LES LEGUMES ONT LA COTE

Cantonnées jusqu'alors aux abords des villes et dans quelques rares villages spécialisés, les cultures maraîchères ont suscité, ces dernières années, un vif engouement dans le monde rural. Cependant, le développement important de la production de légumes essentiellement destinés à la vente risque d'être remis en question si les débouchés n'augmentent pas. Pour ne pas décourager les producteurs, des solutions tant agronomiques qu économiques doivent être trouvées. Le succès des cultures maraîchères repose principalement sur le dynamisme des agriculteurs, très nombreux depuis quelques années, à avoir adopté cette spéculation, nouvelle pour eux. Des systèmes de production variés, des objectifs différents et des résultats inégaux rendent difficile une approche globale de la situation. On constate cependant que si, dans les villes, la production de légumes vise à satisfaire une demande des consommateurs encore très importante, dans les zones rurales elle répond plutôt aux objectifs des producteurs eux-mêmes. Cultures urbaines par excellence produisant beaucoup sur de petites surfaces, les cultures maraîchères ont conquis toutes les villes africaines. Utilisant les gadoues pour faire du compost ou les eaux usées pour l'arrosage, elles occupent au sein même des villes toutes les parcelles de terrain laissées libres par les constructions. Mais, chassés petit à petit par l'urbanisation croissante, les producteurs gagnent maintenant la périphérie des villes et des zones plus éloignées. Les maraîchers très nombreux exploitent de petits jardins de quelques mètres carrés à quelques ares où ils pratiquent une agriculture manuelle exigeante en soins et en main d'oeuvre. A Kinshasa, on a ainsi recensé plus de 6 000 maraîchers qui approvisionnent l'agglomération et les villes environnantes. Ces producteurs sont très divers femmes désireuses d'avoir leur indépendance financière, fonctionnaires qui cherchent à compléter leur salaire, jeunes attirés par cette agriculture « moderne », chômeurs ...Mais de plus en plus, les hommes en font un métier à part entière car le maraîchage intensif s'avère très lucratif. Ils se spécialisent dans les légumes de type européen (pommes de terre, choux, tomates grosses et fermes, carottes, courgettes...) laissant aux femmes la culture des légumes africains. Malgré le développement spectaculaire du maraîchage urbain et périurbain, l'approvisionnement des villes reste généralement insuffisant. A Brazzaville, sur les 18 000 t de légumes consommés chaque année, seules 3 000 t sont produites sur place. Des projets comme Agri-congo s'efforcent de moderniser et d'accroître la production autour des villes. En zone rurale, chaque famille a toujours cultivé « les ingrédients pour la sauce ». Ces légumes locaux variés (gombos, piments, tomates, légumes feuilles...) sont produits dans de petits jardins de case ou, pour les zones plus humides, dans les champs vivriers en association avec d'autres plantes. En revanche, ce qui est nouveau, c'est l'arrivée dans les campagnes des maraîchages de « rente » dont les produits, choisis en fonction du marché des villes, sont destinés à l'« exportation » hors du village. L'argent sert alors généralement à acheter des céréales pour assurer la sécurité alimentaire. Permettre la survie et limiter l'émigration vers les villes, c'est aussi l'objectif que leur assignaient les ONG et certains gouvernements (voir Spore n02). Ces cultures maraîchères ont reçu un accueil d'autant plus favorable qu'elles ne viennent pas en concurrence avec la production céréalière, toujours prioritaire. Praticables hors saison, elles utilisent une main d'oeuvre alors désoeuvrée et des terres inutilisées. De plus, s'ils demandent des soins attentifs, les potagers n'exigent ni matériels coûteux, ni connaissances techniques particulières pour réussir. Ces cultures se sont donc rapidement développées dans les régions sahéliennes fortement éprouvées par la sécheresse, mais aussi dans les zones plus humides où le maraîchage constitue un appoint monétaire important. Les superficies maraîchères ont beaucoup augmenté. Des jardins collectifs sont apparus autour des puits et les légumes occupent une place croissante dans les périmètres irrigués. Les terres autrefois délaissées - comme les bas-fonds irrigables ou les zones sableuses impropres à la culture des céréales - sont mises en culture. Les méthodes de culture s'intensifient : l'entretien est plus soigné, les engrais verts font leur apparition, ainsi que les cultures et les semences sélectionnées de légumes étrangers. L’Enthousiasme CACHE LES PROBLEMES L'enthousiasme des agriculteurs, soutenu par les organisations gouvernementales ou non, a caché durant les premières années les difficultés inhérentes à ces productions. La multiplication des projets dans toute l'Afrique subsaharienne a un peu fait oublier que pour être renta ble, une culture doit non seulement bien produire mais aussi bien se vendre. Or, rien ou presque rien n'a été organisé pour assurer la production et la commercialisation de ces légumes. La fourniture régulière d'intrants n'est pas assurée. Ainsi, l'approvisionnement en semences est souvent difficile. Les semences sélectionnées de légumes étrangers sont rarement produites localement. Les importations sont insuffisantes ou n'arrivent pas en temps utile, surtout dans les zones les plus reculées. L'envoi de variétés hybrides non fixées rend, de plus, leur multiplication sur place impossible. Ce problème est particulièrement crucial pour la pomme de terre dont la culture prend de l'expansion. La production de semence aux est impossible car les tubercules se conservent mal. Ils viennent donc d'Europe mais arrivent souvent trop tard. L'organisation de la production semencière est un des points primordiaux à résoudre pour accroître encore la production maraîchère. En outre, le matériel végétal n'est pas toujours adapté aux conditions climatiques ou aux méthodes de culture. Les variétés améliorées sont plus sensibles au manque d'eau et aux parasites. Enfin, il est regrettable que peu de travaux soient faits sur les légumes locaux plus résistants et qui poussent aussi en saison chaude et humide. Ces cultures nécessitent aussi des traitements phytosanitaires, d'autant plus importants que ces plantes, les seules à rester vertes durant la saison sèche, sont une cible toute désignée pour les insectes. Ainsi, les ravageurs du coton comme Héliothis deviennent redoutables pour les tomates de contre-saison, de même que les thrips sur les oignons, ou les teignes sur les choux. Pour limiter les dégâts, les producteurs traitent leurs planches avec les insecticides qu'ils trouvent sur le marché comme les insecticides destinés au coton. Mal conseillés, ils ne disposent que rarement des traitements spécifiques mais seulement de « la poudre blanche achetée en vrac au marché » comme a répondu l'un d'eux à un chercheur ! Les excès de traitement sont fréquents, surtout dans les zones périurbaines. Ils induisent des résistances difficiles à combattre et laissent des résidus toxiques dans les légumes. D'autres problèmes comme les nématodes ou le Pseudomonas solanacearum, une bactérie qui infecte le sol et empêche toute culture de tomate, laissent les producteurs désarmés. Seule la sélection de variétés résistantes actuellement à l'étude peut permettre une lutte efficace. Le parasitisme et les maladies sont particulièrement aigus dans les zones guinéennes et équatoriales qui souffrent d'une humidité excessive et d'un faible ensoleillement. En revanche, les températures basses que connaissent les régions tropicales d'altitude permettent d'y cultiver une très large gamme de légumes. Il semble que, bien mises en valeur, ces zones pourraient participer largement à l'approvisionnement de vastes régions. Plus généralement, les recherches sur les cultures maraîchères restent insuffisantes. Les travaux portent essentiellement sur la sélection de nouvelles variétés et la protection des cultures. Cependant, face à l'importance prise par ces cultures ces dernières années, les organismes 'de recherche nationaux ou étrangers manifestent un intérêt nouveau pour ces productions longtemps négligées. La vente des produits maraîchers se fait essentiellement par des circuits traditionnels souvent tenus par les femmes. Ces circuits font appel à de nombreux intermédiaires, sauf pour les petites productions, vendues directement sur les marchés locaux. Cependant, les moyens de transport, souvent insuffisants ou inadaptés, et les mauvais conditionnements sont cause de pertes importantes. De plus, les producteurs éloignés des lieux de vente dépendent entièrement des commerçants pour connaître les prix pratiqués et l'état du marché. Ceux qui sont à l'écart des grands axes de circulation et des zones urbaines ont beaucoup de mal à écouler leur marchandise. On peut ainsi voir le long des pistes des sacs pleins d'oignons ou des cageots de tomates qui pourrissent faute de ramassage organisé. Commercialisation le point faible Une forte concentration de la production de légumes dans le temps s'ajoute à ces difficultés d'acheminement. Dans les pays sahéliens, ils arrivent tous sur les marchés ruraux ou urbains entre janvier et mars. Leur écoulement est alors difficile et les prix connaissent des chutes spectaculaires. Le phénomène s'est considérablement accru ces dernières années avec l'augmentation des surfaces cultivées et des signes de saturation apparaissent déjà. Ainsi, les villageois du périmètre de Matam sur la vallée du fleuve Sénégal n'arrivent pas à vendre leurs légumes sur les marchés locaux surchargés. Pour les agriculteurs, la vente est bien souvent la seule raison d'être de ces cultures. S'ils n'en tirent pas des revenus suffisants, ils préfèrent trouver une autre activité plus lucrative et moins exigeante en travail. D'autant plus qu'avec les bonnes récoltes de ces dernières années, ils n'ont pas les mêmes besoins monétaires. Aussi, par endroits, a-t-on déjà constaté une désaffection pour le maraîchage au profit d'autres activités (orpaillage, travail en ville...) considérées comme plus rentables. Comment augmenter les débouchés ? A cette question plusieurs réponses sont possibles mais les solutions ne sont pas immédiates. Une augmentation de la consommation de légumes en zone rurale est encouragée, principalement pour enrichir la ration alimentaire, souvent carencée. Mais la consommation rurale de légumes frais est encore fort loin de la consommation urbaine. Les légumes européens ne sont mangés que s'il n'y a rien d'autre. En Mauritanie, un citadin consomme 24 kg de légumes par an. Un villageois seulement six. Une évolution des habitudes alimentaires semble toutefois se dessiner. Etaler la production dans le temps peut être un moyen pour un approvisionnement continu du marché. Encourager la mise au point de variétés de tomates qui poussent durant l'hivernage et de variétés à semis précoce peut constituer une autre solution. Ne pas stopper l’élan novateur Les légumes africains qui supportent diverses saisons de culture permettraient également, en variant les espèces cultivées, d'échelonner la production. Pour étaler l'écoulement sur le marché, il faut aussi pouvoir mieux conserver les produits. L'oignon et la pomme de terre font ainsi l'objet de recherches pour trouver des variétés qui se conservent mieux. Pour les denrées très périssables comme la tomate, la transformation est à encourager. Le séchage solaire est une solution simple à la portée de tous mais insuffisante pour absorber de gros excédents. L'installation de petites unités industrielles de concentré de tomate semble intéressante mais il faut, pour que ces usines tournent, que la production soit organisée et la collecte bien assurée. Les cultures d'exportation ont, pendant un temps, suscité des espoirs et provoqué la mise en culture de nombreux périmètres. Cependant les marchés semblent de plus en plus étroits. Seuls les haricots verts trouvent encore des débouchés. Produits au Sénégal et au BurkinaFaso, les haricots exigent cependant des soins constants et un ramassage minutieux, ce qui laisse, tout compte fait, peu de marge aux agriculteurs. De plus, l'organisation des expéditions demande des dates de production très précises souvent difficiles à respecter. A l'heure actuelle, l'absence de débouchés garantis est le frein le plus puissant à l'essor des cultures maraîchères. Des efforts doivent être entrepris pour donner à ces cultures la place qu'elles méritent dans l'alimentation des populations et dans le développement des régions rurales. Il serait en effet dommage de stopper l'élan novateur des agriculteurs. BIBLIOGRAPHIE Les données sur le maraîchage sont malheureusement très éparses au sein de rapports de mission ou d'évaluations de projets de développement. On trouve des éléments utiles dans : Les actes du IIllème séminaire du CIRAD/ DSA- Aménagements hydro agricoles et systèmes de production- Montpellier- 16 au 19 déc.1986. H.Dupriez, P.de Leener- Jardins et vergers d'Afrique- Terres et vie- 1987.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1988
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/58872
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