LE MANIOC AFRICAIN EN PERIL
Dans les villages tapis au milieu des hautes herbes de la savane des plateaux de la région de Kukuya au nord de Brazzaville, au Congo, le souvenir de la dévastation du manioc de 1983 est encore vivace dans les esprits. Les petits paysans avaient assisté, impuissants, à la mort de leur ressource vivrière essentielle. lis avaient vu les jeunes feuilles se faner et les rameaux mourir. Insidieusement, les taches brunes s'étaient étendues sur les grandes feuilles qui étaient devenues flasques et pendantes. La contamination des champs de manioc par la bactériose vasculaire avait été foudroyante. Devant ce fléau, l'impuissance des populations locales était d'autant plus désespérante que les paysans eux-mêmes étaient devenus les acteurs essentiels de la propagation de la maladie qui était totalement inconnue dix ans auparavant. Celle-ci se transmet en effet par les boutures que le cultivateur prélève, sans le savoir, sur les plantes malades pour les replanter. Les paysans congolais ne sont pas les seuls à se faire du souci. Dans la plupart des pays d'Afrique les paysans craignent pour cette culture qui représente pour beaucoup la base même de l'alimentation de leur famille. La bactériose vasculaire n'est en effet qu'un des fléaux qui menacent le manioc. Parmi les principaux fléaux, la mosaïque africaine, qui existe depuis longtemps à l'état endémique. Ce n'est cependant que récemment qu'on s'est rendu compte de l'importance des dégâts. Les pertes de production peuvent s'élever dans certains cas jusqu'à 90 %. D'aucuns considèrent cette maladie comme la plus importante et n'hésitent pas à la comparer au mildiou de la pomme de terre qui, il y a plus d'un siècle fut responsable de grandes famines en Europe. Ensuite, deux ravageurs qui ont fait leur apparition il y a une quinzaine d'années : la cochenille farineuse et l'acarien vert. La cochenille farineuse a été observée initialement entre 1970 et 1973 au Zaïre et au Congo puis en Angola, au Gabon, au Nigéria, au Bénin et au Sénégal. L'acarien vert est l'un des plus dangereux parmi ceux qui attaquent le manioc en Afrique où il s'étend à partir de l'Afrique de l'Ouest, sa zone récente d'introduction. Ces deux ravageurs, originaires d'Amérique latine, ont été introduits accidentellement en Afrique et se sont répandus sans contrainte, ne subissant les attaques d'aucun prédateur. En 1985 on signalait que 17 pays avaient été atteints par ces nouveaux fléaux. On évalue actuellement à 1,8 milliard de dollars la perte infligée aux cultures de manioc par les ravageurs. L'ensemble des zones soumises aux attaques a une superficie qui dépasse celle des Etats Unis. Symptômes Les symptômes observés sur des plantes issues de matériel végétal infecté par la bactériose du manioc (cassava bacterial blight, CBB) se caractérisent par le fanage des jeunes feuilles, suivi de la mort du rameau. Les infections secondaires, résultant de la pénétration des bactéries présentes sur le feuillage, dans le limbe, par les stomates, provoquent des tâches foliaires angulaires. Celles-ci, d'abord petites, s'agrandissent, deviennent brunes et s'entourent d'une plage circulaire de brûlure. Les feuilles deviennent flasques et pendantes. L'infection vasculaire se traduit par l'apparition d'exsudats de gomme sur les pétioles et les tiges jeunes. L'attaque gagne les extrémités des tiges, parfois la totalité de la plante, et même les racines. Les symptômes sont plus développés en saison de pluies qu'en saison sèche où la présence de la maladie n'est en général révélée que par des lésions chancreuses sur les tiges et les extrémités desséchées. L'agent causal est anthomonas campestris. La diffusion de la maladie résulte principalement du transport par l'homme et de l'utilisation de boutures prélevées sur des plants contaminés. Les bactéries survivent quelque temps dans le sol mais elles peuvent également vivre en épiphytes sur les feuilles de manioc d'aspect sain ; la transmission de ces bactéries à d'autres plantes peut être assurée par la pluie, les outils et les insectes. La mosaïque africaine (african mosaic disease, AMD) se caractérise par l'apparition de taches jaunâtres sur les feuilles qui présentent dans les cas graves, des déformations (crispations, enroulements, rabougrissements). La plante est souvent chétive, déformée ; les entre-noeuds sont courts, des nécroses de tissus peu vent apparaitre. Des recherches récentes ont montré que cette maladie est d'origine virale et que le virus est apparenté au groupe des Geminivirus ; ce virus est transmis par un hémiptère du genre Bemisia. Plusieurs espèces ont été incriminées principalement B. tabaci. La transmission du virus exigerait que l'insecte se nourrisse au moins quatre heures sur des feuilles infectées, connaisse une période d'incubation de quatre heures et un passage d'au moins quinze minutes sur le plant sain. C'est de la rapidité de sa propagation que résulte la gravité de cette maladie. Il faut également noter que le virus peut se transmettre par greffage. La cochenille farineuse (Phenacoccus manihoti-mealibug) envahit principalement la face inférieure des feuilles et les extrémités des tiges qui perdent leur chlorophylle, se déforment et se dessèchent. La plante réagit en donnant de nouvelles pousses qui sont attaquées à leur tour et provoquent son épuisement. La dispersion des insectes se fait par le transport des boutures ou par le déplacement actif avant leur fixation sur l'hôte. Les dégâts sont particulièrement spectaculaires en saison sèche. L'acarien vert (Mononychellus tanagoa-green casava mite) est de petite taille, de couleur verte et attaque la face inférieure des jeunes feuilles qui présentent des points jaunes, perdent leur coloration et se déforment en simulant une mosaïque. Un ralentissement de la croissance s'ensuit. Dans les cas graves et notamment pendant les périodes sèches, on observe un brunissement des extrémités des rameaux, leur dessèchement progressif du haut vers le bas et la mort des plantes. Que faire ? Il faut d'abord partir d'un principe de base: le manioc est une culture pauvre dispersée à travers tout un continent sur un très grand nombre de petites superficies. Il n'est donc pas pensable de recourir à la lutte chimique si ce n'est dans le cas particulier de quelques plantations industrielles. Le seul moyen pour limiter les dégâts est de recourir à la lutte intégrée. Celle-ci n'entraînera pas l'élimination totale des maladies ou des insectes mais elle réduira les dégâts à un niveau acceptable. Les chercheurs se sont donc orientés vers l'utilisation de plantes résistantes, la lutte biologique et l'application de techniques culturales et phytosanitaires. Développer des variétés résistantes, tel est donc l'objectif des sélectionneurs. Ceci ne veut pas dire que les plantes seront immunes ; mais cela limitera la multiplication des agents pathogènes en même temps que les dommages causés. Les pertes pourront être réduites en combinant la résistance variétale avec des mesures préventives telles que l'utilisation de matériel de plantation sain. Cette méthode convient parfaitement aux petits fermiers car les dépenses principales sont supportées par les institutions de recherche et les agences de développement. Le seul coût imposé aux fermiers est l'achat d'une petite quantité de matériel végétal. Quant aux services d'agriculture, ils devront se limiter à des tâches de multiplication et de distribution des nouvelles variétés. L'IITA (Institut International d'Agriculture Tropicale situé au Nigèria) a réussi à obtenir une variété de manioc résistante à la mosaïque africaine et à la bactériose vasculaire, en croisant deux types de manioc Manihot esculenta et Manihot glaziovii. Les travaux de laboratoire ont duré 18 mois ; il a fallu ensuite cinq ans pour produire un plant qui puisse à la fois réunir des caractères de haut rendement et de résistance aux attaques. L'ORSTOM (Institut Français de Recherches Scientifiques pour le' Développement en Coopération, précédemment Office de Recherche Scientifique et Technique d'Outre Mer) a entrepris une étude épidémiologique de la bactériose vasculaire en collaboration avec les chercheurs congolais de la Direction Générale de la Recherche Scientifique et des recherches sur la mosaïque africaine en collaboration avec l'Université d'Abidjan. Des manipulations génétiques devraient permettre d'isoler les gènes qui résistent aux attaques virales ou bactériennes et de les introduire dans le patrimoine génétique de nouvelles variétés. C'est pour cette raison que la protection des ressources phytogénétiques primaires du monde est essentielle. Or il faut signaler que ces ressources sont en voie de disparition. Ainsi au Brésil où il existe plus d'une centaine d'espèces primaires de manioc, la déforestation et le développement de vastes élevages agro-industriels de bovins de boucherie provoquent la disparition du manioc considéré comme un poison pour le bétail. Signalons enfin les possibilités offertes par la biotechnologie qui permet la culture de tissus in vitro en vue de développer des plants sains, qui permettront ensuite de faire repartir les cultures dans les régions contaminées. En Amérique du Sud, d'où le manioc est originaire, existe un équil'.bre entre la plante et ses prédateurs. En Afrique, ces prédateurs naturels n'existaient pas. Par ailleurs, les planteurs ne disposaient pas de variétés tolérantes. C'est pourquoi les maladies du manioc ont causé sur ce continent sans défense des dégâts bien plus grands que sur les terres d'origine du manioc. Les scientifiques de IITA, en collaboration avec d'autres organismes internationaux dont le Centre International d'Agriculture Tropicale (CIAT) en Colombie ont développé un programme de lutte biologique très important. Celui-ci est financé en grande partie par les pays Européens, au coût de 34 millions de dollars. Il s'agit de bombarder les régions infestées avec des prédateurs naturels prélevés en Amérique Latine. En ce qui concerne l'acarien vert on a identifié comme prédateur une guêpe parasite (Epidino carsis lopezi) prélevée au Paraguay ainsi qu'un insecte de la famille des Phytoséiidées, provenant de Colombie. Actuellement ces prédateurs sont multipliés massivement au Nigeria dans des installations ultramodernes totalement automatisées. Près de 15 millions d'insectes sont produits quotidiennement pour être tachés par avion dans les régions infestées. Au Nigéria, les prédateurs ont proliféré sur trois millions d'hectares en cinq mois après avoir été introduits en un seul endroit. Dans cette région on note une réduction significative des dégâts. Les chercheurs de l’ORSTOM estiment qu'il faut étendre la variété des prédateurs naturels utilisés dans la lutte biologique. Des recherches sont en cours en Amérique Latine pour prélever d'autres parasitoïdes ou des entomophages tels que les coccinelles mangeuses d'acariens et de cochenilles. Les techniques culturales sont également un moyen important de lutte contre les maladies. En plantant des boutures saines on peut retarder le déclenchement de l'infection. On peut même dans certains cas éliminer totalement la maladie. Au Kenya notamment on est parvenu à obtenir du matériel sain en sélectionnant des plants qui ne présentaient aucun symptôme et en particulier les pousses terminales. En ce qui concerne la bactériose vasculaire il est facile d'obtenir du matériel sain. On prend des rejets de bouture ne présentant pas de symptômes et on les place dans des bouteilles remplies d'eau pour qu'ils forment des racines. Toutes les petites plantules infectées développent rapidement les symptômes de la maladie et peuvent être détruites. Lorsque les plants sans symptômes ont produit leurs racines, ils sont transplantés dans des champs isolés où ils forment la base d'un stock sain. Cette technique a été utilisée en Colombie, au Brésil, à Cuba et en Malaisie. L'intervention des instituts de recherche est importante pour contrôler ces maladies mais elle est insuffisante si les pouvoirs publics ne prennent pas conscience du problème. Il faut que chaque état africain concerné développe un programme de multiplication et de distribution de matériel sain. Ces programmes doivent être coordonnés à l'échelon régional. Si l'on veut sauver la culture du manioc en Afrique il faut pratiquer une agriculture sans frontière. BIBLIOGRAPHIE «Les principaux ravageurs et maladies d'Afrique» par Robert L. Thébarge-IITAIbadan (Nigeria) «Le manioc» par P. Silvestre et M. Arraudeau-Technique agricole et production tropicale «Roots crops in Eastern Africa» Workshop held in Rwanda -23-27 November 1980-IDRE P.O box 8500 Ottawa, Canada K19 3H9 «Tropical Root crops» -Pans Manval No 4-Centre for overseas Pest Research-ODA, College House, Wrights Lane, London W8 55J, Grande bretagne «Etudes comparatives de bio-économie des coccinelles et acariens prédateurs du manioc» par G. Fabres et A. Kiyindou -1984- ORSTOM, B.P Brazzaville, Congo «Abstracts on cassava» (Manihot Esculenta Crantz) -Volume Xi- No 3 -December 1985- CTA, postbus 380, NL 6700 AJ Wageningen, Pays-Bas
Main Author: | |
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Format: | News Item biblioteca |
Language: | French |
Published: |
Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
1986
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Online Access: | https://hdl.handle.net/10568/58579 |
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Summary: | Dans les villages tapis au milieu des hautes herbes de la savane des plateaux de la région de Kukuya au nord de Brazzaville, au Congo, le souvenir de la dévastation du manioc de 1983 est encore vivace dans les esprits. Les petits paysans avaient assisté, impuissants, à la mort de leur ressource vivrière essentielle. lis avaient vu les jeunes feuilles se faner et les rameaux mourir. Insidieusement, les taches brunes s'étaient étendues sur les grandes feuilles qui étaient devenues flasques et pendantes. La contamination des champs de manioc par la bactériose vasculaire avait été foudroyante. Devant ce fléau, l'impuissance des populations locales était d'autant plus désespérante que les paysans eux-mêmes étaient devenus les acteurs essentiels de la propagation de la maladie qui était totalement inconnue dix ans auparavant. Celle-ci se transmet en effet par les boutures que le cultivateur prélève, sans le savoir, sur les plantes malades pour les replanter.
Les paysans congolais ne sont pas les seuls à se faire du souci. Dans la plupart des pays d'Afrique les paysans craignent pour cette culture qui représente pour beaucoup la base même de l'alimentation de leur famille. La bactériose vasculaire n'est en effet qu'un des fléaux qui menacent le manioc.
Parmi les principaux fléaux, la mosaïque africaine, qui existe depuis longtemps à l'état endémique. Ce n'est cependant que récemment qu'on s'est rendu compte de l'importance des dégâts. Les pertes de production peuvent s'élever dans certains cas jusqu'à 90 %. D'aucuns considèrent cette maladie comme la plus importante et n'hésitent pas à la comparer au mildiou de la pomme de terre qui, il y a plus d'un siècle fut responsable de grandes famines en Europe.
Ensuite, deux ravageurs qui ont fait leur apparition il y a une quinzaine d'années : la cochenille farineuse et l'acarien vert. La cochenille farineuse a été observée initialement entre 1970 et 1973 au Zaïre et au Congo puis en Angola, au Gabon, au Nigéria, au Bénin et au Sénégal.
L'acarien vert est l'un des plus dangereux parmi ceux qui attaquent le manioc en Afrique où il s'étend à partir de l'Afrique de l'Ouest, sa zone récente d'introduction.
Ces deux ravageurs, originaires d'Amérique latine, ont été introduits accidentellement en Afrique et se sont répandus sans contrainte, ne subissant les attaques d'aucun prédateur. En 1985 on signalait que 17 pays avaient été atteints par ces nouveaux fléaux. On évalue actuellement à 1,8 milliard de dollars la perte infligée aux cultures de manioc par les ravageurs. L'ensemble des zones soumises aux attaques a une superficie qui dépasse celle des Etats Unis.
Symptômes
Les symptômes observés sur des plantes issues de matériel végétal infecté par la bactériose du manioc (cassava bacterial blight, CBB) se caractérisent par le fanage des jeunes feuilles, suivi de la mort du rameau. Les infections secondaires, résultant de la pénétration des bactéries présentes sur le feuillage, dans le limbe, par les stomates, provoquent des tâches foliaires angulaires. Celles-ci, d'abord petites, s'agrandissent, deviennent brunes et s'entourent d'une plage circulaire de brûlure. Les feuilles deviennent flasques et pendantes. L'infection vasculaire se traduit par l'apparition d'exsudats de gomme sur les pétioles et les tiges jeunes. L'attaque gagne les extrémités des tiges, parfois la totalité de la plante, et même les racines. Les symptômes sont plus développés en saison de pluies qu'en saison sèche où la présence de la maladie n'est en général révélée que par des lésions chancreuses sur les tiges et les extrémités desséchées. L'agent causal est anthomonas campestris. La diffusion de la maladie résulte principalement du transport par l'homme et de l'utilisation de boutures prélevées sur des plants contaminés.
Les bactéries survivent quelque temps dans le sol mais elles peuvent également vivre en épiphytes sur les feuilles de manioc d'aspect sain ; la transmission de ces bactéries à d'autres plantes peut être assurée par la pluie, les outils et les insectes.
La mosaïque africaine (african mosaic disease, AMD) se caractérise par l'apparition de taches jaunâtres sur les feuilles qui présentent dans les cas graves, des déformations (crispations, enroulements, rabougrissements).
La plante est souvent chétive, déformée ; les entre-noeuds sont courts, des nécroses de tissus peu vent apparaitre. Des recherches récentes ont montré que cette maladie est d'origine virale et que le virus est apparenté au groupe des Geminivirus ; ce virus est transmis par un hémiptère du genre Bemisia. Plusieurs espèces ont été incriminées principalement B. tabaci. La transmission du virus exigerait que l'insecte se nourrisse au moins quatre heures sur des feuilles infectées, connaisse une période d'incubation de quatre heures et un passage d'au moins quinze minutes sur le plant sain. C'est de la rapidité de sa propagation que résulte la gravité de cette maladie. Il faut également noter que le virus peut se transmettre par greffage. La cochenille farineuse (Phenacoccus manihoti-mealibug) envahit principalement la face inférieure des feuilles et les extrémités des tiges qui perdent leur chlorophylle, se déforment et se dessèchent. La plante réagit en donnant de nouvelles pousses qui sont attaquées à leur tour et provoquent son épuisement. La dispersion des insectes se fait par le transport des boutures ou par le déplacement actif avant leur fixation sur l'hôte. Les dégâts sont particulièrement spectaculaires en saison sèche.
L'acarien vert (Mononychellus tanagoa-green casava mite) est de petite taille, de couleur verte et attaque la face inférieure des jeunes feuilles qui présentent des points jaunes, perdent leur coloration et se déforment en simulant une mosaïque. Un ralentissement de la croissance s'ensuit. Dans les cas graves et notamment pendant les périodes sèches, on observe un brunissement des extrémités des rameaux, leur dessèchement progressif du haut vers le bas et la mort des plantes.
Que faire ?
Il faut d'abord partir d'un principe de base: le manioc est une culture pauvre dispersée à travers tout un continent sur un très grand nombre de petites superficies. Il n'est donc pas pensable de recourir à la lutte chimique si ce n'est dans le cas particulier de quelques plantations industrielles.
Le seul moyen pour limiter les dégâts est de recourir à la lutte intégrée. Celle-ci n'entraînera pas l'élimination totale des maladies ou des insectes mais elle réduira les dégâts à un niveau acceptable.
Les chercheurs se sont donc orientés vers l'utilisation de plantes résistantes, la lutte biologique et l'application de techniques culturales et phytosanitaires. Développer des variétés résistantes, tel est donc l'objectif des sélectionneurs. Ceci ne veut pas dire que les plantes seront immunes ; mais cela limitera la multiplication des agents pathogènes en même temps que les dommages causés. Les pertes pourront être réduites en combinant la résistance variétale avec des mesures préventives telles que l'utilisation de matériel de plantation sain. Cette méthode convient parfaitement aux petits fermiers car les dépenses principales sont supportées par les institutions de recherche et les agences de développement. Le seul coût imposé aux fermiers est l'achat d'une petite quantité de matériel végétal. Quant aux services d'agriculture, ils devront se limiter à des tâches de multiplication et de distribution des nouvelles variétés.
L'IITA (Institut International d'Agriculture Tropicale situé au Nigèria) a réussi à obtenir une variété de manioc résistante à la mosaïque africaine et à la bactériose vasculaire, en croisant deux types de manioc Manihot esculenta et Manihot glaziovii. Les travaux de laboratoire ont duré 18 mois ; il a fallu ensuite cinq ans pour produire un plant qui puisse à la fois réunir des caractères de haut rendement et de résistance aux attaques. L'ORSTOM (Institut Français de Recherches Scientifiques pour le' Développement en Coopération, précédemment Office de Recherche Scientifique et Technique d'Outre Mer) a entrepris une étude épidémiologique de la bactériose vasculaire en collaboration avec les chercheurs congolais de la Direction Générale de la Recherche Scientifique et des recherches sur la mosaïque africaine en collaboration avec l'Université d'Abidjan. Des manipulations génétiques devraient permettre d'isoler les gènes qui résistent aux attaques virales ou bactériennes et de les introduire dans le patrimoine génétique de nouvelles variétés. C'est pour cette raison que la protection des ressources phytogénétiques primaires du monde est essentielle. Or il faut signaler que ces ressources sont en voie de disparition. Ainsi au Brésil où il existe plus d'une centaine d'espèces primaires de manioc, la déforestation et le développement de vastes élevages agro-industriels de bovins de boucherie provoquent la disparition du manioc considéré comme un poison pour le bétail.
Signalons enfin les possibilités offertes par la biotechnologie qui permet la culture de tissus in vitro en vue de développer des plants sains, qui permettront ensuite de faire repartir les cultures dans les régions contaminées.
En Amérique du Sud, d'où le manioc est originaire, existe un équil'.bre entre la plante et ses prédateurs. En Afrique, ces prédateurs naturels n'existaient pas. Par ailleurs, les planteurs ne disposaient pas de variétés tolérantes. C'est pourquoi les maladies du manioc ont causé sur ce continent sans défense des dégâts bien plus grands que sur les terres d'origine du manioc.
Les scientifiques de IITA, en collaboration avec d'autres organismes internationaux dont le Centre International d'Agriculture Tropicale (CIAT) en Colombie ont développé un programme de lutte biologique très important. Celui-ci est financé en grande partie par les pays Européens, au coût de 34 millions de dollars.
Il s'agit de bombarder les régions infestées avec des prédateurs naturels prélevés en Amérique Latine. En ce qui concerne l'acarien vert on a identifié comme prédateur une guêpe parasite (Epidino carsis lopezi) prélevée au Paraguay ainsi qu'un insecte de la famille des Phytoséiidées, provenant de Colombie. Actuellement ces prédateurs sont multipliés massivement au Nigeria dans des installations ultramodernes totalement automatisées. Près de 15 millions d'insectes sont produits quotidiennement pour être tachés par avion dans les régions infestées. Au Nigéria, les prédateurs ont proliféré sur trois millions d'hectares en cinq mois après avoir été introduits en un seul endroit. Dans cette région on note une réduction significative des dégâts. Les chercheurs de l’ORSTOM estiment qu'il faut étendre la variété des prédateurs naturels utilisés dans la lutte biologique. Des recherches sont en cours en Amérique Latine pour prélever d'autres parasitoïdes ou des entomophages tels que les coccinelles mangeuses d'acariens et de cochenilles.
Les techniques culturales sont également un moyen important de lutte contre les maladies. En plantant des boutures saines on peut retarder le déclenchement de l'infection. On peut même dans certains cas éliminer totalement la maladie. Au Kenya notamment on est parvenu à obtenir du matériel sain en sélectionnant des plants qui ne présentaient aucun symptôme et en particulier les pousses terminales. En ce qui concerne la bactériose vasculaire il est facile d'obtenir du matériel sain. On prend des rejets de bouture ne présentant pas de symptômes et on les place dans des bouteilles remplies d'eau pour qu'ils forment des racines.
Toutes les petites plantules infectées développent rapidement les symptômes de la maladie et peuvent être détruites. Lorsque les plants sans symptômes ont produit leurs racines, ils sont transplantés dans des champs isolés où ils forment la base d'un stock sain. Cette technique a été utilisée en Colombie, au Brésil, à Cuba et en Malaisie.
L'intervention des instituts de recherche est importante pour contrôler ces maladies mais elle est insuffisante si les pouvoirs publics ne prennent pas conscience du problème. Il faut que chaque état africain concerné développe un programme de multiplication et de distribution de matériel sain. Ces programmes doivent être coordonnés à l'échelon régional. Si l'on veut sauver la culture du manioc en Afrique il faut pratiquer une agriculture sans frontière.
BIBLIOGRAPHIE
«Les principaux ravageurs et maladies d'Afrique» par Robert L. Thébarge-IITAIbadan (Nigeria)
«Le manioc» par P. Silvestre et M. Arraudeau-Technique agricole et production tropicale
«Roots crops in Eastern Africa» Workshop held in Rwanda -23-27 November 1980-IDRE P.O box 8500 Ottawa, Canada K19 3H9
«Tropical Root crops» -Pans Manval No 4-Centre for overseas Pest Research-ODA, College House, Wrights Lane, London W8 55J, Grande bretagne
«Etudes comparatives de bio-économie des coccinelles et acariens prédateurs du manioc» par G. Fabres et A. Kiyindou -1984- ORSTOM, B.P Brazzaville, Congo
«Abstracts on cassava» (Manihot Esculenta Crantz) -Volume Xi- No 3 -December 1985- CTA, postbus 380, NL 6700 AJ Wageningen, Pays-Bas |
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