Mieux collecter l’eau pour récolter plus

Les périodes de sécheresse et de famine qui ont affecté plusieurs régions d'Afrique ces dernières années ont provoqué une recrudescence d'intérêt pour une très ancienne technique : la collecte des eaux. Cette méthode peut être aujourd'hui développée et améliorée. On sait qu'il y a 5000 ans, des systèmes astucieux qui consistaient à recueillir et à stocker l'eau qui ruisselait après les orages et les crues, ont donné lieu à une agriculture florissante dans le désert du Néguev, au sud de l'actuel état d'Israel. A l'aide de photographies aériennes et d'un minutieux travail sur le terrain, des chercheurs ont pu en effet reconstituer, et quelquefois même reconstruire, les anciens dispositifs de collecte des eaux utilisés. Le système le plus simple était formé de petits murs de pierre construits en travers des « wadis », des oueds, formant une succession de terrasses. Lors des crues, les eaux étaient retenues assez longtemps derrière chaque muret pour être absorbées par la terre de la terrasse. Cette imprégnation du sol, bien que peu fréquente, maintenait dans la zone racinaire une humidité suffisante pour permettre la culture de plusieurs plantes différentes. Dans les vallées plus importantes, où les crues torrentielles risquaient de détruire les murs des terrasses, on obstruait par un barrage une partie de la vallée afin de détourner l'eau des crues vers les champs en terrasse avoisinants. Dans les petites vallées affluentes, sur les pentes entourant les exploitations, un système assez élaboré de petites rigoles et de murets de pierre était utilisé pour endiguer les eaux ruisselant des collines et les canaliser vers les champs en terrasse situés en dessous. Un réseau complexe de vannes et de marches de pierre ou déversoirs installés entre les différentes terrasses permettait à l'agriculteur de régler minutieusement le volume d'eau dirigé sur chaque parcelle. Ces très anciens systèmes du désert du Néguev sont, certes, les mieux connus et les plus étudiés mais on sait qu'il existait dans d'autres régions arides des systèmes comparables de collecte des eaux. Des fouilles menées au Mexique révèlent qu'il y a plus de mille ans, les Indiens créaient des parcelles cultivables en construisant, en travers des ravines et des petites vallées, des barrages en pierres libres. Ceux-ci retenaient non seulement les eaux mais aussi le limon, de sorte qu'au fil des ans une importante couche de sol alluvial très fertile s'accumulait derrière chaque barrage. Les Indiens nord-américains de l'Arizona et du Colorado pratiquaient, eux aussi, il y a 500 ans la collecte des eaux. En Perse antique, les agriculteurs creusaient des fossés sur les terres en pente douce afin de retenir l'eau pour leurs cultures. De même, il existe une longue tradition en la matière au MoyenOrient et dans certains pays d'Afrique du Nord comme l'Algérie et la Tunisie. Dans plusieurs régions arides du globe, on utilise encore aujourd'hui ces méthodes traditionnelles pour collecter l'eau. Ainsi, dans le Néguev, les Bédouins exploitent toujours les anciens wadis terrassés où ils cultivent de l'orge lorsque les crues se sont retirées. Une forme de collecte des eaux rudimentaire est aussi pratiquée au Nord-Ouest du Kenya : on cultive le sorgho dans les dépressions naturelles qui retiennent l'eau de pluie. Au Soudan, on construit sur les pentes douces à l'Est du Nil des murs suffisamment hauts pour retenir les crues assez longtemps afin de saturer le sol. Il est alors possible, dès que l'eau se retire, de mettre en place une culture précoce comme le mil. Dans les montagnes du Yémen, on élève de hauts talus de terre afin de canaliser l'eau qui s'écoule et de la conserver dans des mares. Les mêmes pratiques se retrouvent en Inde et au Pakistan. La collecte et la réserve Les deux éléments communs à tous ces systèmes de collecte des eaux, qu'il s'agisse de méthodes antiques, traditionnelles ou modernes, sont le bassin d'alimentation et l'aire de stockage. Pour être parfaite, la surface du bassin d'alimentation devrait être imperméable à l'eau afin de permettre un ruissellement maximal. De tels bassins existent naturellement, mais il est bien souvent nécessaire de traiter la surface ou de mettre en place une couche artificielle afin d'améliorer le taux de ruissellement. Les affleurements de granit ou de grés.et les sols comme le loess du -Néguev, qui forment une croûte dès que la pluie tombe, demandent peu de modifications. On peut simplement améliorer le ruissellement en déblayant les pierres, en comblant les fissures et en enlevant la couverture végétale. Dans des conditions moins favorables, il est possible d'augmenter le taux de ruissellement en nivelant et en compactant la surface du sol. Ainsi en Australie occidentale, on prépare un bassin d'alimentation pour collecter de l'eau destinée au bétail, comme on construit une route. Avec du matériel de travaux publics, on constitue sur un terrain en pente de 50 à 300 mètres de long, une série de « routes » parallèles, compactées et bombées, distantes de 5 à 12 cm d'une crête à l'autre. L'eau qui tombe se concentre dans les sillons entre deux routes, puis elle est canalisée au bas de la pente pour être stockée dans un réservoir. Les sols qui ont déjà subi une préparation à d'autres fins -routes, aéroports et même les cours d'école peuvent parfois être utilisés pour collecter l'eau nécessaire aux cultures et au bétail. Les aires d'alimentation en sol compacté doivent être bien conçues et régulièrement en tretenues pour éviter l'érosion. Quelquefois cependant, une certaine érosion a des avantages, elle permet de combler les petites dépressions à la surface de l'aire et d'accroître le taux de fertilité du sol dans les zones cultivées. Il existe aussi des traitements chimiques susceptibles d'améliorer le ruissellement sur la surface d'alimentation, mais ils ne sont utilisés encore qu'à titre expérimental. En Arizona, des sols argileux ont été traités aux sels de sodium, ce qui provoque la dispersion des particules d'argile qui viennent alors colmater les vides subsistant entre elles. Un traitement avec des hydrofuges tels que la paraffine ou le silicone a aussi été étudié. Dans les dunes du Rajasthan en Inde, et dans le Sahara en Libye, les chercheurs ont testé sur les sables un système de pulvérisation d'asphalte, mais cette technique ne s'avère rentable que pour les pays riches en pétrole. D'autres possibilités de « haute technologie » ont été testées en Arizona, dans l'Utah et à Hawaii. Les aires d'alimentation et les réservoirs ont été revêtus d'une toile en caoutchouc butylique afin de récupérer l'eau pour le bétail et pour des usages domestiques. Cette méthode a donné de bons résultats malgré quelques problèmes dus à la détérioration du caoutchouc et aux dégâts causés par les rongeurs. Le sol est un réservoir Une fois les eaux recueillies, il faut aussi les stocker. Dans les systèmes traditionnels où l'eau collectée sert à l'agriculture, c'est le sol lui-même qui fait office de réservoir. Un sol profond ayant une bonne capacité de rétention en eau est idéal. Mais si le sol est plutôt perméable, si l'évaporation est importante et le ruissellement excessif ou si l'eau est destinée à l'abreuvement du bétail et à des usages domestiques, il faut stocker l'eau dans un réservoir de surface. Ceux-ci vont du simple fossé creusé dans le sol, revêtu d'une couche d'argile, à des réservoirs ou citernes de grande taille. Les pertes par évaporation peuvent être réduites en recouvrant la surface de l'eau d'un « couvercle » protecteur en cire, polystyrène, mousse de caoutchouc,etc. Au « Desert Runoff Farms Unit », dans le désert du Néguev, des systèmes de culture utilisant les eaux de ruissellement ont été recréés comme dans l'Antiquité et servent aujourd'hui de fermes expérimentales. Dans cette région où les précipitations annuelles sont à la fois faibles et imprévisibles (moins de 200 mm par an), on a réussi à cultiver une gamme très impressionnante de plantes en n'utilisant que les eaux recueillies par ces systèmes de collecte. On y fait, en effet, pousser des graminées, des céréales (blé, orge, sorgho, mil), des légumineuses (lentilles, pois chiches et de nouvelles variétés de haricots), du raisin, des fruits à baies (framboises) et plusieurs espèces d'arbres à fruits, à noix et à bois de feu (prunes, abricots, pêches, grenades, cerises, figues, olives, caroubes, pistaches, Acacia, Prosopis, Leucaena, Eucalyptus). Les bonnes années, les récoltes sont comparables à celles des cultures irriguées, mais même les années de sécheresse, il y a généralement une récolte. Les céréales, les amandes, les pistaches et les olives poussent particulièrement bien. Les espèces annuelles précoces (comme le mil) et celles ayant un système racinaire profond (comme le sorgho), ainsi que les espèces pérennes capables de supporter à la fois la sécheresse et des inondations occasionnelles, sont celles qui réussissent le mieux. Le Dr Pedro Berliner, Directeur du Centre, commente: « Nous pensons que ce type d'agriculture peut aider à résoudre quelques-uns des problèmes les plus urgents qui touchent la zone sub-saharienne et d'autres régions du monde frappées par la sécheresse ». D'autres chercheurs ne partagent pas son optimisme. Il semble qu'en Afrique, seules les régions du Nord peuvent adapter ce système de culture utilisant le ruissellement car les pluies tombent pendant les mois frais et l'on retrouve des conditions comparables à celles du désert du Néguev. Dans les zones arides de l'Afrique tropicale, où il fait plus chaud et où les rares précipitations tombent durant les mois d'été très chauds, l'eau des plantes et du sol est vite perdue par évaporation. Seules les zones où les précipitations annuelles sont supérieures à 300 mm peuvent donc envisager ce système de culture. Actuellement des modèles mathématiques, qui tiennent compte des données météorologiques et des caractéristiques du sol, peuvent aider à déterminer quelles sont les régions qui se prêtent à la collecte des eaux pluviales. Ces modèles sont aussi utilisés pour élaborer les systèmes d'exploitation appropriés. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont pour leur part utilisé ces techniques à l'échelle villageoise et ont obtenu des résultats encourageants. En construisant à la main des petites diguettes suivant les courbes de niveau et en dépierrant des aires de ruissellement, des groupements villageois ont pu reconstituer, autour des villages, des zones de culture abandonnées depuis plusieurs années en raison de la sécheresse. Des les premières pluies on a vu repousser de l'herbe là où il n'y avait plus que la croûte de latérite, les mils sont venus à maturité et des plants d'arbres à vocation médicinale ou culinaire ont repris sans difficulté. Bien choisir le site Cependant, lorsqu'on a peu de données, le choix du site relève, comme par le passé, des connaissances des paysans, quitte à modifier ou abandonner certains projets après expérience. Au Nord du Kenya, dans la région de Turkana, les agriculteurs choisissent le site en fonction des plantes indigènes qui y poussent. Ainsi, l'arbuste nain Duosperma indique généralement un profond sol argileux, tandis qu'un Acacia est signe d'un site souvent détrempé. Pour améliorer les pâturages, des barrières semi-circulaires en terre ou en rochers peuvent être édifiées à intervalles réguliers sur les terrains en pente. On sème ensuite de l'herbe et, lorsque les terres sont lessivées par la pluie, l'eau et les graines sont retenues derrière les barrages. II s'y établit alors des touffes d'herbe qui se répandent assez rapidement. Pour réussir, ces nouveaux systèmes de collecte des eaux doivent tenir compte non seulement des conditions physiques mais aussi des traditions sociales et culturelles de la région. Par exemple, des nomades comme les Turkana ne sont pas disposés à se fixer dans une région assez longtemps pour assurer l'entretien d'un dispositif de collecte des eaux très élaboré. Pourtant, les systèmes existant actuellement montrent qu'effectivement la collecte des eaux peut apporter beaucoup aux régions qui souffrent de la sécheresse. Non seulement, elle fournit de l'eau aux populations, mais elle limite l'érosion du sol que provoquent les gros orages. De plus, les dispositifs nécessaires à ce recueil local de l'e peuvent être construits sans difficultés par les populations avec le matériaux locaux. Les micro-bassins sont particulièrement faciles à mettre en place et à entretenir. Dans les zones où les précipitations annuelles sont relativement satisfaisantes, la collecte des eaux permet une mise en culture précoce des terres et fournit de l'eau pour de petits systèmes d'irrigation. Dans les régions arides, elle permet de réserver les autres sources d'approvisionnement en eau aux urgences et d'assurer ainsi la survie. Ces aménagements contribuent également à fixer les cultures dont l'itinérance est un facteur de désertification. Ils impliquent un changement des mentalités, introduisent la notion d'espace agricole à protéger et à valoriser.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1988
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/58846
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Description
Summary:Les périodes de sécheresse et de famine qui ont affecté plusieurs régions d'Afrique ces dernières années ont provoqué une recrudescence d'intérêt pour une très ancienne technique : la collecte des eaux. Cette méthode peut être aujourd'hui développée et améliorée. On sait qu'il y a 5000 ans, des systèmes astucieux qui consistaient à recueillir et à stocker l'eau qui ruisselait après les orages et les crues, ont donné lieu à une agriculture florissante dans le désert du Néguev, au sud de l'actuel état d'Israel. A l'aide de photographies aériennes et d'un minutieux travail sur le terrain, des chercheurs ont pu en effet reconstituer, et quelquefois même reconstruire, les anciens dispositifs de collecte des eaux utilisés. Le système le plus simple était formé de petits murs de pierre construits en travers des « wadis », des oueds, formant une succession de terrasses. Lors des crues, les eaux étaient retenues assez longtemps derrière chaque muret pour être absorbées par la terre de la terrasse. Cette imprégnation du sol, bien que peu fréquente, maintenait dans la zone racinaire une humidité suffisante pour permettre la culture de plusieurs plantes différentes. Dans les vallées plus importantes, où les crues torrentielles risquaient de détruire les murs des terrasses, on obstruait par un barrage une partie de la vallée afin de détourner l'eau des crues vers les champs en terrasse avoisinants. Dans les petites vallées affluentes, sur les pentes entourant les exploitations, un système assez élaboré de petites rigoles et de murets de pierre était utilisé pour endiguer les eaux ruisselant des collines et les canaliser vers les champs en terrasse situés en dessous. Un réseau complexe de vannes et de marches de pierre ou déversoirs installés entre les différentes terrasses permettait à l'agriculteur de régler minutieusement le volume d'eau dirigé sur chaque parcelle. Ces très anciens systèmes du désert du Néguev sont, certes, les mieux connus et les plus étudiés mais on sait qu'il existait dans d'autres régions arides des systèmes comparables de collecte des eaux. Des fouilles menées au Mexique révèlent qu'il y a plus de mille ans, les Indiens créaient des parcelles cultivables en construisant, en travers des ravines et des petites vallées, des barrages en pierres libres. Ceux-ci retenaient non seulement les eaux mais aussi le limon, de sorte qu'au fil des ans une importante couche de sol alluvial très fertile s'accumulait derrière chaque barrage. Les Indiens nord-américains de l'Arizona et du Colorado pratiquaient, eux aussi, il y a 500 ans la collecte des eaux. En Perse antique, les agriculteurs creusaient des fossés sur les terres en pente douce afin de retenir l'eau pour leurs cultures. De même, il existe une longue tradition en la matière au MoyenOrient et dans certains pays d'Afrique du Nord comme l'Algérie et la Tunisie. Dans plusieurs régions arides du globe, on utilise encore aujourd'hui ces méthodes traditionnelles pour collecter l'eau. Ainsi, dans le Néguev, les Bédouins exploitent toujours les anciens wadis terrassés où ils cultivent de l'orge lorsque les crues se sont retirées. Une forme de collecte des eaux rudimentaire est aussi pratiquée au Nord-Ouest du Kenya : on cultive le sorgho dans les dépressions naturelles qui retiennent l'eau de pluie. Au Soudan, on construit sur les pentes douces à l'Est du Nil des murs suffisamment hauts pour retenir les crues assez longtemps afin de saturer le sol. Il est alors possible, dès que l'eau se retire, de mettre en place une culture précoce comme le mil. Dans les montagnes du Yémen, on élève de hauts talus de terre afin de canaliser l'eau qui s'écoule et de la conserver dans des mares. Les mêmes pratiques se retrouvent en Inde et au Pakistan. La collecte et la réserve Les deux éléments communs à tous ces systèmes de collecte des eaux, qu'il s'agisse de méthodes antiques, traditionnelles ou modernes, sont le bassin d'alimentation et l'aire de stockage. Pour être parfaite, la surface du bassin d'alimentation devrait être imperméable à l'eau afin de permettre un ruissellement maximal. De tels bassins existent naturellement, mais il est bien souvent nécessaire de traiter la surface ou de mettre en place une couche artificielle afin d'améliorer le taux de ruissellement. Les affleurements de granit ou de grés.et les sols comme le loess du -Néguev, qui forment une croûte dès que la pluie tombe, demandent peu de modifications. On peut simplement améliorer le ruissellement en déblayant les pierres, en comblant les fissures et en enlevant la couverture végétale. Dans des conditions moins favorables, il est possible d'augmenter le taux de ruissellement en nivelant et en compactant la surface du sol. Ainsi en Australie occidentale, on prépare un bassin d'alimentation pour collecter de l'eau destinée au bétail, comme on construit une route. Avec du matériel de travaux publics, on constitue sur un terrain en pente de 50 à 300 mètres de long, une série de « routes » parallèles, compactées et bombées, distantes de 5 à 12 cm d'une crête à l'autre. L'eau qui tombe se concentre dans les sillons entre deux routes, puis elle est canalisée au bas de la pente pour être stockée dans un réservoir. Les sols qui ont déjà subi une préparation à d'autres fins -routes, aéroports et même les cours d'école peuvent parfois être utilisés pour collecter l'eau nécessaire aux cultures et au bétail. Les aires d'alimentation en sol compacté doivent être bien conçues et régulièrement en tretenues pour éviter l'érosion. Quelquefois cependant, une certaine érosion a des avantages, elle permet de combler les petites dépressions à la surface de l'aire et d'accroître le taux de fertilité du sol dans les zones cultivées. Il existe aussi des traitements chimiques susceptibles d'améliorer le ruissellement sur la surface d'alimentation, mais ils ne sont utilisés encore qu'à titre expérimental. En Arizona, des sols argileux ont été traités aux sels de sodium, ce qui provoque la dispersion des particules d'argile qui viennent alors colmater les vides subsistant entre elles. Un traitement avec des hydrofuges tels que la paraffine ou le silicone a aussi été étudié. Dans les dunes du Rajasthan en Inde, et dans le Sahara en Libye, les chercheurs ont testé sur les sables un système de pulvérisation d'asphalte, mais cette technique ne s'avère rentable que pour les pays riches en pétrole. D'autres possibilités de « haute technologie » ont été testées en Arizona, dans l'Utah et à Hawaii. Les aires d'alimentation et les réservoirs ont été revêtus d'une toile en caoutchouc butylique afin de récupérer l'eau pour le bétail et pour des usages domestiques. Cette méthode a donné de bons résultats malgré quelques problèmes dus à la détérioration du caoutchouc et aux dégâts causés par les rongeurs. Le sol est un réservoir Une fois les eaux recueillies, il faut aussi les stocker. Dans les systèmes traditionnels où l'eau collectée sert à l'agriculture, c'est le sol lui-même qui fait office de réservoir. Un sol profond ayant une bonne capacité de rétention en eau est idéal. Mais si le sol est plutôt perméable, si l'évaporation est importante et le ruissellement excessif ou si l'eau est destinée à l'abreuvement du bétail et à des usages domestiques, il faut stocker l'eau dans un réservoir de surface. Ceux-ci vont du simple fossé creusé dans le sol, revêtu d'une couche d'argile, à des réservoirs ou citernes de grande taille. Les pertes par évaporation peuvent être réduites en recouvrant la surface de l'eau d'un « couvercle » protecteur en cire, polystyrène, mousse de caoutchouc,etc. Au « Desert Runoff Farms Unit », dans le désert du Néguev, des systèmes de culture utilisant les eaux de ruissellement ont été recréés comme dans l'Antiquité et servent aujourd'hui de fermes expérimentales. Dans cette région où les précipitations annuelles sont à la fois faibles et imprévisibles (moins de 200 mm par an), on a réussi à cultiver une gamme très impressionnante de plantes en n'utilisant que les eaux recueillies par ces systèmes de collecte. On y fait, en effet, pousser des graminées, des céréales (blé, orge, sorgho, mil), des légumineuses (lentilles, pois chiches et de nouvelles variétés de haricots), du raisin, des fruits à baies (framboises) et plusieurs espèces d'arbres à fruits, à noix et à bois de feu (prunes, abricots, pêches, grenades, cerises, figues, olives, caroubes, pistaches, Acacia, Prosopis, Leucaena, Eucalyptus). Les bonnes années, les récoltes sont comparables à celles des cultures irriguées, mais même les années de sécheresse, il y a généralement une récolte. Les céréales, les amandes, les pistaches et les olives poussent particulièrement bien. Les espèces annuelles précoces (comme le mil) et celles ayant un système racinaire profond (comme le sorgho), ainsi que les espèces pérennes capables de supporter à la fois la sécheresse et des inondations occasionnelles, sont celles qui réussissent le mieux. Le Dr Pedro Berliner, Directeur du Centre, commente: « Nous pensons que ce type d'agriculture peut aider à résoudre quelques-uns des problèmes les plus urgents qui touchent la zone sub-saharienne et d'autres régions du monde frappées par la sécheresse ». D'autres chercheurs ne partagent pas son optimisme. Il semble qu'en Afrique, seules les régions du Nord peuvent adapter ce système de culture utilisant le ruissellement car les pluies tombent pendant les mois frais et l'on retrouve des conditions comparables à celles du désert du Néguev. Dans les zones arides de l'Afrique tropicale, où il fait plus chaud et où les rares précipitations tombent durant les mois d'été très chauds, l'eau des plantes et du sol est vite perdue par évaporation. Seules les zones où les précipitations annuelles sont supérieures à 300 mm peuvent donc envisager ce système de culture. Actuellement des modèles mathématiques, qui tiennent compte des données météorologiques et des caractéristiques du sol, peuvent aider à déterminer quelles sont les régions qui se prêtent à la collecte des eaux pluviales. Ces modèles sont aussi utilisés pour élaborer les systèmes d'exploitation appropriés. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont pour leur part utilisé ces techniques à l'échelle villageoise et ont obtenu des résultats encourageants. En construisant à la main des petites diguettes suivant les courbes de niveau et en dépierrant des aires de ruissellement, des groupements villageois ont pu reconstituer, autour des villages, des zones de culture abandonnées depuis plusieurs années en raison de la sécheresse. Des les premières pluies on a vu repousser de l'herbe là où il n'y avait plus que la croûte de latérite, les mils sont venus à maturité et des plants d'arbres à vocation médicinale ou culinaire ont repris sans difficulté. Bien choisir le site Cependant, lorsqu'on a peu de données, le choix du site relève, comme par le passé, des connaissances des paysans, quitte à modifier ou abandonner certains projets après expérience. Au Nord du Kenya, dans la région de Turkana, les agriculteurs choisissent le site en fonction des plantes indigènes qui y poussent. Ainsi, l'arbuste nain Duosperma indique généralement un profond sol argileux, tandis qu'un Acacia est signe d'un site souvent détrempé. Pour améliorer les pâturages, des barrières semi-circulaires en terre ou en rochers peuvent être édifiées à intervalles réguliers sur les terrains en pente. On sème ensuite de l'herbe et, lorsque les terres sont lessivées par la pluie, l'eau et les graines sont retenues derrière les barrages. II s'y établit alors des touffes d'herbe qui se répandent assez rapidement. Pour réussir, ces nouveaux systèmes de collecte des eaux doivent tenir compte non seulement des conditions physiques mais aussi des traditions sociales et culturelles de la région. Par exemple, des nomades comme les Turkana ne sont pas disposés à se fixer dans une région assez longtemps pour assurer l'entretien d'un dispositif de collecte des eaux très élaboré. Pourtant, les systèmes existant actuellement montrent qu'effectivement la collecte des eaux peut apporter beaucoup aux régions qui souffrent de la sécheresse. Non seulement, elle fournit de l'eau aux populations, mais elle limite l'érosion du sol que provoquent les gros orages. De plus, les dispositifs nécessaires à ce recueil local de l'e peuvent être construits sans difficultés par les populations avec le matériaux locaux. Les micro-bassins sont particulièrement faciles à mettre en place et à entretenir. Dans les zones où les précipitations annuelles sont relativement satisfaisantes, la collecte des eaux permet une mise en culture précoce des terres et fournit de l'eau pour de petits systèmes d'irrigation. Dans les régions arides, elle permet de réserver les autres sources d'approvisionnement en eau aux urgences et d'assurer ainsi la survie. Ces aménagements contribuent également à fixer les cultures dont l'itinérance est un facteur de désertification. Ils impliquent un changement des mentalités, introduisent la notion d'espace agricole à protéger et à valoriser.