L'information, levier du développement

La transition libérale provoque aujourd'hui, dans les pays ACP comme à l'échelle mondiale, une redistribution rapide des responsabilités d'entreprise au profit du secteur privé. Ainsi dégagé de la gestion directe des activités économiques, l'Etat retrouve ses fonctions d'orientation et d'arbitrage qu'il exerce en particulier par la définition de politiques sectorielles. Dans ce contexte, la croissance économique découle directement du développement d'une multitude d'initiatives décentralisées, bien souvent d'origine individuelle. Dès lors et parce qu'elle est le ferment de toute démarche d'entreprise, l'information constitue un puissant levier de développement. Mais l'information nécessaire est complexe - économique, sociale, technique et sa production autant que sa mobilisation requièrent l'intervention d'acteurs très divers. D'où nécessité d'un grand engagement politique. Comment renforcer la capacité des paysans pour la définition de leurs stratégies de développement sans nourrir leur réflexion à travers l'information ? » L'interrogation du Camerounais Bernard Njonga, ingénieur agronome et membre fondateur du Service d'appui aux initiatives locales de développement (SAILD), place d'emblée l'information parmi les ressources de première nécessité pour le développement rural. Et la question vaut pour toutes les activités de la vie économique et sociale aussi bien que pour les producteurs. Pourquoi, avant même de se préoccuper de techniques ou de crédit pour investir, les ruraux haïtiens auraient-ils seulement l'idée de produire des jus de fruits pasteurisés tant qu'ils ignorent que leurs concitoyens urbains en consomment de grandes quantités, importées à grands frais ? Caricaturales comme e sont par nature les exemples, ces deux situations rapportées dans la précédente livraison de Spore (n’61, p. 7 et 6), confortent néanmoins les conclusions des plus récentes études conduites sur le secteur de l'information pour le développement rural, en particulier les travaux de la conférence « Montpellier II », réunie en juin 1995 par le CTA. Diffuser l'offre ou satisfaire la demande ? Dix ans après Montpellier l'information et les produits d'information existent en abondance mais viennent toujours, pour l'essentiel, du Nord et traitent surtout de thèmes techniques, depuis les résultats scientifiques jusqu'aux technologies dites appropriées. Plus de quatre mille ouvrages techniques, produits pour le développement des pays ACP par des organisations de développement, des centres de recherche ou des ONG de l'Union européenne, sont ainsi disponibles et on dénombre plus de cinq cents publications régulières. Conçus à partir de l'offre, pour « mettre à disposition » et diffuser des connaissances techniques élaborées le plus souvent par le Nord, les systèmes d'information mis en place dans les pays ACP ont longtemps privilégié les groupes cibles tels que planificateurs, chercheurs et vulgarisateurs, chargés d'en assurer la transmission à la base, jusqu'au niveau de l'utilisateur final, en général le paysan. Ces démarches d'inspiration formatrice ont rencontré les mêmes limites que les stratégies de développement fortement encadré, administré d'en haut par l'Etat, avec lesquelles elles étaient cohérentes. Une difficulté que le Sénégalais Raphaël Ndiaye (Enda) résumait sur le registre de l'humour lors de la conférence de Montpellier en rappelant que les groupes cibles sont difficiles à atteindre parce qu'ils bougent et que « s'ils bougent, c'est justement pour échapper à ceux qui les visent ». Et force est bien de constater, dans le même temps, que les initiatives villageoises pour accéder à l'information ont le plus grand mal à aboutir lorsqu'elles ne rencontrent pas les relais nécessaires au niveau local. Pour Félix Nadiedjoa, de l'Institut africain pour le développement économique et social, à Abidjan, cette surdité relative des systèmes de diffusion de l'information à l'égard de la demande réelle « de ceux qui transforment l'information en action » impose aujourd'hui une «rupture » vers une conception plus dynamique : « Il n'est plus question d'offre. Il ne faut plus offrir, il faut satisfaire la demande. Ayons le courage de faire la rupture, d'aller à la base. Les demandes doivent venir des organisations paysannes qui sécrètent leurs règles de gestion et doivent nous éclairer ». S'il est ainsi bien admis qu'on ne peut plus guère prétendre à l'efficacité en parlant de bénéficiaires passifs ou de groupes cibles des politiques d'information, il convient à présent de raisonner en termes de partenaires actifs, certes demandeurs mais également détenteurs d'informations. Ainsi en va-til, par exemple, des savoir paysans, auxquels s'attachent aujourd'hui nombre de chercheurs, ou des données économiques des marchés sans lesquelles les commerçants - qui les entourent d'ailleurs de la plus grande discrétion - ne sauraient conduire leurs affaires. On ne peut donc plus, comme le souligne le Nigerian Tunji Titiola (African resource center for indigenous knowledge), « parler uniquement de paysans mais du monde rural en général, qui comporte des personnes et des métiers différents », étant entendu que les producteurs sont eux-mêmes forts divers. L'agriculture va de la cueillette à l'agrobusiness », si bien, selon Raphaël Ndiaye, que « certains, dont il faut à présent tenir compte, ont été négligés pendant dix ans. Il faut raisonner en terme d'accès démocratique à l'information. Pour les uns, l'approche village ou famille peut être plus pertinente que l'approche paysan alors qu'ailleurs, il faut une approche exploitation agricole, ou fermier », tant il est vrai, par exemple au Kenya, que les trois mille gros exploitants et les trois millions de petits paysans du pays n'ont ni les mêmes besoins ni les mêmes comportements vis-à-vis de l'information. Le technique dans le champ du global S'il est difficile, du fait même de leur diversité, de cerner la nature des besoins réels d'information, l'analyse des demandes adressées aux services de questions/ réponses mis en place par de nombreuses institutions européennes fournit cependant de précieuses indications. Plus de la moitié des demandes reçues par les services généralistes qui traitent toutes sortes de sujets - gestion, énergie, approvisionnement en eau, industrie, construction..concernent l'agriculture. Mais de techniques, les demandes deviennent de plus en plus technico-économiques, voire économiques, portant davantage sur le crédit rural, le développement des micro entreprises, les techniques de vente, l'organisation et la gestion de groupes ou de coopératives agricoles... Tels qu'ils apparaissent à travers ces demandes effectivement formulées, les besoins d'informations pour le développement débordent largement les aspects purement scientifiques et techniques pour embrasser le champ beaucoup plus large des connaissances et des données nécessaires à l'émergence et à l'activité des entreprises. De plus, par leur incidence sur le niveau de vie des populations, des secteurs comme l'éducation et la santé contribuent au développement au même titre que la seule croissance des productions. Sans doute ce glissement sensible de la demande vers une conception plus ouverte de l'information ne traduit-il aucune désaffection pour les aspects techniques. Des thèmes nouveaux apparaissent d'ailleurs dans ce domaine comme l'emploi des énergies renouvelables pour la production, l'utilisation des sous-produits de l'agriculture ou les méthodes de production respectueuses de l'environnement. Mais en adoptant, de plus en plus, des approches socio-économiques, la recherche agronomique pour le développement intègre elle-même aujourd'hui le fait que les connaissances, les savoir-faire et les itinéraires techniques qu'elle produit n'ont de valeur opérationnelle qu'en fonction du contexte économique et organisationnel dans lequel les acteurs peuvent - ou ne peuvent pas, pour toutes sortes de raisons - les exploiter. De la même façon que l'ère du « paquet technique » confié à la vulgarisation semble bien révolue, les stratégies d'information doivent à présent être conduites par une ambition plus globale, permettant aux données de nature économique, notamment sur les débouchés et les modes d'accès aux marchés, de rendre leur sens aux informations techniques. L'implication nécessaire des acteurs Hormis les activités et les cultures d'exportation qui restent très dépendantes de marchés lointains, le développement rural a d'abord besoin d'information sur les expériences conduites aux échelles locale et nationale. L'organisation d'une mini filière lait autour d'une ville de province, au Mali, pourra ainsi, dès lors qu'elle sera connue ailleurs, avoir valeur d'exemple et son échelle géographique qui la rend directement accessible aux acteurs locaux permettra de la reproduire en de multiples endroits. De même, la connaissance quasi immédiate des demandes précises et des prix sur les marchés des villes n'est pas étrangère au développement des productions maraîchères périurbaines même si les « ceintures vertes » bénéficient aussi, du fait de la proximité, de conditions très favorables pour le transport de produits frais. S'ils ne changent rien aux coûts des transports, les systèmes d'information de marchés peuvent cependant fort bien diffuser largement ces données dans les zones rurales en utilisant les médias, en particulier les radios locales. Destinée à stimuler les activités en éclairant les décisions des acteurs, l'information économique doit avant tout être fiable, mise à jour - notamment pour suivre les fluctuations des cours - et disponible à temps. Une des difficultés majeures des approches structurées, indispensables en la matière, tient précisément au fait que ces données représentent, en économie ouverte, une ressource stratégique de première importance pour les opérateurs qui les détiennent et n'ont, a priori, guère d'intérêt à les partager. Les rencontres, le dialogue, les débats entre les acteurs doivent jouer là un rôle de premier plan au service du développement. Ces processus de communication directe doivent être favorisés à tous les niveaux, du local au régional, pour que les opérateurs des filières deviennent eux-mêmes producteurs d'informations, au sein d'interprofessions, de la même manière que la population rurale l'est aujourd'hui, par l'intermédiaire de ses associations et groupements professionnels. (Voir encadré : Quand le dialogue des acteurs structure le développement) De la base rurale vers l'international Pertinente pour la définition de politiques d'information dont le contexte de libéralisation économique fait une priorité, l'échelle nationale s'impose à l'action d'institutions qui, comme le CTA, interviennent en appui à la mise en place des stratégies de communication. Le souci d'efficacité plaide ici pour la décentralisation et la création de produits diversifiés et de services locaux travaillant en relation étroite avec les médias tels que radios et journaux communautaires. Par les relations directes et les contacts constants qu'il autorise avec les organisations rurales et les structures de communication, publiques ou privées, aussi bien qu'avec les services d'appui au développement, le niveau local invite à la redéfinition du rôle des centres et des professionnels de la documentation. L'accès aux grandes banques de données et aux documents de référence reste indispensable. Mais la proximité permet, par exemple, aux documentalistes d'adopter une démarche active vers leur environnement et d'infléchir leurs activités vers l'animation et la communication plutôt que vers le seul stockage ou le traitement d'informations venues d'ailleurs. Le retour qu'ils en obtiendront leur permettra en particulier de construire leurs propres banques d'informations en fonction des attentes des utilisateurs. Cette mutation du métier de documentaliste vers des fonctions de communication et de gestion dynamique de l'information suppose des formations spécifiques, notamment pour l'analyse des besoins d'information. En remontant de la base - rurale ou urbaine -, où se trouvent les demandes à satisfaire, vers le niveau national, le système doit aménager toutes les connexions possibles avec les médias et les professionnels nationaux de l'édition pour lesquelles l'émergence d'un secteur commercial a grand besoin d'être soutenu. Il convient à ce propos de noter qu'aujourd'hui, comme le souligne Paul Osborn (le médiateur, Pays-Bas), « les programmes d'aide à l'édition concernent en premier chef les éditeurs européens [qui] disposent déjà, par rapport à leurs homologues du Sud, de nombreux avantages comparatifs ». A l'échelle régionale, les coopérations entre acteurs et systèmes nationaux d'information trouveront appui sur les organisations régionales existantes et sur les Comités régionaux d'évaluation, de programmation et de suivi (CREPS) créés en coopération avec le CTA. Le secteur de la communication n'est certes pas le seul à intervenir dans la dynamisation des processus d'entreprise. L'absence de méthodologie de mesure directe conduit cependant les stratégies de développement des pays ACP à en sous-estimer l'incidence. Au-delà de la seule publicité, les grandes firmes mondiales les mieux gérées consacrent aujourd'hui une part très significative de leurs moyens à la collecte et à la circulation de l'information. La mobilisation de leurs ressources humaines, en particulier, est à ce prix. Le parallèle serait sans doute hasardeux. Mais comment les pays ACP pourrissements dynamiser leur développement sans tout faire pour mobiliser leurs ressources humaines ?

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1996
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/61218
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