du travail existe bel et bien. Ces transferts sont de l’ordre de mille francs ou de quelques centaines de dollars. Ils ont été soigneusement épargnés pendant le mois pour être partagés avec la famille restée au pays, déduction faite des frais bancaires, à des taux souvent usuraires. Quel impact ont-ils réellement sur le développement d’un pays ? Ces 'fonds de migrants', comme les spécialistes de l’économie et du fisc les appellent, en sont venus à occuper une place à part dans les flux financiers internationaux. . Le poids de l’argent de l’émigration Ils sont désormais inclus dans les statistiques internationales de l’Organisation pour la coopération économique et le développement (OCDE), qui observe les flux de capitaux du Nord vers le Sud (mais pas dans l’autre sens). Plus précisément, l’OCDE mesure les flux financiers de l’Europe de l’Ouest, d’Amérique du Nord, du Japon, de la Corée, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande vers les pays en développement. Pendant les années 70 et 80, l’aide officielle au développement constituait la plus grande part de ces flux auxquels l’OCDE ajoutait les montants relativement importants transférés par les organisations non gouvernementales. Au début des années 90, en raison des restrictions des budgets d’aide et d’une augmentation des investissements privés, la majeure partie de ces flux correspondait à des capitaux privés, dont 15 % étaient des fonds de migrants. Le montant total des transferts de migrants vers les pays ACP est estimé à plus de 25 milliards de $ US par an ( 27 milliards). Ils proviennent principalement d’Europe de l’Ouest (vers l’Afrique) et d’Amérique du Nord (vers les Caraïbes et les pays ACP d’Amérique). On note aussi des flux intrarégionaux importants, du Gabon vers des pays ouest-africains ou de l’Afrique du Sud vers le Mozambique entre autres. Des dispositions récentes à l’encontre du travail des migrants dans certains de ces pays ont fortement réduit ces transferts régionaux. On observe des transferts similaires vers l’Afrique du Nord, l’Asie du Sud et de l’Est (principalement en provenance des pays du Golfe), et l’Amérique centrale et du Sud (en provenance de l’Amérique du Nord). . Investir dans la sécurité alimentaire Dans certains pays ACP, l’argent des migrants permet de maintenir l’économie à flot. Le cas de l’archipel du Cap-Vert dans l’océan Atlantique est le plus connu. Là, il constitue entre 25 et 30 % du produit national brut, selon des rapports sur le phénomène Nos ku Nos (entraide mutuelle) de la diaspora capverdienne, établie principalement dans l’État du Massachusetts (USA), dans la province de Zuid Holland (Pays-Bas), au Portugal et au Brésil. Une étude du Smithsonian Institute (USA) évoque 'la différence proverbiale entre une carta de amor, ou lettre d’amour, dans laquelle l’expéditeur a glissé quelques dollars en plus des bonnes nouvelles et des photos, et une carta sec, ou lettre sèche, qui ne contient pas d’argent'. Même scénario dans les îles du Pacifique et des Caraïbes, où les envois de fonds représentent au moins le quart du produit national. Max Blanchet, migrant et fin observateur de son Haïti natale, écrivait : 'Pour ce que j’en sais, sans les envois de fonds de la diaspora haïtienne, la République aurait sombré depuis longtemps dans la mer des Caraïbes.' Quand la majeure partie de leur population vit à l’étranger, les États comme Barbuda et Anguilla sont très dépendants de ces envois de fonds. Ils en paient d’ailleurs le prix, car une émigration massive peut élever le niveau de vie d’un pays tout en minant son économie. 'L’emploi diminue, les champs sont livrés au bétail et aux cocotiers, les labours cèdent la place aux pâturages, et la brousse regagne les pâturages' : c’est une des images d’Anguilla. Les fonds de migrants ont un potentiel d’investissement énorme, et des mesures sont prises pour les encourager. Selon l’International Finance Corporation, connue de tous comme la 'banque de la Banque Mondiale', 'en Érythrée, le secteur des services représente 60 % du produit national brut et jouera un rôle économique majeur. Les sous-secteurs appelés à se développer rapidement sont le commerce de gros et de détail, les transports, les communications, la construction et les services financiers. Ils sont alimentés par les fonds des expatriés.' Dans la Somalie voisine, le tableau des investissements est moins rose : 'Les envois de fonds sont 10 fois supérieurs à ceux de l’aide internationale au développement. Ils sont estimés à 150 millions de $ US par an (t 162 millions), mais ils ne sont pas conservés et le capital d’investissement continue à faire défaut.' Investis ou non, peu de fonds vont vers l’agriculture familiale. En Europe de l’Ouest, on a fait grand cas des fonds provenant, par exemple, de communautés d’émigrés de la région parisienne qui financent des projets d’irrigation villageoise au Mali, au Sénégal ou au Burkina Faso. On a aussi parlé de communautés qui, de Londres, financent des projets de transformation agroalimentaire au Ghana. Mais en réalité, au-delà du battage médiatique autour de ces micro-initiatives, il ne reste pas grand-chose en termes de bénéfices. Ces fonds servent souvent à couvrir des pertes d’exploitation ou des besoins en trésorerie plutôt qu’à des investissements productifs. Le temps est peut-être venu, pour les projets de développement, de mieux se faire connaître — en clair, de mieux 'se vendre' — auprès des communautés de la diaspora. Pourquoi pas rechercher des fonds non seulement au nom d’une solidarité moralement correcte, mais aussi en termes d’opportunités d’investissement pour le bénéfice, non négligeable et tout aussi correct, de la sécurité alimentaire ? Et où mieux commencer, sinon auprès des compatriotes ?

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 2001
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/62524
https://hdl.handle.net/10568/99664
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