Des technologies controversées et de leurs alternatives. Le cas des pesticides agricoles en France

La prolifération d'objets technologiques génère des préoccupations quant à leur innocuité et aux risques qu'ils peuvent générer. Produits issus de l'industrie chimique (Boudia et Jas, 2014), médicaments ou vaccins (Martin, 2015), plantes transgéniques ou encore téléphones mobiles (Baskaran, 2004) offrent des exemples de ces technologies ou substances problématiques. Les controverses et les critiques qu'elles soulèvent conduisent les États à émettre des injonctions visant à réduire leur usage, voire même littéralement à les retirer de la circulation. Pourtant, en dépit des alertes (Chateauraynaud et Torny, 1999), ces interdictions ne vont pas de soi, comme en témoigne par exemple celle de l'amiante en France qui aura pris des décennies (Henry, 2007). La sociologie des problèmes publics (Céfaï, 1996 ; Gusfield, 2009) a offert un cadre d'analyse écl airant pour aborder les facteurs ayant permis ou entravé l'encadrement renforcé de certaines substances ou technologies. C'est en effet de la capacité des protagonistes à rendre une technologie problématique que dépendrait son encadrement accru. Mais cette entreprise est rendue complexe par la mobilisation d'acteurs engagés dans la défense des technologies incriminées, comme les industries voyant leurs activités menacées. Au travers d'activités de lobbying ou de contre-expertise, il s'agit pour elles de con tester le caractère préoccupant de leurs produits ou spécialités (Oreskes et Conway, 2010 ; Déplaude, 2014), ou d'orienter les politiques pour qu'elles n'empiètent que modérément sur leurs activités (Fortané, 2016). Quand elle n'est pas elle-même associée à ces géants de l'industrie (voir notamment le cas du nucléaire en France (Topçu, 2013)), l'action publique se heurterait ainsi à des controverses au long cours portant atteinte au travail critique conduit autour des technologies problématiques. Si ces ph ases de construction des problèmes ont concentré une grande partie des travaux engagés jusqu'alors, les conditions présidant à la formulation des alternatives permettant de pallier l'absence ou l'usage réduit de ces technologies constitue une facette relativement peu explorée. Elles constituent pourtant un élément essentiel des dynamiques concernées, notamment pour les usagers. Pour faire sans, ou faire avec moins, l'existence et la disponibilité de ces alternatives constituent en effet des leviers essentiels des dynamiques de retrait (Goulet et Vinck, 2012). La mise au point dans certains cas de substituts, par exemple dans le traitement des addictions (Gomart, 2004) ou le contrôle des dépenses de santé publique (Nouguez, 2009), constituent par exemple des éléments essentiels pour la mise à l'écart d'entités problématiques. Alors donc que de façon générale la sociologie des problèmes publics et de leur mise à l'agenda a constitué ces dernières années un champ de recherche dynamique (Gilbert et Henry, 2012 ; Neveu, 2015), elle a finalement peu investi en tant que tels les processus participant de la définition et la sélection des solutions proposées en réponse à ces problèmes. Dans cette communication, nous proposons de contribuer à cette problématique à partir d'une enquête conduite en France autour de la définition des alternatives à l'usage des pesticides agricoles. Nous nous intéresserons plus précisément à un programme d'action publique, le Plan Ecophyto, en place depuis 2008 pour générer des solutions permettant de réduire la consommation de ces substances par les agriculteurs. Nous aborderons, dans une perspective sociohistorique de l'action publique, les solutions concurrentes qui ont émergé successivement au sein de ce plan, au travers d'articulations ou d'oppositions entre différents types d'acteurs mobilisés (experts scientifiques, associations environnementales, syndicats agricoles, industries agrochimiques, etc). Nous exposerons les caractéristiques de deux solutions successivement retenues par le plan Ecophyto. La première est celle dite de l'agronomie " systémique ", soutenue principalement par des chercheurs en agronomie de l'INRA, et défendant une transformation radicale des systèmes de production agricole, de façon à réduire la dépendance des agriculteurs aux intrants et aux industries agrochimiques. La seconde est incarnée par les produits dits de " biocontrôle ", défendue cette fois par les industries agrochimiques et le syndicat majoritaire agricole, et proposant une substitution des pesticide s classiques par des intrants propres, d'origine biologique ou biotechnologique. Nous mettrons en exergue les controverses qu'a générées la formulation de ces solutions, et les rôles contrastés qu'y ont joué les experts issus du monde académique. Alors que la solution du biocontrôle et les promesses technologiques qu'elle incarne ont progressivement pris l'avantage sur l'agronomie systémique, nous ouvrirons notre réflexion sur les temporalités dissonantes auxquelles sont soumises les décideurs publics et les acteurs technoscientifiques, et aux difficultés que rencontrent ces derniers pour voir reconnues leurs préconisations face aux propositions des industriels.

Saved in:
Bibliographic Details
Main Authors: Aulagnier, Alexis, Goulet, Frédéric
Format: conference_item biblioteca
Language:fre
Published: AFS
Subjects:H01 - Protection des végétaux - Considérations générales,
Online Access:http://agritrop.cirad.fr/585237/
http://agritrop.cirad.fr/585237/2/R%C3%A9sum%C3%A9%20Goulet%20F..pdf
Tags: Add Tag
No Tags, Be the first to tag this record!
Description
Summary:La prolifération d'objets technologiques génère des préoccupations quant à leur innocuité et aux risques qu'ils peuvent générer. Produits issus de l'industrie chimique (Boudia et Jas, 2014), médicaments ou vaccins (Martin, 2015), plantes transgéniques ou encore téléphones mobiles (Baskaran, 2004) offrent des exemples de ces technologies ou substances problématiques. Les controverses et les critiques qu'elles soulèvent conduisent les États à émettre des injonctions visant à réduire leur usage, voire même littéralement à les retirer de la circulation. Pourtant, en dépit des alertes (Chateauraynaud et Torny, 1999), ces interdictions ne vont pas de soi, comme en témoigne par exemple celle de l'amiante en France qui aura pris des décennies (Henry, 2007). La sociologie des problèmes publics (Céfaï, 1996 ; Gusfield, 2009) a offert un cadre d'analyse écl airant pour aborder les facteurs ayant permis ou entravé l'encadrement renforcé de certaines substances ou technologies. C'est en effet de la capacité des protagonistes à rendre une technologie problématique que dépendrait son encadrement accru. Mais cette entreprise est rendue complexe par la mobilisation d'acteurs engagés dans la défense des technologies incriminées, comme les industries voyant leurs activités menacées. Au travers d'activités de lobbying ou de contre-expertise, il s'agit pour elles de con tester le caractère préoccupant de leurs produits ou spécialités (Oreskes et Conway, 2010 ; Déplaude, 2014), ou d'orienter les politiques pour qu'elles n'empiètent que modérément sur leurs activités (Fortané, 2016). Quand elle n'est pas elle-même associée à ces géants de l'industrie (voir notamment le cas du nucléaire en France (Topçu, 2013)), l'action publique se heurterait ainsi à des controverses au long cours portant atteinte au travail critique conduit autour des technologies problématiques. Si ces ph ases de construction des problèmes ont concentré une grande partie des travaux engagés jusqu'alors, les conditions présidant à la formulation des alternatives permettant de pallier l'absence ou l'usage réduit de ces technologies constitue une facette relativement peu explorée. Elles constituent pourtant un élément essentiel des dynamiques concernées, notamment pour les usagers. Pour faire sans, ou faire avec moins, l'existence et la disponibilité de ces alternatives constituent en effet des leviers essentiels des dynamiques de retrait (Goulet et Vinck, 2012). La mise au point dans certains cas de substituts, par exemple dans le traitement des addictions (Gomart, 2004) ou le contrôle des dépenses de santé publique (Nouguez, 2009), constituent par exemple des éléments essentiels pour la mise à l'écart d'entités problématiques. Alors donc que de façon générale la sociologie des problèmes publics et de leur mise à l'agenda a constitué ces dernières années un champ de recherche dynamique (Gilbert et Henry, 2012 ; Neveu, 2015), elle a finalement peu investi en tant que tels les processus participant de la définition et la sélection des solutions proposées en réponse à ces problèmes. Dans cette communication, nous proposons de contribuer à cette problématique à partir d'une enquête conduite en France autour de la définition des alternatives à l'usage des pesticides agricoles. Nous nous intéresserons plus précisément à un programme d'action publique, le Plan Ecophyto, en place depuis 2008 pour générer des solutions permettant de réduire la consommation de ces substances par les agriculteurs. Nous aborderons, dans une perspective sociohistorique de l'action publique, les solutions concurrentes qui ont émergé successivement au sein de ce plan, au travers d'articulations ou d'oppositions entre différents types d'acteurs mobilisés (experts scientifiques, associations environnementales, syndicats agricoles, industries agrochimiques, etc). Nous exposerons les caractéristiques de deux solutions successivement retenues par le plan Ecophyto. La première est celle dite de l'agronomie " systémique ", soutenue principalement par des chercheurs en agronomie de l'INRA, et défendant une transformation radicale des systèmes de production agricole, de façon à réduire la dépendance des agriculteurs aux intrants et aux industries agrochimiques. La seconde est incarnée par les produits dits de " biocontrôle ", défendue cette fois par les industries agrochimiques et le syndicat majoritaire agricole, et proposant une substitution des pesticide s classiques par des intrants propres, d'origine biologique ou biotechnologique. Nous mettrons en exergue les controverses qu'a générées la formulation de ces solutions, et les rôles contrastés qu'y ont joué les experts issus du monde académique. Alors que la solution du biocontrôle et les promesses technologiques qu'elle incarne ont progressivement pris l'avantage sur l'agronomie systémique, nous ouvrirons notre réflexion sur les temporalités dissonantes auxquelles sont soumises les décideurs publics et les acteurs technoscientifiques, et aux difficultés que rencontrent ces derniers pour voir reconnues leurs préconisations face aux propositions des industriels.