Les ruraux ont des oreilles, mais il faut aussi écouter leurs voix

«La radio rurale s'apprend sur le terrain, pas au bureau ni à l'école». Seydou Drame, animateur de la Radio Rurale du Burkina Faso, ne renie pourtant pas, loin de là, l'enseignement qu'il a reçu . Mais ses études lui ont justement donné les moyens de comprendre, plus tard, que les paysans, trop souvent considérés comme de élèves, sont aussi d'excellents maîtres. Les radio-clubs burkinabé, créés en 1975, sont morts en 1983. Beaucoup le regrettent et y voient la disparition d'une formule originale de vulgarisation communautaire, l'échec d'une belle idée. Je ne fais pas partie de ces nostalgiques. Au contraire, pour moi, la fin des radio-clubs est tout aussi heureuse et naturelle que la chute d'un fruit mûr. Ils ont disparu parce qu'ils avaient réussi leur mission. Un peu d'histoire permet de le comprendre facilement. Au moment où, au plus fort de la sécheresse, il fallait donner un sérieux coup de fouet à l'agriculture du pays, les autorités ont décidé, à travers la radio, de dispenser aux paysans l'éducation qui leur faisait défaut. Les émissions «radio-clubs» ont joué le rôle de formation professionnelle, les paysans celui des élèves attentifs et les animateurs faisaient les «maîtres» relayés pour les écoutes collectives par les encadreurs. Presque exclusivement destinés aux producteurs de coton, les thèmes de vulgarisation (travail en ligne, fumure, traitement, récolte, stockage, etc.) sont tellement bien passés que les paysans ont amélioré leurs rendements et, cours mondiaux aidant, ils se sont enrichis. L'achat d'une radio a fait partie des premiers signes extérieurs de richesse et leur réussite a finalement fait éclater ces salles de classe hertziennes. Mais ce n'est pas parce que le paysan n'appartient plus à un club d'écoute qu'il est devenu sourd aux conseils des services agricoles. C'est maintenant à la radio de chercher les voies nouvelles pour faire passer le message à travers des formes d'écoute plus individualistes. S'ADAPTER AUX NOUVELLES FORMES D'ÉCOUTE Chez nous, le jeudi est le jour des ruraux à la radio. Le paysan Burkinabé part au champ avec sa houe, son eau et sa radio sur son vélo. Pendant qu'il travaillera, la radio lui tiendra compagnie, de sillon en sillon. Il n'entendra pas tout et c'est à nous, les animateurs, de l'interpeller. Nous devons d'autant plus faire un effort qu'avec leur autonomie d'écoute, ils ont aussi le choix des stations. Si nous les ennuyons, ils tourneront le bouton pour passer sur radio-Mali, radio-Bénin ou Africa numéro un. La radio autoritaire, c'est fini. C'est désormais un moyen de communication au sens où on l'entend partout ailleurs dans le monde. A nous d'en tenir compte en étant moins rébarbatifs, plus créatifs. Ils veulent de la musique, des sons de chez eux, des reportages vivants, des informations vraies, des conseils fondés sur une connaissance du terrain qu'ils savent bien reconnaître. Cela demande aux animateurs une formation bien plus complète qu'à l'époque où il suffisait de lire des communiqués des services agricoles. Cette liberté de choix a aussi ouvert l'esprit des paysans sur le monde qui les entoure. L'univers ne s'arrête plus à la dernière case du village. Un paysan du Yatenga sait que d'autres paysans vivent dans des pays où il pleut toujours. La radio est son oreille tendue sur l'extérieur et nous devons saisir cette opportunité pour lui faire entendre des messages d'ailleurs, même des pays d'Europe si, là-bas, quelqu'un peut lui dire des choses utiles dans un langage accessible. En droite ligne de cette évolution, le Burkina Faso vient de se lancer dans le développement des radios «locales», animées par des gens du terroir. Après la liberté d'écouter, les paysans ont acquis celle de parler. Cet espace d'expression, ils l'ont totalement saisi, reconstituant, par la voie des ondes, les arbres à palabres traditionnels. Les développeurs ont compris depuis longtemps maintenant l'utilité de la coopération Sud-Sud. En matière de radio, nous suivons le même chemin en découvrant l'efficacité de la communication paysan-paysan. On pourrait croire, à première vue, que l'appropriation par les ruraux de ce moyen de communication exclut l'intervention extérieure. Au contraire, c'est pour les journalistes des radios rurales une formidable occasion de mieux comprendre la logique des paysans et la nature de leurs besoins en information. Il nous appartient de nous insérer judicieusement dans cette palabre populaire. Pourquoi nous plaindre des évolutions que nous avons nous-mêmes provoquées ? Pourquoi craindre qu'après avoir banalisé les récepteurs, nos auditeurs veuillent conquérir les émetteurs ? Encore une fois, nous devrons nous adapter, parler autrement à ce public que, je crois pouvoir dire, nous avons largement contribué à faire évoluer. Et puis, cette parole paysanne, pourquoi ne la ferions-nous pas entendre dans les villes ? Les citadins ont au moins autant besoin que les ruraux d'être éduqués. Les opinions émises dans cette tribune libre n'engagent que leurs auteurs. Elles ne sauraient être attribuées au CTA.

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Bibliographic Details
Main Author: Drame, Seydou
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1990
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/59238
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description «La radio rurale s'apprend sur le terrain, pas au bureau ni à l'école». Seydou Drame, animateur de la Radio Rurale du Burkina Faso, ne renie pourtant pas, loin de là, l'enseignement qu'il a reçu . Mais ses études lui ont justement donné les moyens de comprendre, plus tard, que les paysans, trop souvent considérés comme de élèves, sont aussi d'excellents maîtres. Les radio-clubs burkinabé, créés en 1975, sont morts en 1983. Beaucoup le regrettent et y voient la disparition d'une formule originale de vulgarisation communautaire, l'échec d'une belle idée. Je ne fais pas partie de ces nostalgiques. Au contraire, pour moi, la fin des radio-clubs est tout aussi heureuse et naturelle que la chute d'un fruit mûr. Ils ont disparu parce qu'ils avaient réussi leur mission. Un peu d'histoire permet de le comprendre facilement. Au moment où, au plus fort de la sécheresse, il fallait donner un sérieux coup de fouet à l'agriculture du pays, les autorités ont décidé, à travers la radio, de dispenser aux paysans l'éducation qui leur faisait défaut. Les émissions «radio-clubs» ont joué le rôle de formation professionnelle, les paysans celui des élèves attentifs et les animateurs faisaient les «maîtres» relayés pour les écoutes collectives par les encadreurs. Presque exclusivement destinés aux producteurs de coton, les thèmes de vulgarisation (travail en ligne, fumure, traitement, récolte, stockage, etc.) sont tellement bien passés que les paysans ont amélioré leurs rendements et, cours mondiaux aidant, ils se sont enrichis. L'achat d'une radio a fait partie des premiers signes extérieurs de richesse et leur réussite a finalement fait éclater ces salles de classe hertziennes. Mais ce n'est pas parce que le paysan n'appartient plus à un club d'écoute qu'il est devenu sourd aux conseils des services agricoles. C'est maintenant à la radio de chercher les voies nouvelles pour faire passer le message à travers des formes d'écoute plus individualistes. S'ADAPTER AUX NOUVELLES FORMES D'ÉCOUTE Chez nous, le jeudi est le jour des ruraux à la radio. Le paysan Burkinabé part au champ avec sa houe, son eau et sa radio sur son vélo. Pendant qu'il travaillera, la radio lui tiendra compagnie, de sillon en sillon. Il n'entendra pas tout et c'est à nous, les animateurs, de l'interpeller. Nous devons d'autant plus faire un effort qu'avec leur autonomie d'écoute, ils ont aussi le choix des stations. Si nous les ennuyons, ils tourneront le bouton pour passer sur radio-Mali, radio-Bénin ou Africa numéro un. La radio autoritaire, c'est fini. C'est désormais un moyen de communication au sens où on l'entend partout ailleurs dans le monde. A nous d'en tenir compte en étant moins rébarbatifs, plus créatifs. Ils veulent de la musique, des sons de chez eux, des reportages vivants, des informations vraies, des conseils fondés sur une connaissance du terrain qu'ils savent bien reconnaître. Cela demande aux animateurs une formation bien plus complète qu'à l'époque où il suffisait de lire des communiqués des services agricoles. Cette liberté de choix a aussi ouvert l'esprit des paysans sur le monde qui les entoure. L'univers ne s'arrête plus à la dernière case du village. Un paysan du Yatenga sait que d'autres paysans vivent dans des pays où il pleut toujours. La radio est son oreille tendue sur l'extérieur et nous devons saisir cette opportunité pour lui faire entendre des messages d'ailleurs, même des pays d'Europe si, là-bas, quelqu'un peut lui dire des choses utiles dans un langage accessible. En droite ligne de cette évolution, le Burkina Faso vient de se lancer dans le développement des radios «locales», animées par des gens du terroir. Après la liberté d'écouter, les paysans ont acquis celle de parler. Cet espace d'expression, ils l'ont totalement saisi, reconstituant, par la voie des ondes, les arbres à palabres traditionnels. Les développeurs ont compris depuis longtemps maintenant l'utilité de la coopération Sud-Sud. En matière de radio, nous suivons le même chemin en découvrant l'efficacité de la communication paysan-paysan. On pourrait croire, à première vue, que l'appropriation par les ruraux de ce moyen de communication exclut l'intervention extérieure. Au contraire, c'est pour les journalistes des radios rurales une formidable occasion de mieux comprendre la logique des paysans et la nature de leurs besoins en information. Il nous appartient de nous insérer judicieusement dans cette palabre populaire. Pourquoi nous plaindre des évolutions que nous avons nous-mêmes provoquées ? Pourquoi craindre qu'après avoir banalisé les récepteurs, nos auditeurs veuillent conquérir les émetteurs ? Encore une fois, nous devrons nous adapter, parler autrement à ce public que, je crois pouvoir dire, nous avons largement contribué à faire évoluer. Et puis, cette parole paysanne, pourquoi ne la ferions-nous pas entendre dans les villes ? Les citadins ont au moins autant besoin que les ruraux d'être éduqués. Les opinions émises dans cette tribune libre n'engagent que leurs auteurs. Elles ne sauraient être attribuées au CTA.
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Au moment où, au plus fort de la sécheresse, il fallait donner un sérieux coup de fouet à l'agriculture du pays, les autorités ont décidé, à travers la radio, de dispenser aux paysans l'éducation qui leur faisait défaut. Les émissions «radio-clubs» ont joué le rôle de formation professionnelle, les paysans celui des élèves attentifs et les animateurs faisaient les «maîtres» relayés pour les écoutes collectives par les encadreurs. Presque exclusivement destinés aux producteurs de coton, les thèmes de vulgarisation (travail en ligne, fumure, traitement, récolte, stockage, etc.) sont tellement bien passés que les paysans ont amélioré leurs rendements et, cours mondiaux aidant, ils se sont enrichis. L'achat d'une radio a fait partie des premiers signes extérieurs de richesse et leur réussite a finalement fait éclater ces salles de classe hertziennes. Mais ce n'est pas parce que le paysan n'appartient plus à un club d'écoute qu'il est devenu sourd aux conseils des services agricoles. C'est maintenant à la radio de chercher les voies nouvelles pour faire passer le message à travers des formes d'écoute plus individualistes. S'ADAPTER AUX NOUVELLES FORMES D'ÉCOUTE Chez nous, le jeudi est le jour des ruraux à la radio. Le paysan Burkinabé part au champ avec sa houe, son eau et sa radio sur son vélo. Pendant qu'il travaillera, la radio lui tiendra compagnie, de sillon en sillon. Il n'entendra pas tout et c'est à nous, les animateurs, de l'interpeller. Nous devons d'autant plus faire un effort qu'avec leur autonomie d'écoute, ils ont aussi le choix des stations. Si nous les ennuyons, ils tourneront le bouton pour passer sur radio-Mali, radio-Bénin ou Africa numéro un. La radio autoritaire, c'est fini. C'est désormais un moyen de communication au sens où on l'entend partout ailleurs dans le monde. A nous d'en tenir compte en étant moins rébarbatifs, plus créatifs. Ils veulent de la musique, des sons de chez eux, des reportages vivants, des informations vraies, des conseils fondés sur une connaissance du terrain qu'ils savent bien reconnaître. Cela demande aux animateurs une formation bien plus complète qu'à l'époque où il suffisait de lire des communiqués des services agricoles. Cette liberté de choix a aussi ouvert l'esprit des paysans sur le monde qui les entoure. L'univers ne s'arrête plus à la dernière case du village. Un paysan du Yatenga sait que d'autres paysans vivent dans des pays où il pleut toujours. La radio est son oreille tendue sur l'extérieur et nous devons saisir cette opportunité pour lui faire entendre des messages d'ailleurs, même des pays d'Europe si, là-bas, quelqu'un peut lui dire des choses utiles dans un langage accessible. En droite ligne de cette évolution, le Burkina Faso vient de se lancer dans le développement des radios «locales», animées par des gens du terroir. Après la liberté d'écouter, les paysans ont acquis celle de parler. Cet espace d'expression, ils l'ont totalement saisi, reconstituant, par la voie des ondes, les arbres à palabres traditionnels. Les développeurs ont compris depuis longtemps maintenant l'utilité de la coopération Sud-Sud. En matière de radio, nous suivons le même chemin en découvrant l'efficacité de la communication paysan-paysan. On pourrait croire, à première vue, que l'appropriation par les ruraux de ce moyen de communication exclut l'intervention extérieure. Au contraire, c'est pour les journalistes des radios rurales une formidable occasion de mieux comprendre la logique des paysans et la nature de leurs besoins en information. Il nous appartient de nous insérer judicieusement dans cette palabre populaire. Pourquoi nous plaindre des évolutions que nous avons nous-mêmes provoquées ? Pourquoi craindre qu'après avoir banalisé les récepteurs, nos auditeurs veuillent conquérir les émetteurs ? Encore une fois, nous devrons nous adapter, parler autrement à ce public que, je crois pouvoir dire, nous avons largement contribué à faire évoluer. Et puis, cette parole paysanne, pourquoi ne la ferions-nous pas entendre dans les villes ? Les citadins ont au moins autant besoin que les ruraux d'être éduqués. Les opinions émises dans cette tribune libre n'engagent que leurs auteurs. Elles ne sauraient être attribuées au CTA. «La radio rurale s'apprend sur le terrain, pas au bureau ni à l'école». Seydou Drame, animateur de la Radio Rurale du Burkina Faso, ne renie pourtant pas, loin de là, l'enseignement qu'il a reçu . Mais ses études lui ont justement donné les... 1990 2015-03-19T13:49:50Z 2015-03-19T13:49:50Z News Item Drame, Seydou. 1990. Les ruraux ont des oreilles, mais il faut aussi écouter leurs voix. Spore 25. CTA, Wageningen, The Netherlands. 1011-0046 https://hdl.handle.net/10568/59238 fr Spore Limited Access Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation Spore