CARAIBES : RAVAGEURS SANS FRONTIERES

Aux Caraïbes, la réglementation phytosanitaire en vigueur est trop ancienne. Elle est inadaptée et son application souffre d'un manque d'appui technique. C'est pourquoi, au cours des 25 dernières années, de nombreux ravageurs se sont introduits dans plusieurs îles. Le temps des pirates et des hors-la-loi est revenu dans les Caraïbes anglophones. Ils arrivent clandestinement par la mer et par les airs, trompent la vigilance des gardes aux frontières, pénètrent dans les entrepôts, pillent les stocks et les cultures et, une fois leurs forfaits accomplis, se répandent d'île en île pour semer la désolation chez les paysans. Ces terreurs des temps modernes n'ont ni bandeau sur l'oeil ni sabre à la ceinture, mais, vus de près, ils n'en sont pas moins menaçants, avec leurs carapaces, leurs mandibules ou leurs rostres. Leurs victimes : les plantes, les fruits, les grains qu'ils détruisent par la maladie, la pourriture, le dépérissement. Leur nom : insectes, bactéries, virus. Pour les combattre, il y a la loi et les hommes avec les armes dont ils disposent. Or, dans les Caraïbes, règne dans ce domaine une confusion assez grande ce qui, bien entendu, favorise les ravageurs en tout genre. En matière phytosanitaire, les îles caraïbes sont régies par des lois promulguées il y a plus d'un siècle. Elles comprennent des réglementations relativement complètes, permettant de contrôler l'importation des végétaux, de leur imposer des traitements, voire même de les re détruire. Mais, pour beaucoup d'îles, ces lois sont aujourd'hui dépassées. Il semble que, par ailleurs, leur actualisation ne suscite que peu d'intérêt En outre, le support technique, inadapté dans certaines îles, est tel Pourtant, au cours de ces dernières qu'il est pratiquement impossible de faire fonctionner correctement les services de protection des cultures existants. Ainsi, dans beaucoup de pays de la région, le contrôle phytosanitaire se résume, dans le meilleur des cas, à la délivrance de certificats, c'est-à-dire à une simple procédure bureaucratique, et dans le pire des cas, à une contrainte qui entrave les exportations. L'île de Grenade est une belle illustration de l'état du contrôle phyto sanitaire dans la région. Une loi donne aux autorités locales les pleins pouvoirs pour interdire ou limiter les importations de végétaux et pour y appliquer tout traitement jugé nécessaire. Mais elle date de 1891 et n`a jamais été révisée depuis Si la situation n'est pas aussi extrême dans tous les pays de la région, nombreuses sont les lacunes qui permettent aux ravageurs de pénétrer et de proliférer impunément. Pourtant, au cours de ces dernières années, certaines institutions, dont principalement la Commission pour la Protection des Végétaux des Caraïbes de l’Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (CPPC/FAO) ainsi que le Programme Régional pour la Protection des Végétaux de l'Institut Interaméricain de Coopération Agricole (IICA) ont fait des efforts considérables pour que soit pris en compte le problème du contrôle phytosanitaire. Des réunions et des séminaires, de niveau national et régional, ont été organisés par ces organismes, en collaboration étroite avec les ministères de l'Agriculture des différents pays, afin de dispenser une formation propre à l'exercice du contrôle phytosanitaire. Par ailleurs, une aide technique directe a été apportée pour la mise à jour des réglementations et le renforcement des contrôles phytosanitaires. De l'étude entreprise par l'IICA sur les systèmes phytosanitaires en vigueur dans les différents pays de la région, il est ressorti un certain nombre de problèmes communs à toutes ces îles : insuffisance du recensement, manque d'expérience des inspecteurs, archaïsme de la législation, absence d'infrastructures et pénurie généralisée de personnel. Aujourd'hui, grâce aux programmes entrepris par ces diverses institutions, certaines lacunes commencent à se combler ; mais tout est encore loin d'être résolu. Pour bien lutter, il faut tout d'abord savoir quelles voies l'ennemi emprunte. Le vecteur le plus courant est le matériel végétal lui-même, plantes, fruits et graines. Aux Caraïbes, on peut dénombrer trois courants principaux de circulation de produits agricoles : le premier concerne l'introduction dans les pays de variétés modernes à haut rendement, sous forme de semences, plants issus de semis, boutures ou tubercules. Le second est celui des importations d'aliments de base, importations toujours nécessaires puisque la région n'est pas encore parvenue à l'autosuffisance alimentaire. Enfin, le dernier courant est constitué du flux intra régional de marchandises agricoles et de produits végétaux. Que ce soit sous forme de matériel végétal ou de produits agricoles, transformés ou non, tous ces courants d'échange entraînent des risques phytopathologiques graves. Certains pays ACP en ont fait l'expérience. Des règlements phytosanitaires adaptés aux conditions modernes de transport des végétaux et à l'évolution constante des ravageurs peuvent prévenir ces risques pour autant qu'ils soient bien appliqués. Mais les règlements nationaux ne sauraient suffire contre ces « ravageurs sans frontières ». On sait aujourd'hui qu'un bon contrôle phytosanitaire international ne doit pas se borner à empêcher les parasites et les agents pathogènes de pénétrer dans les pays indemnes. Encore faut-il que ceux qui sont infestés n'exportent pas leurs maladies. Comme en santé humaine, les mesures sanitaires doivent être prises d'un côté comme de l'autre : protéger les autres, c'est aussi se protéger soi-même, exporter des produits végétaux sains, c'est se prémunir un jour contre l'importation de denrées contaminées. Dans la zone Caraïbe où les flux de marchandises entre les îles sont permanents, ce principe est particulièrement valable. La Barbade, Saint-Vincent et Antigua le savent bien. Ces îles, contrairement à leurs voisines, ne connaissent pas les dégâts provoqués par les téphrites (Anastrepha spp.) sur les fruits. Si elles veulent rester indemnes, le contrôle phytosanitaire ne peut pas uniquement incomber aux agents nationaux. Les services de la protection des végétaux des pays qui leur vendent des fruits doivent veiller à n'exporter que des produits exempts de parasites. Pourtant, même dans les régions où les réglementations phytosanitaires sont adéquates et appliquées efficacement par l'ensemble des pays concernés, de nouveaux ravageurs et agents pathogènes ont fait leur apparition. En effet, des études récentes ont montré que les lacunes ou la désuétude des législations, aggravées du manque d'appui technique, ne constituent pas les seules causes du mauvais état phytosanitaire de la région. Sur les 350 principaux parasites agricoles mondiaux, répertoriés par l'Institut d'Entomologie du Commonwealth, plus de 60 % sont nouvellement introduits. De là à émettre l'« hypothèse de l'établissement inévitable », selon laquelle « tous les organismes nuisibles finiront par avoir accès à toutes les régions du monde parce que le contrôle phytosanitaire ne peut que retarder leur propagation », est un pas qui a été franchi par certains spécialistes de la question. Ils donnent comme preuve la récente introduction du chancre des citrus en Floride, celle du charançon des semences de mangue en Guadeloupe, Martinique et à Sainte-Lucie ou encore le déplacement lent mais sûr vers le Nord de l'abeille africaine malgré des mesures draconiennes de protection. Aujourd'hui, un nouvel élément vient étayer cette thèse : il semblerait que des facteurs naturels, tels que les vents, les tempêtes ou les courants océaniques, pourraient propager les maladies et les parasites. Ainsi, l'ouragan Allen aurait porté outre-atlantique le thrips Fulmekiola serrata, inconnu jusqu'alors dans la région, qui a aussitôt entrepris son travail dévastateur dans les plantations de canne à sucre de la Guadeloupe, ensuite de la Barbade, enfin dans celles de Guyane et de la Trinité. En Guyane, toujours dans les plantations de canne à sucre, les vents semblent responsables de l'arrivée de la maladie du charbon. Ils auraient transporté des spores fongiques au-delà des mers, en provenance d'Afrique occidentale. Dans ce cas, ce ne sont ni les lois ni les hommes qui pourront enrayer l'invasion. Mais, si malgré tous les efforts entrepris, les parasites et les maladies finissent par franchir les frontières des pays, ce n'est pas pour cela qu'il faut baisser les bras. Reste la lutte sur le terrain pour empêcher le mal de se répandre. A condition, et c'est là un point fondamental, que les agents bénéficient d'un service d'appui technique adapté. C'est principalement à cause de cette lacune que la maladie du moko des bananes s'est introduite à Grenade dans les années 80, provoquant plus de deux millions de dollars de pertes et faisant encourir un énorme risque aux autres îles productrices de bananes du groupe des lies au Vent. Saint Vincent, la plus proche de Grenade, semble être la plus menacée, sans compter que sur les 120 km qui séparent les deux îles se trouve l'archipel des Grenadines où la législation phytosanitaire est particulièrement peu appropriée. L'absence d'un solide service de protection des végétaux est aussi à l'origine de l'invasion, en 1965, du scolyte de la canne à sucre (Diatraea centrella) dans l'île d'Abaco, aux Bahamas. Ce dernier a été introduit par des semences en provenance de Guyane. Une infrastructure de lutte phytosanitaire nationale aurait pu éviter que le scolyte ne se répande, même si on l'avait laissé entrer. Mais s'il est aisé d'évaluer les pertes provoquées par les attaques d'un nouveau parasite, il est en revanche beaucoup plus complexe de prévoir, dès son identification, son impact économique futur et donc de savoir s'il faut mettre en oeuvre les moyens nécessaires à son éradication. La teigne des crucifères (Plutella xylostella), par exemple, a été découverte pour la première fois à la Trinité en 1945 et il a fallu attendre presque 25 ans pour que les premières pertes graves liées à ce parasite soient enregistrées. A l'inverse, le charbon et la rouille de la canne à sucre, respectivement détectés en 1974 et 1978, se sont immédiatement répandus dans tous les pays producteurs de canne à sucre des Caraïbes ainsi que d'Amérique du Nord, Centrale et Latine. Quant au scolyte des cerises de café, observé pour la première fois à la Jamaïque en 1978, on ignore pourquoi ce parasite n'a été observé nulle part ailleurs depuis dix ans. Quoiqu'il en soit, le meilleur moyen de défense contre ces nombreux risques parasitaires demeure la prévention. Il faut tout d'abord empêcher les parasites d'entrer ou de sortir en exerçant un sérieux contrôle phytosanitaire. Une fois le parasite établi, l'éradication et les traitements que cette opération supposent deviennent très difficiles et extrêmement coûteux. Pas moins de 27 mois et 176 millions de dollars ont été nécessaires pour enrayer l'épidémie de la mouche méditerranéenne des fruits qui a éclaté en 1980 en Californie. On comprend pourquoi la Barbade a interdit l'importation de mangues en provenance de Sainte Lucie depuis la découverte du charançon de la semence de mangue dans ce pays en 1984. Aujourd'hui, de nombreuses mesures pourraient améliorer le contrôle phytosanitaire aux Caraïbes. Une meilleure information, ainsi que des études pour évaluer les risques d'infestation liés à la circulation des produits à l'intérieur de la région, résoudraient déjà une bonne partie des problèmes. Mais il faut avant tout savoir quels sont les parasites présents. Il faut aussi entreprendre des recherches sur l'impact économique des parasites nouvellement établis. Enfin le personnel responsable de la protection des végétaux a un impérieux besoin de formation, afin qu'il puisse mener à bien sa tâche dans le cadre des nouvelles réglementations à mettre en place. Adaptation de l'article : « Plant quarantine in the Caribbean : a retrospective view and some recent pest introductions » de Gene V. Pollard, paru dans « FAO Plant Protection Bulletin » (vol. 34, na3, 1986)

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1987
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/58746
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description Aux Caraïbes, la réglementation phytosanitaire en vigueur est trop ancienne. Elle est inadaptée et son application souffre d'un manque d'appui technique. C'est pourquoi, au cours des 25 dernières années, de nombreux ravageurs se sont introduits dans plusieurs îles. Le temps des pirates et des hors-la-loi est revenu dans les Caraïbes anglophones. Ils arrivent clandestinement par la mer et par les airs, trompent la vigilance des gardes aux frontières, pénètrent dans les entrepôts, pillent les stocks et les cultures et, une fois leurs forfaits accomplis, se répandent d'île en île pour semer la désolation chez les paysans. Ces terreurs des temps modernes n'ont ni bandeau sur l'oeil ni sabre à la ceinture, mais, vus de près, ils n'en sont pas moins menaçants, avec leurs carapaces, leurs mandibules ou leurs rostres. Leurs victimes : les plantes, les fruits, les grains qu'ils détruisent par la maladie, la pourriture, le dépérissement. Leur nom : insectes, bactéries, virus. Pour les combattre, il y a la loi et les hommes avec les armes dont ils disposent. Or, dans les Caraïbes, règne dans ce domaine une confusion assez grande ce qui, bien entendu, favorise les ravageurs en tout genre. En matière phytosanitaire, les îles caraïbes sont régies par des lois promulguées il y a plus d'un siècle. Elles comprennent des réglementations relativement complètes, permettant de contrôler l'importation des végétaux, de leur imposer des traitements, voire même de les re détruire. Mais, pour beaucoup d'îles, ces lois sont aujourd'hui dépassées. Il semble que, par ailleurs, leur actualisation ne suscite que peu d'intérêt En outre, le support technique, inadapté dans certaines îles, est tel Pourtant, au cours de ces dernières qu'il est pratiquement impossible de faire fonctionner correctement les services de protection des cultures existants. Ainsi, dans beaucoup de pays de la région, le contrôle phytosanitaire se résume, dans le meilleur des cas, à la délivrance de certificats, c'est-à-dire à une simple procédure bureaucratique, et dans le pire des cas, à une contrainte qui entrave les exportations. L'île de Grenade est une belle illustration de l'état du contrôle phyto sanitaire dans la région. Une loi donne aux autorités locales les pleins pouvoirs pour interdire ou limiter les importations de végétaux et pour y appliquer tout traitement jugé nécessaire. Mais elle date de 1891 et n`a jamais été révisée depuis Si la situation n'est pas aussi extrême dans tous les pays de la région, nombreuses sont les lacunes qui permettent aux ravageurs de pénétrer et de proliférer impunément. Pourtant, au cours de ces dernières années, certaines institutions, dont principalement la Commission pour la Protection des Végétaux des Caraïbes de l’Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (CPPC/FAO) ainsi que le Programme Régional pour la Protection des Végétaux de l'Institut Interaméricain de Coopération Agricole (IICA) ont fait des efforts considérables pour que soit pris en compte le problème du contrôle phytosanitaire. Des réunions et des séminaires, de niveau national et régional, ont été organisés par ces organismes, en collaboration étroite avec les ministères de l'Agriculture des différents pays, afin de dispenser une formation propre à l'exercice du contrôle phytosanitaire. Par ailleurs, une aide technique directe a été apportée pour la mise à jour des réglementations et le renforcement des contrôles phytosanitaires. De l'étude entreprise par l'IICA sur les systèmes phytosanitaires en vigueur dans les différents pays de la région, il est ressorti un certain nombre de problèmes communs à toutes ces îles : insuffisance du recensement, manque d'expérience des inspecteurs, archaïsme de la législation, absence d'infrastructures et pénurie généralisée de personnel. Aujourd'hui, grâce aux programmes entrepris par ces diverses institutions, certaines lacunes commencent à se combler ; mais tout est encore loin d'être résolu. Pour bien lutter, il faut tout d'abord savoir quelles voies l'ennemi emprunte. Le vecteur le plus courant est le matériel végétal lui-même, plantes, fruits et graines. Aux Caraïbes, on peut dénombrer trois courants principaux de circulation de produits agricoles : le premier concerne l'introduction dans les pays de variétés modernes à haut rendement, sous forme de semences, plants issus de semis, boutures ou tubercules. Le second est celui des importations d'aliments de base, importations toujours nécessaires puisque la région n'est pas encore parvenue à l'autosuffisance alimentaire. Enfin, le dernier courant est constitué du flux intra régional de marchandises agricoles et de produits végétaux. Que ce soit sous forme de matériel végétal ou de produits agricoles, transformés ou non, tous ces courants d'échange entraînent des risques phytopathologiques graves. Certains pays ACP en ont fait l'expérience. Des règlements phytosanitaires adaptés aux conditions modernes de transport des végétaux et à l'évolution constante des ravageurs peuvent prévenir ces risques pour autant qu'ils soient bien appliqués. Mais les règlements nationaux ne sauraient suffire contre ces « ravageurs sans frontières ». On sait aujourd'hui qu'un bon contrôle phytosanitaire international ne doit pas se borner à empêcher les parasites et les agents pathogènes de pénétrer dans les pays indemnes. Encore faut-il que ceux qui sont infestés n'exportent pas leurs maladies. Comme en santé humaine, les mesures sanitaires doivent être prises d'un côté comme de l'autre : protéger les autres, c'est aussi se protéger soi-même, exporter des produits végétaux sains, c'est se prémunir un jour contre l'importation de denrées contaminées. Dans la zone Caraïbe où les flux de marchandises entre les îles sont permanents, ce principe est particulièrement valable. La Barbade, Saint-Vincent et Antigua le savent bien. Ces îles, contrairement à leurs voisines, ne connaissent pas les dégâts provoqués par les téphrites (Anastrepha spp.) sur les fruits. Si elles veulent rester indemnes, le contrôle phytosanitaire ne peut pas uniquement incomber aux agents nationaux. Les services de la protection des végétaux des pays qui leur vendent des fruits doivent veiller à n'exporter que des produits exempts de parasites. Pourtant, même dans les régions où les réglementations phytosanitaires sont adéquates et appliquées efficacement par l'ensemble des pays concernés, de nouveaux ravageurs et agents pathogènes ont fait leur apparition. En effet, des études récentes ont montré que les lacunes ou la désuétude des législations, aggravées du manque d'appui technique, ne constituent pas les seules causes du mauvais état phytosanitaire de la région. Sur les 350 principaux parasites agricoles mondiaux, répertoriés par l'Institut d'Entomologie du Commonwealth, plus de 60 % sont nouvellement introduits. De là à émettre l'« hypothèse de l'établissement inévitable », selon laquelle « tous les organismes nuisibles finiront par avoir accès à toutes les régions du monde parce que le contrôle phytosanitaire ne peut que retarder leur propagation », est un pas qui a été franchi par certains spécialistes de la question. Ils donnent comme preuve la récente introduction du chancre des citrus en Floride, celle du charançon des semences de mangue en Guadeloupe, Martinique et à Sainte-Lucie ou encore le déplacement lent mais sûr vers le Nord de l'abeille africaine malgré des mesures draconiennes de protection. Aujourd'hui, un nouvel élément vient étayer cette thèse : il semblerait que des facteurs naturels, tels que les vents, les tempêtes ou les courants océaniques, pourraient propager les maladies et les parasites. Ainsi, l'ouragan Allen aurait porté outre-atlantique le thrips Fulmekiola serrata, inconnu jusqu'alors dans la région, qui a aussitôt entrepris son travail dévastateur dans les plantations de canne à sucre de la Guadeloupe, ensuite de la Barbade, enfin dans celles de Guyane et de la Trinité. En Guyane, toujours dans les plantations de canne à sucre, les vents semblent responsables de l'arrivée de la maladie du charbon. Ils auraient transporté des spores fongiques au-delà des mers, en provenance d'Afrique occidentale. Dans ce cas, ce ne sont ni les lois ni les hommes qui pourront enrayer l'invasion. Mais, si malgré tous les efforts entrepris, les parasites et les maladies finissent par franchir les frontières des pays, ce n'est pas pour cela qu'il faut baisser les bras. Reste la lutte sur le terrain pour empêcher le mal de se répandre. A condition, et c'est là un point fondamental, que les agents bénéficient d'un service d'appui technique adapté. C'est principalement à cause de cette lacune que la maladie du moko des bananes s'est introduite à Grenade dans les années 80, provoquant plus de deux millions de dollars de pertes et faisant encourir un énorme risque aux autres îles productrices de bananes du groupe des lies au Vent. Saint Vincent, la plus proche de Grenade, semble être la plus menacée, sans compter que sur les 120 km qui séparent les deux îles se trouve l'archipel des Grenadines où la législation phytosanitaire est particulièrement peu appropriée. L'absence d'un solide service de protection des végétaux est aussi à l'origine de l'invasion, en 1965, du scolyte de la canne à sucre (Diatraea centrella) dans l'île d'Abaco, aux Bahamas. Ce dernier a été introduit par des semences en provenance de Guyane. Une infrastructure de lutte phytosanitaire nationale aurait pu éviter que le scolyte ne se répande, même si on l'avait laissé entrer. Mais s'il est aisé d'évaluer les pertes provoquées par les attaques d'un nouveau parasite, il est en revanche beaucoup plus complexe de prévoir, dès son identification, son impact économique futur et donc de savoir s'il faut mettre en oeuvre les moyens nécessaires à son éradication. La teigne des crucifères (Plutella xylostella), par exemple, a été découverte pour la première fois à la Trinité en 1945 et il a fallu attendre presque 25 ans pour que les premières pertes graves liées à ce parasite soient enregistrées. A l'inverse, le charbon et la rouille de la canne à sucre, respectivement détectés en 1974 et 1978, se sont immédiatement répandus dans tous les pays producteurs de canne à sucre des Caraïbes ainsi que d'Amérique du Nord, Centrale et Latine. Quant au scolyte des cerises de café, observé pour la première fois à la Jamaïque en 1978, on ignore pourquoi ce parasite n'a été observé nulle part ailleurs depuis dix ans. Quoiqu'il en soit, le meilleur moyen de défense contre ces nombreux risques parasitaires demeure la prévention. Il faut tout d'abord empêcher les parasites d'entrer ou de sortir en exerçant un sérieux contrôle phytosanitaire. Une fois le parasite établi, l'éradication et les traitements que cette opération supposent deviennent très difficiles et extrêmement coûteux. Pas moins de 27 mois et 176 millions de dollars ont été nécessaires pour enrayer l'épidémie de la mouche méditerranéenne des fruits qui a éclaté en 1980 en Californie. On comprend pourquoi la Barbade a interdit l'importation de mangues en provenance de Sainte Lucie depuis la découverte du charançon de la semence de mangue dans ce pays en 1984. Aujourd'hui, de nombreuses mesures pourraient améliorer le contrôle phytosanitaire aux Caraïbes. Une meilleure information, ainsi que des études pour évaluer les risques d'infestation liés à la circulation des produits à l'intérieur de la région, résoudraient déjà une bonne partie des problèmes. Mais il faut avant tout savoir quels sont les parasites présents. Il faut aussi entreprendre des recherches sur l'impact économique des parasites nouvellement établis. Enfin le personnel responsable de la protection des végétaux a un impérieux besoin de formation, afin qu'il puisse mener à bien sa tâche dans le cadre des nouvelles réglementations à mettre en place. Adaptation de l'article : « Plant quarantine in the Caribbean : a retrospective view and some recent pest introductions » de Gene V. Pollard, paru dans « FAO Plant Protection Bulletin » (vol. 34, na3, 1986)
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Leurs victimes : les plantes, les fruits, les grains qu'ils détruisent par la maladie, la pourriture, le dépérissement. Leur nom : insectes, bactéries, virus. Pour les combattre, il y a la loi et les hommes avec les armes dont ils disposent. Or, dans les Caraïbes, règne dans ce domaine une confusion assez grande ce qui, bien entendu, favorise les ravageurs en tout genre. En matière phytosanitaire, les îles caraïbes sont régies par des lois promulguées il y a plus d'un siècle. Elles comprennent des réglementations relativement complètes, permettant de contrôler l'importation des végétaux, de leur imposer des traitements, voire même de les re détruire. Mais, pour beaucoup d'îles, ces lois sont aujourd'hui dépassées. Il semble que, par ailleurs, leur actualisation ne suscite que peu d'intérêt En outre, le support technique, inadapté dans certaines îles, est tel Pourtant, au cours de ces dernières qu'il est pratiquement impossible de faire fonctionner correctement les services de protection des cultures existants. Ainsi, dans beaucoup de pays de la région, le contrôle phytosanitaire se résume, dans le meilleur des cas, à la délivrance de certificats, c'est-à-dire à une simple procédure bureaucratique, et dans le pire des cas, à une contrainte qui entrave les exportations. L'île de Grenade est une belle illustration de l'état du contrôle phyto sanitaire dans la région. Une loi donne aux autorités locales les pleins pouvoirs pour interdire ou limiter les importations de végétaux et pour y appliquer tout traitement jugé nécessaire. Mais elle date de 1891 et n`a jamais été révisée depuis Si la situation n'est pas aussi extrême dans tous les pays de la région, nombreuses sont les lacunes qui permettent aux ravageurs de pénétrer et de proliférer impunément. Pourtant, au cours de ces dernières années, certaines institutions, dont principalement la Commission pour la Protection des Végétaux des Caraïbes de l’Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (CPPC/FAO) ainsi que le Programme Régional pour la Protection des Végétaux de l'Institut Interaméricain de Coopération Agricole (IICA) ont fait des efforts considérables pour que soit pris en compte le problème du contrôle phytosanitaire. Des réunions et des séminaires, de niveau national et régional, ont été organisés par ces organismes, en collaboration étroite avec les ministères de l'Agriculture des différents pays, afin de dispenser une formation propre à l'exercice du contrôle phytosanitaire. Par ailleurs, une aide technique directe a été apportée pour la mise à jour des réglementations et le renforcement des contrôles phytosanitaires. De l'étude entreprise par l'IICA sur les systèmes phytosanitaires en vigueur dans les différents pays de la région, il est ressorti un certain nombre de problèmes communs à toutes ces îles : insuffisance du recensement, manque d'expérience des inspecteurs, archaïsme de la législation, absence d'infrastructures et pénurie généralisée de personnel. Aujourd'hui, grâce aux programmes entrepris par ces diverses institutions, certaines lacunes commencent à se combler ; mais tout est encore loin d'être résolu. Pour bien lutter, il faut tout d'abord savoir quelles voies l'ennemi emprunte. Le vecteur le plus courant est le matériel végétal lui-même, plantes, fruits et graines. Aux Caraïbes, on peut dénombrer trois courants principaux de circulation de produits agricoles : le premier concerne l'introduction dans les pays de variétés modernes à haut rendement, sous forme de semences, plants issus de semis, boutures ou tubercules. Le second est celui des importations d'aliments de base, importations toujours nécessaires puisque la région n'est pas encore parvenue à l'autosuffisance alimentaire. Enfin, le dernier courant est constitué du flux intra régional de marchandises agricoles et de produits végétaux. Que ce soit sous forme de matériel végétal ou de produits agricoles, transformés ou non, tous ces courants d'échange entraînent des risques phytopathologiques graves. Certains pays ACP en ont fait l'expérience. Des règlements phytosanitaires adaptés aux conditions modernes de transport des végétaux et à l'évolution constante des ravageurs peuvent prévenir ces risques pour autant qu'ils soient bien appliqués. Mais les règlements nationaux ne sauraient suffire contre ces « ravageurs sans frontières ». On sait aujourd'hui qu'un bon contrôle phytosanitaire international ne doit pas se borner à empêcher les parasites et les agents pathogènes de pénétrer dans les pays indemnes. Encore faut-il que ceux qui sont infestés n'exportent pas leurs maladies. Comme en santé humaine, les mesures sanitaires doivent être prises d'un côté comme de l'autre : protéger les autres, c'est aussi se protéger soi-même, exporter des produits végétaux sains, c'est se prémunir un jour contre l'importation de denrées contaminées. Dans la zone Caraïbe où les flux de marchandises entre les îles sont permanents, ce principe est particulièrement valable. La Barbade, Saint-Vincent et Antigua le savent bien. Ces îles, contrairement à leurs voisines, ne connaissent pas les dégâts provoqués par les téphrites (Anastrepha spp.) sur les fruits. Si elles veulent rester indemnes, le contrôle phytosanitaire ne peut pas uniquement incomber aux agents nationaux. Les services de la protection des végétaux des pays qui leur vendent des fruits doivent veiller à n'exporter que des produits exempts de parasites. Pourtant, même dans les régions où les réglementations phytosanitaires sont adéquates et appliquées efficacement par l'ensemble des pays concernés, de nouveaux ravageurs et agents pathogènes ont fait leur apparition. En effet, des études récentes ont montré que les lacunes ou la désuétude des législations, aggravées du manque d'appui technique, ne constituent pas les seules causes du mauvais état phytosanitaire de la région. Sur les 350 principaux parasites agricoles mondiaux, répertoriés par l'Institut d'Entomologie du Commonwealth, plus de 60 % sont nouvellement introduits. De là à émettre l'« hypothèse de l'établissement inévitable », selon laquelle « tous les organismes nuisibles finiront par avoir accès à toutes les régions du monde parce que le contrôle phytosanitaire ne peut que retarder leur propagation », est un pas qui a été franchi par certains spécialistes de la question. Ils donnent comme preuve la récente introduction du chancre des citrus en Floride, celle du charançon des semences de mangue en Guadeloupe, Martinique et à Sainte-Lucie ou encore le déplacement lent mais sûr vers le Nord de l'abeille africaine malgré des mesures draconiennes de protection. Aujourd'hui, un nouvel élément vient étayer cette thèse : il semblerait que des facteurs naturels, tels que les vents, les tempêtes ou les courants océaniques, pourraient propager les maladies et les parasites. Ainsi, l'ouragan Allen aurait porté outre-atlantique le thrips Fulmekiola serrata, inconnu jusqu'alors dans la région, qui a aussitôt entrepris son travail dévastateur dans les plantations de canne à sucre de la Guadeloupe, ensuite de la Barbade, enfin dans celles de Guyane et de la Trinité. En Guyane, toujours dans les plantations de canne à sucre, les vents semblent responsables de l'arrivée de la maladie du charbon. Ils auraient transporté des spores fongiques au-delà des mers, en provenance d'Afrique occidentale. Dans ce cas, ce ne sont ni les lois ni les hommes qui pourront enrayer l'invasion. Mais, si malgré tous les efforts entrepris, les parasites et les maladies finissent par franchir les frontières des pays, ce n'est pas pour cela qu'il faut baisser les bras. Reste la lutte sur le terrain pour empêcher le mal de se répandre. A condition, et c'est là un point fondamental, que les agents bénéficient d'un service d'appui technique adapté. C'est principalement à cause de cette lacune que la maladie du moko des bananes s'est introduite à Grenade dans les années 80, provoquant plus de deux millions de dollars de pertes et faisant encourir un énorme risque aux autres îles productrices de bananes du groupe des lies au Vent. Saint Vincent, la plus proche de Grenade, semble être la plus menacée, sans compter que sur les 120 km qui séparent les deux îles se trouve l'archipel des Grenadines où la législation phytosanitaire est particulièrement peu appropriée. L'absence d'un solide service de protection des végétaux est aussi à l'origine de l'invasion, en 1965, du scolyte de la canne à sucre (Diatraea centrella) dans l'île d'Abaco, aux Bahamas. Ce dernier a été introduit par des semences en provenance de Guyane. Une infrastructure de lutte phytosanitaire nationale aurait pu éviter que le scolyte ne se répande, même si on l'avait laissé entrer. Mais s'il est aisé d'évaluer les pertes provoquées par les attaques d'un nouveau parasite, il est en revanche beaucoup plus complexe de prévoir, dès son identification, son impact économique futur et donc de savoir s'il faut mettre en oeuvre les moyens nécessaires à son éradication. La teigne des crucifères (Plutella xylostella), par exemple, a été découverte pour la première fois à la Trinité en 1945 et il a fallu attendre presque 25 ans pour que les premières pertes graves liées à ce parasite soient enregistrées. A l'inverse, le charbon et la rouille de la canne à sucre, respectivement détectés en 1974 et 1978, se sont immédiatement répandus dans tous les pays producteurs de canne à sucre des Caraïbes ainsi que d'Amérique du Nord, Centrale et Latine. Quant au scolyte des cerises de café, observé pour la première fois à la Jamaïque en 1978, on ignore pourquoi ce parasite n'a été observé nulle part ailleurs depuis dix ans. Quoiqu'il en soit, le meilleur moyen de défense contre ces nombreux risques parasitaires demeure la prévention. Il faut tout d'abord empêcher les parasites d'entrer ou de sortir en exerçant un sérieux contrôle phytosanitaire. Une fois le parasite établi, l'éradication et les traitements que cette opération supposent deviennent très difficiles et extrêmement coûteux. Pas moins de 27 mois et 176 millions de dollars ont été nécessaires pour enrayer l'épidémie de la mouche méditerranéenne des fruits qui a éclaté en 1980 en Californie. On comprend pourquoi la Barbade a interdit l'importation de mangues en provenance de Sainte Lucie depuis la découverte du charançon de la semence de mangue dans ce pays en 1984. Aujourd'hui, de nombreuses mesures pourraient améliorer le contrôle phytosanitaire aux Caraïbes. Une meilleure information, ainsi que des études pour évaluer les risques d'infestation liés à la circulation des produits à l'intérieur de la région, résoudraient déjà une bonne partie des problèmes. Mais il faut avant tout savoir quels sont les parasites présents. Il faut aussi entreprendre des recherches sur l'impact économique des parasites nouvellement établis. Enfin le personnel responsable de la protection des végétaux a un impérieux besoin de formation, afin qu'il puisse mener à bien sa tâche dans le cadre des nouvelles réglementations à mettre en place. Adaptation de l'article : « Plant quarantine in the Caribbean : a retrospective view and some recent pest introductions » de Gene V. Pollard, paru dans « FAO Plant Protection Bulletin » (vol. 34, na3, 1986) Aux Caraïbes, la réglementation phytosanitaire en vigueur est trop ancienne. Elle est inadaptée et son application souffre d'un manque d'appui technique. C'est pourquoi, au cours des 25 dernières années, de nombreux ravageurs se sont introduits... 1987 2015-03-19T13:49:05Z 2015-03-19T13:49:05Z News Item CTA. 1987. CARAIBES : RAVAGEURS SANS FRONTIERES. Spore 10. CTA, Wageningen, The Netherlands. 1011-0046 https://hdl.handle.net/10568/58746 fr Spore Limited Access Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation Spore